Les éléments principaux du projet fiscal ("PF 17") sont essentiellement ceux de la réforme de limposition des entreprises III ("RIE III"), qui avait été rejetée. Outre la suppression des statuts cantonaux spéciaux, d'autres mesures doivent être introduites afin de garantir l'attractivité du système fiscal suisse. La nouveauté consiste à lier la réforme fiscale au financement de l'AVS. Ce qui pour certains est une garantie de succès du PF 17 et rejeté par d'autres pour des raisons de principe.

1 INTRODUCTION

Le PF 17 constitue la réponse aux critiques émises à l'encontre de et à l'échec consécutif subi par la RIE III. Les mesures prévues par le PF 17 ont déjà été présentées dans notre Newsletter d'août 2017. Elles ont été largement approuvées au cours des débats parlementaires.

L'élément de base du projet est la suppression des statuts spéciaux qui ne sont plus acceptés au niveau international. En Suisse, cependant, ces régimes jouent un rôle important d'un point de vue économique. Selon l'Administration fédérale des contributions, les recettes fiscales des entreprises bénéficiant d'un régime fiscal particulier représentent environ un cinquième des recettes fiscales annuelles tirées de l'imposition des bénéfices. La RIE III prévoyait l'abolition des régimes spéciaux au 1er janvier 2019. Les sociétés à statut spécial se trouvent donc sous la pression des autorités fiscales étrangères et font l'objet des menaces de contremesures; elles auront ainsi besoin d'une solution dans l'année à venir. Il est douteux que ceci puisse se réaliser. En raison du débat relatif aux mesures à prendre pour préserver l'attractivité de la place économique suisse et pour pallier les pertes fiscales qui vont en résulter, la mise en Suvre du PF 17 a été retardée jusqu'à ce jour. Ces déficits fiscaux découleront du fait que, désormais, l'ensemble des sociétés pourra bénéficier des nouvelles mesures, en particulier les réductions sensibles de l'impôt cantonal et communal sur le bénéfice. La réforme alourdira dès lors la charge fiscale pesant sur les sociétés au bénéfice d'un statut spécial actuellement et allégera celle de la grande majorité des entreprises.

2 DÉBATS PARLEMENTAIRES

2.1 EN GÉNÉRAL

Le Conseil fédéral a approuvé le PF 17 le 9 juin 2017. La procédure de consultation s'est terminée en décembre 2017. Le message final concernant le PF 17 a été publié le 21 mars 2018. Les débats parlementaires ont débuté dans la foulée. A la suite du débat d'entrée en matière, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des Etats ("CER-E") a décidé de substituer à laugmentation des prescriptions minimales en matière d'allocations familiales une compensation des pertes fiscales au profit de l'AVS. La Commission a estimé en effet que les allocations familiales plus élevées ne garantiraient pas une compensation sociale suffisante. Sur cette base, le PF 17 est devenu le PF 17 couplé au financement de l'AVS ("RRFA").

Dans le cadre des débats parlementaires, d'autres modifications décisives du PF 17 ont été proposées:

  • réduction de 70 à 50% de l'imposition minimale des dividendes au niveau cantonal
  • réintroduction d'une déduction pour autofinancement
  • introduction d'une règlementation en matière de remboursement dans les cas d'apport en capital

Ces nouvelles mesures de la RRFA seront examinées ci-après. En outre, le PF 17 a subi d'autres modifications telles que la possibilité pour les cantons de prévoir l'extension des allé-gements dans le cadre de l'imposition du capital. Alors que le PF 17 ne prévoyait un tel système que pour les participations, les brevets et les droits similaires, le Parlement a décidé de l'étendre aux prêts consentis à des sociétés du même groupe.

2.2 AUGMENTATION DE L'IMPOSITION DES DIVI- DENDES

La réforme de l'imposition des entreprises II ("RIE II") a introduit l'imposition partielle des dividendes (en vigueur depuis le 1er janvier 2009). Au niveau fédéral, les revenus des participations qualifiées (participations d'au moins 10% dans le capital social) de la fortune privée ne sont imposables qu'à hauteur de 60% et les revenus des participations qualifiées de la fortune commerciale à hauteur de 50%.

Les cantons, quant à eux, sont entièrement libres de décider si et dans quelle mesure ils souhaitent corriger la double imposition économique. La loi actuelle prévoit en outre diverses méthodes d'atténuation de la double imposition (imposition partielle ou imposition au taux réduit). Tous les cantons ont d'ailleurs pris des mesures en la matière.

Le PF 17 prévoyait d'augmenter l'imposition partielle des dividendes provenant de participations qualifiées de la fortune privée et commerciale des personnes physiques au niveau fédéral et cantonal à au moins 70%. Les cantons peuvent également prévoir une imposition plus élevée. Le PF 17 prévoit d'ailleurs que tous les cantons doivent appliquer la procédure d'imposition partielle. Dans le cadre de la consultation, l'imposition minimale prévue au niveau cantonal a été abaissée à 50% pour éviter une opposition de la part des artisans, des PME et des entreprises familiales.

La plupart des cantons prévoient déjà un impôt d'au moins 50%, voire plus. Seuls quatre cantons ont un taux d'imposi- tion inférieur à 50% (UR, GL, AI, AG). En vertu de la RFFA, l'imposition partielle ne devrait ainsi augmenter que dans ces quatre cantons. Ceci aura pour conséquence de réduire les recettes supplémentaires pour financer la RFFA.

2.3 INTRODUCTION DE LA DÉDUCTION POUR AU- TOFINANCEMENT

La déduction des intérêts notionnels (Notional Interest Deduction; "NID") faisait partie de la RIE III. La NID peut s'appliquer sur les fonds propres supérieurs à la moyenne, lesquels consistent en ceux qui ne sont pas nécessaires à l'entreprise à long terme (fonds propres de base) et qui pourraient donc être remplacés par des fonds étrangers. Le taux d'intérêt théorique est calculé sur le rendement des obligations de la Confédération à dix ans. Si le capital propre se compose de créances contre des personnes proches de l'entreprise, ce sont les intérêts qui seraient exigibles de tiers qui seront déductibles.

Dans la proposition du Conseil fédéral, cette mesure a été intentionnellement supprimée. Le Conseil des Etats a cependant réintroduit la possibilité pour les cantons de prévoir la NID tout en l'assortissant d'une restriction de taille. La NID ne peut, en effet, être appliquée que par les cantons à forte fiscalité, qui présentent dans leur chef- lieu un taux effectif cumulé d'imposition sur le bénéfice (fédéral, cantonal et communal) d'au moins 18%. A l'heure actuelle, seul le canton de Zurich serait concerné. La déduction doit également être incluse dans le calcul de la limite d'exonération maximale de 70%.

D'après le canton de Zurich, ce ne sont pas seulement les sociétés exerçant en Suisse des activités financières pour des groupes étrangers (les sociétés holding ou les Finance Branches) qui pourraient effectivement déduire des inté- rêts notionnels mais également d'autres sociétés, notam- ment les PME.

2.4 RÈGLE DE REMBOURSEMENT EN CAS D'AP- PORT EN CAPITAL

La RIE II a introduit le principe de l'apport en capital ("PAC"), en vigueur depuis le 1er janvier 2011 (voir notre Newsletter de décembre 2010). Les réserves d'apport de capital ("RAC") sont les apports, les agios et les verse- ments supplémentaires effectués par les détenteurs de droits de participation (p. ex. des actionnaires) à une société anonyme ou une société coopérative. Ces apports en capital peuvent être remboursés sur plusieurs années francs d'impôt sur le revenu et d'impôt anticipé. L'intro- duction du PAC a entraîné des pertes fiscales inattendues et élevées, raison pour laquelle cette mesure a rapidement été fortement critiquée et fait depuis longtemps l'objet de tentative d'en restreindre la portée. Le Parlement a décidé, dans le cadre de la RIE III, de ne pas modifié le PAC. Cette position a été revue et, dans le contexte global, il a été convenu d'adapter cette règle à la nouvelle limite supé- rieure de l'imposition des dividendes au niveau cantonal, laquelle a été réduite de 70% à 50%.

La RRFA prévoit dès lors que des apports en capital ne seront exonérés de l'impôt anticipé et de l'impôt sur le revenu que si la société distribue des réserves impo- sables pour un montant équivalent. Toutefois, ces règles ne s'appliquent qu'aux sociétés cotées à une bourse suisse. Une extension à toutes les sociétés cotées en bourse a été rejetée. Parallèlement, une liste d'excep- tions a été adoptée aux termes de laquelle, la règle de remboursement ne s'appliquera pas aux RAC :

  • constituées après le 24 février 2008 dans le cadre d'une restructuration interne transfrontalière du groupe (une scission, une fusion, une quasi-fusion, un transfert de patrimoine ou un transfert du siège social ou de l'administration effective en Suisse) ("RAC étran- gères") ;
  • remboursée à des personnes morales suisses ou étrangères détenant au moins 10 % du capital de la société;
  • remboursés en cas de liquidation ou de transfert du siège social ou de l'administration effective à l'étran-ger.

Cette règle comprend également une règle de liquidation partielle en cas de rachat d'actions propres. Selon cette disposition, la moitié au moins de l'excédent de liquidation doit grever les réserves d'apport de capital. Si cette règle n'est pas respectée, les réserves d'apport de capital seront ajustées en conséquence et la partie imposable de l'excé- dent de liquidation sera réduite.

L'application de cette règle soulève de nombreuses ques- tions qui demeurent sans réponse. Les modalités de recons- titution du revenu imposable en cas de non-respect des règles de remboursement ne sont ainsi pas clairement défi- nies à ce stade. En outre, les sociétés concernées devront subdiviser les réserves d'apport de capital existantes (déter- mination des réserves d'apport de capital étrangères) et suivre leur évolution depuis février 2008 (augmentations et remboursements); ce qui ne devrait pas être aisé.

2.5 FINANCEMENT DE L'AVS

Le PF 17 a subi un changement important avec la proposi- tion de la CER-E de supprimer l'augmentation controver- sée des allocations familiales et de lier le PF 17 au finan- cement de l'AVS. L'idée de base reste cependant la même : il s'agit d'une "compensation sociale". L'ampleur du finan- cement supplémentaire de l'AVS devrait correspondre au manque à gagner attendu de la Confédération, des cantons et des communes dû à la RRFA. Ainsi chaque franc d'impôt en moins doit être compensé par un montant équivalent pour l'AVS (vraisemblablement environ 2 milliards CHF par an).

Selon le Conseil fédéral, ceci repousserait l'entrée de l'AVS dans les chiffres rouges de trois ou quatre ans. Il n'y a certes aucun rapport de connexité entre les deux projets de loi, mais le manque d'équilibre social est considéré comme une des raisons de l'échec de la RIE III, et c'est pourquoi ce volet est considéré - d'une certaine manière - crucial pour l'acceptation du projet.

Le financement de l'AVS interviendra par le biais d'une aug- mentation de 0,3% (0,15% chacun) des cotisations de l'em- ployé et de l'employeur, mais aussi par l'affectation inté- grale du pourcentage démographique de la TVA à l'AVS et par une augmentation de la contribution fédérale. Cela signifie que le financement de l'AVS sera réparti au prorata entre la Confédération, les employeurs et les salariés (un tiers chacun).

Un avis de droit confirme que le couplage de ces projets ne viole pas l'unité de la matière, mais cela a malgré tout été remis en question devant le Parlement. En dépit de cette controverse, l'idée d'un financement de l'AVS n'a, étonne- ment, jamais été vraiment remise en cause par le Conseil fédéral. Il semble que la recherche d'un équilibre social soit largement admise dans la réforme fiscale.

3 VUE D'ENSEMBLE ET CALENDRIER

Le 28 septembre 2018, le Parlement a approuvé la RFFA lors du vote final de la session d'automne. La version finale de la RFFA prévoit les mesures suivantes :

  • suppression des règles relatives aux régimes spé- ciaux, y compris de l'imposition séparée des réserves latentes (obligatoire);
  • augmentation de la part cantonale à l'impôt fédéral direct à 21,2% ;
  • réforme de la péréquation financière entre les cantons et indemnisation des communes par les cantons (clause relative aux communes);
  • publication des réserves latentes au début de l'assu- jettissement à l'impôt (y compris transfert de patri- moine, transfert du siège social ou de l'administration effective en Suisse);
  • relèvement de l'imposition (partielle) des dividendes (Confédération : 70% et cantons : 50%);
  • introduction d'une règle de remboursement et de liqui- dation partielle pour le PAC;
  • renforcement de la règle relative à la transposition (suppression de l'exception pour les participations inférieures à 5%);
  • prolongation du crédit d'impôt pour les établissements stables de sociétés étrangères;
  • introduction d'une limitation de maximum 70% ou moins pour les allégements (cumulés) au plan cantonal;
  • introduction d'une Patent Box cantonale conforme à la norme OCDE, avec un dégrèvement maximal de 90%;
  • déductions supplémentaires pour les frais de R&D au niveau cantonal de maximum 50% (facultatif);
  • dégrèvement cantonal de l'impôt sur le capital pour les participations, les brevets et droits similaires ainsi que les prêts intragroupe (facultatif);
  • financement de l'AVS.

La RFFA devrait entrer en vigueur le 1 er janvier 2020. Bien que le volet fiscal du projet de loi semble être générale- ment accepté, le lien avec la réforme de l'AVS en particulier prête à discussion. Si un référendum est lancé la votation y relative interviendra en principe le 19 mai 2019.

4 CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

Ce que la réforme fiscale est censée sauver, elle peut éga- lement le faire échouer. Certains milieux patrimoniaux et politiques s'opposent en particulier à ce que les impôts et l'AVS soient liés de cette manière. Les prises de positions définitives doivent encore être élaborées, mais un référen- dum semble probable.

Le problème de la RFFA réside dans le fait qu'il faut trouver un équilibre entre l'attractivité de la Suisse en tant que place économique et la rentabilité des ressources fiscales. Les calculs actuels sont tous basés sur des estimations sujettes à caution. L'impact financier de la RFFA est donc difficile à prévoir.

Il n'est de plus pas facile de maintenir une vue d'ensemble sur toutes les mesures. Par conséquent, un référendum éventuel se focalisera lui, vraisemblablement sur l'établis- sement d'un lien entre la fiscalité et l'AVS. L'exemple du canton de Vaud a lui, montré qu'un niveau élevé d'équilibre social augmente l'acceptation de la réforme fiscale. Quoiqu'il en soit, il est difficile de prédire le résultat d'un référendum. Indépendamment des propositions de nature fiscale, le financement de l'AVS reste indispensable. Une nouvelle augmentation de la taxe sur la valeur ajoutée est également envisagée comme moyen de financement alter- natif de l'AVS. A cet égard, il est essentiel de lier ces deux opérations, c'est-à-dire de financer l'AVS par des recettes fiscales sous une forme ou une autre. La réforme de l'AVS en tant que telle reste toutefois nécessaire indépendam- ment de l'introduction de la RFFA.