Le 16 août dernier, la Biélorussie a connu l'un des plus grands rassemblements de son histoire dans le cadre d'une « marche pour la liberté » à Minsk. Cette marche visait à protester contre les résultats des élections présidentielles du 9 août 2020. L'opposition politique biélorusse, ses partisans et une importante partie de la communauté internationale accusent le scrutin portant vainqueur le Président au pouvoir depuis 1994, Alexandre Loukachenko, d'avoir été falsifié et réprouvent sévèrement les actions menées par les autorités nationales afin d'écraser les mouvements contestataires.

Dans ce contexte, afin de renforcer (1) les régimes existants de sanctions économiques européens et américains visant la Biélorussie, (2) l'Union européenne en coordination avec les Etats-Unis ainsi que le Royaume-Uni, ont imposé début octobre 2020 de nouvelles mesures de sanctions économiques à l'encontre d'individus liés au régime biélorusse en place.

1. Rappel des éléments clefs relatifs aux régimes de sanctions économiques visant la Biélorussie

1.1. Présentation de l'arsenal réglementaire européen

Le régime de sanctions économiques européen à l'encontre de la Biélorussie existe depuis 2004. Les premières mesures restrictives individuelles ont été adoptées à l'encontre de quatre ressortissants biélorusses impliqués dans la disparition, entre 1999 et 2000, de deux personnalités politiques de l'opposition, d'un homme d'affaires et d'un journaliste1.

En outre, en 2006, l'Union européenne (« UE ») a adopté des mesures individuelles à l'encontre du Président Loukachenko et de certains fonctionnaires biélorusses par le biais du Règlement (CE) n°765/2006 du 18 mai 20062. Ces désignations ont été prises en réaction, d'une part, aux irrégularités entachant les résultats des élections présidentielles du 19 mars 2006 et, d'autre part, à l'arrestation de manifestants pacifiques contestant le défaut de caractère démocratique du processus électoral ayant conduit à la nomination d'Alexandre Loukachenko.

Ces mesures individuelles se matérialisent par (i) le gel des fonds et ressources économiques détenus ou contrôlés par les personnes physiques ou morales désignées dans la liste figurant à l'Annexe I du présent Règlement et (ii) des interdictions de pénétrer sur le territoire de l'UE.

Cependant, la majorité de ces mesures individuelles ont été levées en février 2016, ne laissant plus que demeurer celles à l'encontre des quatre personnes susvisées3. Un tel remaniement est le fruit d'efforts entrepris par le gouvernement biélorusse d'améliorer ses relations avec l'UE, ceci passant notamment par la libération de prisonniers politiques ainsi que le déroulement d'élections présidentielles exemptes de violences en 20154.

Par la suite, l'UE a élargi son régime de sanctions biélorusses en 2011 en adoptant des mesures restrictives sur certains biens à l'égard de tout individu ou entité localisée en Biélorussie ou aux fins d'utilisation sur ce territoire. Ces mesures comprennent :

  • un embargo sur les armes avec, dans ce sens, l'interdiction de fournir tout financement ou assistance technique en rapport avec des armes ; et
  • une interdiction de vendre, fournir, transférer ou exporter des équipements susceptibles d'être utilisés à des fins de répression interne avec, dans ce sens, l'interdiction de fournir toute assistance technique ou service de courtage en rapport avec ces équipements.

Le 17 février 2020, le Conseil de l'UE a annoncé que ces sanctions économiques seraient prolongées d'un an jusqu'au 28 février 20215.

1.2. Présentation de l'arsenal réglementaire américain

Remettant également en cause la régularité des élections présidentielles biélorusses de mars 2006, les Etats-Unis ont adopté le décret présidentiel n°13405 le 16 juin 20066 imposant des mesures de gel des avoirs à l'encontre de personnes physiques ou morales :

  • désignées à l'Annexe de ce décret (telles que le président Loukachenko et des membres de son gouvernement) ;
  • responsables ou ayant participé dans des actions ou politiques déstabilisant le processus démocratique ou les institutions biélorusses ;
  • responsables ou ayant participé à des violations des droits humains en rapport avec la répression politique biélorusse ;
  • occupant un poste de haut fonctionnaire ou étant de la famille d'une telle personne si celle-ci est responsable d'actes de corruption publique en Biélorussie ;
  • ayant apporté une assistance matérielle, sponsorisé ou fourni un soutien financier, matériel, technologique ou des biens ou services en rapport avec les activités ou personnes susmentionnées ;
  • détenues, contrôlées ou agissant pour ou au nom des personnes susmentionnées (à ce titre, sont notamment désignées comme Specially Designated Nationals and Blocked Persons des sociétés détenues à plus de 50% par des personnes sanctionnées - « SDN »).

Au total, 16 personnes, dont Alexandre Loukachenko, sont visées par les mesures restrictives individuelles américaines à l'encontre de la Biélorussie.

2. Le renforcement à venir des sanctions économiques à l'encontre de la Biélorussie

Le 9 août dernier, avec près de 80% des suffrages, Alexandre Loukachenko a remporté pour la sixième fois consécutive les élections présidentielles biélorusses. En fonction depuis 1994, le président sortant a largement devancé son opposante principale, Svetlana Tikhanovskaïa, qui n'a obtenu que 10% des voix7.

Cependant, la candidate de l'opposition a rejeté ces premiers résultats. Elle a remis en cause la légitimité du processus démocratique en alléguant des faits de fraude à l'égard de son adversaire. Ces contestations s'ancrent dans un climat de fortes tensions avec une répression étatique continue exercée à l'encontre des opposants du régime politique actuel. A ce titre, des associations telles qu'Amnesty International8 reprochent au gouvernement biélorusse actuel une « attaque massive » à l'encontre des droits humains (par exemple, des détentions et emprisonnements arbitraires). Ces associations citent par exemple le fait que les protestations pacifiques suivant les résultats des élections ont violemment été étouffées par les autorités à travers le pays avec plus de 7000 arrestations et la mort d'au moins deux hommes9.

Ces craintes pour les droits humains et la démocratie sont partagées par une partie de la communauté internationale qui a pris des mesures appropriées - par le biais de mesures de sanctions économiques - qui ont pour but de pousser Alexandre Loukachenko au dialogue.

2.1. Union européenne

Suivant les résultats des élections présidentielles, l'Union européenne n'a pas tardé à organiser plusieurs réunions afin de discuter de la situation politique en Biélorussie. L'objectif était de trouver des solutions de remédiation afin de soutenir son peuple.

C'est ainsi que, dès le 14 août, les ministres des Affaires étrangères de l'UE se sont réunis une première fois en raison de la « violence, répression et falsification des résultats des élections » en condamnant de tels manquements aux principes démocratiques fondamentaux de l'Etat de droit et aux droits humains10. Un sommet extraordinaire du Conseil européen tenu le 19 août n'a fait que confirmer le rejet du suffrage, décrivant l'élection comme « ni libre ni régulière »11.

Afin de proscrire de tels actes, l'UE a notamment annoncé sa volonté d'imposer des mesures de sanctions économiques ciblées à l'encontre des auteurs des infractions. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait déclaré à cet égard que la liste des personnes sanctionnées serait adoptée « dès que possible »12.

Dans l'attente d'une formalisation de ces mesures restrictives européennes, le Parlement européen a invité le Conseil, par une résolution votée le 17 septembre13, à suivre l'exemple des Etats baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) ayant inscrit Loukachenko et 29 autres responsables biélorusses à leurs listes nationales de sanctions en désignant (i) « un nombre substantiel » de hauts et moyens responsables du gouvernement ainsi que (ii) des entreprises connues pour leur soutien au régime. Il invita également le Conseil à considérer la possibilité de sanctionner des citoyens russes soutenant le gouvernement en place. De cette manière, il pressa la Commission et le Service européen pour l'action extérieure à réviser la réglementation à l'égard de la Biélorussie et ce, afin de soutenir le peuple biélorusse mais également à en appeler à un gel de tout fond transféré au gouvernement actuel et aux projets conduits par celui-ci.

Après un refus opposé par Chypre le 21 septembre14, les 27 dirigeants européens réunis en sommet extraordinaire à Bruxelles ont réussi à atteindre un consensus ce 2 octobre au titre duquel, 40 responsables biélorusses ont été placés sur les listes de mesures restrictives européennes15. Le Règlement d'exécution (UE) n°2020/1387 du Conseil inscrit ces noms à la liste des individus et entités faisant l'objet de mesures restrictives figurant à l'Annexe I du Règlement (CE) n°765/2006 et prévoit de geler les avoirs et interdire l'entrée sur le territoire de l'UE aux personnes ciblées. Il convient néanmoins de noter que Loukachenko ne figure pas sur la liste des personnalités sanctionnées, bien que l'hypothèse d'un durcissement ne soit pas écartée.

Par ailleurs, et ce aux côtés du Royaume et des Etats-Unis16, le Parlement européen avait également, par une résolution en date du 17 septembre17, sollicité l'ouverture d'une enquête aux fins d'investiguer sur les crimes commis par le gouvernement biélorusse. 17 Etats membres de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ont invoqué le mécanisme de Moscou afin de mettre en place une mission d'experts pour établir un rapport crédible faisant état des abus et violations des droits humains en Biélorussie.

Pour finir, le lundi 12 octobre dernier, le Conseil de l'UE a adopté des conclusions dans lesquelles il a réaffirmé le soutien de l'Union à la souveraineté et à l'indépendance de la Biélorussie, ainsi qu'aux libertés démocratiques et aux droits des citoyens biélorusses18. Les ministres des affaires étrangères ont confirmé qu'Alexandre Loukachenko ne dispose d'aucune légitimité démocratique et ont donné leur feu vert politique pour que de nouvelles mesures de sanctions économiques soient prises, y compris à l'encontre de Loukachenko et d'autres responsables de haut rang19.

2.2. Etats-Unis

Outre-Atlantique, le Secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, a annoncé le 13 août20 que les Etats-Unis n'excluaient pas non plus l'imposition de sanctions économiques en réaction à la situation politique biélorusse actuelle. Le gouvernement américain a ainsi envisagé des mesures restrictives à l'encontre des exportations de pétrole américain à destination de la Biélorussie. Le Secrétaire d'Etat avait également précisé le 9 septembre que les sanctions pourraient être destinées à promouvoir « la responsabilisation des personnes impliquées dans les violations des droits humains et la répression en Biélorussie »21.

Pour ce faire, et aux fins d'apporter une réponse multilatérale, le Secrétaire d'Etat avait déclaré le 13 août que les Etats-Unis travailleraient étroitement avec l'UE sur les mesures futures appropriées à adopter. Dans ce sens, le 11 septembre, le Secrétaire d'Etat adjoint américain, Stephen Biegun, a indiqué que Washington était en train de se coordonner avec ses partenaires européens afin de « promouvoir la responsabilisation de ceux impliqués dans les violations des droits humains et la répression en Biélorussie »22.

Face au véto de Chypre, les Etats-Unis ont retardé le déploiement de sanctions à l'encontre de la Biélorussie, dans l'attente d'opérer une action commune avec l'UE. Le consensus atteint lors du Conseil européen du 2 octobre a ainsi accéléré la prise de décision américaine s'illustrant le 6 octobre par l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de 25 responsables biélorusses à la SDN List, conformément au décret présidentiel n°13405 gelant les avoirs des personnes visées à l'Annexe dudit décret.

2.3. Royaume-Uni

Désormais sorti de l'UE, le Royaume-Uni travaille à la construction d'un régime de sanctions britanniques propre et rigoureux.

A ce titre, le Secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères britanniques, Dominic Raab, avait également assuré dès le 17 août23 que l'archipel collaborerait avec ses partenaires internationaux afin de sanctionner les responsables et demander des explications aux autorités biélorusses.

Dans le cadre d'une action coordonnée avec le Canada, le Royaume-Uni a ainsi devancé ses voisins européens et son homologue américain en actant le 29 septembre de sanctions à effet immédiat à l'encontre de 8 membres du régime biélorusse dont Alexandre Loukachenko et son fils, Viktor Loukachenko24. Ces sanctions s'inscrivent dans le cadre du nouveau régime général de sanctions britannique réprimant les violations aux droits humains. Il s'agit d'ailleurs de la deuxième utilisation de ce régime de sanctions depuis sa création en juillet 2020.

Footnotes

1. https://www.consilium.europa.e...

2. Règlement (CE) n°765/2006 du Conseil du 18 mai 2006 - version consolidée.
https://www.tresor.economie.go...

3. https://www.consilium.europa.e...

4. https://www.consilium.europa.e...

5. https://www.consilium.europa.e...

6. Executive Order 13405, Blocking Property of Certain Persons Undermining Democratic
Processes or Institutions in Belarus
, 16 juin 2006. https://www.treasury.gov/resou...

7. https://www.francetvinfo.fr/mo...

8. https://www.amnesty.org/fr/lat...

9. https://apnews.com/602a96fa7d0... et https://www.euronews.com/2020/...

10. https://eeas.europa.eu/headqua...

11. https://www.consilium.europa.e...

12. https://ec.europa.eu/france/ne...

13. Résolution 2020/2779 (RSP) du 17 septembre 2020. https://www.europarl.europa.eu...

14. Visant à faire pression sur l'UE en raison de forages gaziers opérés par la Turquie dans les eaux chypriotes.

15. Tout en assurant leur soutien à Chypre mais également à la Grèce dans ce conflit territorial.

16. https://www.gov.uk/government/...

17. Résolution 2020/2779 (RSP) du 17 septembre 2020. https://www.europarl.europa.eu...

18. https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/fac/2020/10/12/.

19. https://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/fac/2020/10/12/.

20. https://www.state.gov/secretar...

21. https://www.voanews.com/europe...

22. https://by.usembassy.gov/deput...

23. https://www.gov.uk/government/...

24. https://www.gov.uk/government/...

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