1. Dans un article publié au Bulletin Droit & Banque n° 58, sous le titre « La loi du 5 août 2005 sur les contrats de garanties financières : compétence du juge des référés et admissibilité de son intervention »1, l'auteur du présent article avait, à la suite de différentes ordonnances de référé intervenues sur des litiges concernant les contrats de garanties financières, examiné la portée de l'arrêt de la Cour d'appel du 3 novembre 20102.

Après plusieurs arrêts ultérieurs de la Cour d'appel et un arrêt de la Cour de cassation, le moment semble venu de faire l'inventaire de l'ensemble de ces arrêts et de tenter d'en dégager une conclusion3.

L'arrêt de la Cour d'appel du 3 novembre 2010, ci-après « l'arrêt de 2010 » :

2. Cet arrêt avait été commenté à suffisance dans l'article ci-dessus. La Cour avait pris une position ferme en assurant sans tergiversation la réalisation des garanties financières et ce faisant, conformément à ce qu'a voulu le législateur, la sécurité juridique, en accord avec l'objectif de la directive dont la loi du 5 août 2005 est la transposition.

L'arrêt « Pillar »4 :

3. Certains avaient vu un fléchissement par rapport à l'arrêt de 2010 dans un arrêt de la Cour d'appel du 12 juillet 20175 dans une affaire « Pillar ». Il est vrai que, dans sa motivation, cet arrêt, rappelant le caractère accessoire du gage par rapport à la créance, dit que le gage « présuppose en principe l'exigibilité de la créance ». Or, estime la Cour, dans le cas de l'espèce, « la créance garantie n'a été rendue conventionnellement exigible par la déchéance du terme qu'en vertu du comportement du créancier », comportement qualifié d'abusif, de sorte que « la perte rétroactive du caractère exigible de la créance ôte toute régularité au recours par le créancier au gage consenti », ce dont il découlait « que les parties sont à remettre dans la situation qui était la leur avant la déchéance du terme provoquée par le créancier ».

La Cour avait noté que, en l'espèce, après un premier contrat de prêt non gagé, un nouveau contrat de prêt comportant le gage avait fait l'objet d'une résolution du contrat de prêt en raison de la survenance d'une condition résolutoire et que cette résolution du contrat avait, « quarante-sept minutes plus tard », activé le gage par voie d'appropriation de l'actif gagé.

La sanction de l'abus de droit ou de la fraude par  le créancier portait, dans le cas de l'espèce, sur une opération complexe : conclusion d'un contrat de garantie financière en remplacement d'un contrat de prêt antérieur non gagé ; exercice d'une condition résolutoire dépendant du seul créancier, avec déchéance du terme ; et réalisation du gage par appropriation.

4. L'arrêt Pillar pouvait paraître trancher une question sur laquelle l'arrêt de 2010 ne s'était pas prononcée, du moins expressément : celle de l'admissibilité d'une annulation d'une réalisation du gage pour cause d'abus de droit ou fraude, avec l'ordre au créancier de restituer au débiteur l'objet du gage, et donc une réparation en nature et non seulement par équivalent sous forme de dommages-intérêts.

Pour rappel, dans notre article publié au Bulletin Droit & Banque n° 58, sub. 23, nous nous étions, à ce sujet, exprimé comme suit :

« La question s'est posée en doctrine de savoir si, outre la sanction par l'action en responsabilité, une action en nullité est possible. La Cour (s'agissant de l'arrêt du 3 novembre 2010) ne s'est pas prononcée à ce sujet, mais il serait téméraire de conclure de son arrêt, où la question ne se posait pas, qu'elle aurait, en affirmant la possibilité d'une action en responsabilité, exclu une action en annulation. »

Nous nous étions ainsi référés au passage de l'arrêt du 3 novembre 2010 où la Cour rappelait qu'un « contrôle a posteriori dans le cadre d'une action en responsabilité, reste parfaitement réalisable ». Nous avions ainsi estimé qu'il aurait été « téméraire » de conclure, de la référence par la Cour à une action en responsabilité, a contrario, à l'exclusion de toute autre action.

En réalité, la sanction de la fraude par l'arrêt Pillar ne porte pas sur la réalisation du gage, mais sur l'évènement qui a déclenché cette réalisation, en l'occurrence l'échéance du terme du prêt et donc le prêt gagé en lui-même. Ce faisant, l'arrêt n'a pas, semble-t-il, mis en question la volonté du législateur de mettre les contrats de garantie financière « à l'abri d'une possible remise en cause », comme se sont exprimés les travaux parlementaires, rappelés par l'arrêt 2010.

L'arrêt Pillar est le seul arrêt à avoir subi jusqu'ici l'épreuve de la cassation, précisément sur ce point.

L'arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2019 sur l'affaire Pillar6 :

5. Rejetant les autres moyens comme irrecevables ou comme relevant de la souveraine appréciation des gages du fond, la Cour de cassation7 rejette comme non fondé le cinquième moyen, en sa troisième branche, dans les termes suivants :

« Attendu que le droit conféré par l'article 11, alinéa 1, de la loi du 5 août 20058 sur les contrats de garanties financières au créancier gagiste de s'approprier, en vertu de la convention entre parties, les avoirs gagés en cas de survenance d'un fait entraînant l'exécution de la garantie, ne s'oppose pas à ce que le juge, au cas où ce fait procède, comme en l'espèce, d'un abus de droit ou d'une fraude, mette fin à l'appropriation en ordonnant la restitution des avoirs appropriés ;

Attendu que les juges d'appel, en ordonnant la restitution en actions suite à l'abus de droit commis par la société Pillar Securitisation, n'ont partant pas violé les dispositions visées au moyen ;

Qu'il en suit qu'en sa troisième branche, le moyen n'est pas fondé ».

Ainsi, la Cour de cassation, sans toucher au caractère a posteriori de l'intervention du juge, qu'elle rappelle en permettant que le juge « mette fin à l'appropriation », consacre l'admissibilité, en cas d'abus de droit ou de fraude, de l'annulation du gage.

6. L'arrêt de la Cour de cassation ne s'exprime toutefois pas en termes généraux sur l'admissibilité d'une annulation : l'arrêt vise la fraude commise par « un fait entraînant l'exécution de la garantie »,  en l'espèce, le fait de rendre exigible la créance, et non, semble-t-il, l'exécution de la garantie en tant que telle, en d'autres termes l'évènement, au sens de l'article 6 (1) de la loi, déclencheur de la réalisation du gage, et non cette réalisation elle-même, en l'espèce l'appropriation.

De plus, on peut se demander si la Cour de cassation aurait jugé dans le même sens si la réalisation avait été exercée par une vente de gré à gré mais à des conditions jugées non commerciales. La situation n'est pas la même ni en fait, ni en droit. La vente de gré à gré affecte des tiers, les acheteurs, auxquels l'annulation devrait être appliquée et dont l'action, même si c'est à des conditions jugées non commerciales, n'est pas nécessairement constitutive d'une fraude ou un abus de droit. Serait-elle jugée annulable aussi, alors que la réparation par l'obtention de dommages-intérêts pourrait être la sanction adéquate ?

L'arrêt « Stabilus » :

7. Les principes énoncés par l'arrêt de 2010 furent réaffirmés par un arrêt du 16 mai 20189, dans une affaire « Stabilus ». Cette fois, l'action était exercée par le curateur de la faillite qui invoquait en ordre principal la nullité de la réalisation du contrat de gage par vente de gré à gré en vertu des articles 445, 446 et 448 du Code de commerce, en ordre subsidiaire, la nullité de la réalisation en vertu des dispositions du droit commun pour défaut de prix, et enfin le principe général de droit fraus omnia corrumpit.

8. Le tribunal et la Cour ont d'abord rejeté les dispositions tirées de la loi sur la faillite, constatant que l'article 20 (4) de la loi de 2005 rend inapplicables ces dispositions. Quant aux moyens tirés du droit commun, ils furent rejetés comme non applicables à leur tour, la loi de 2005 ayant disposé que les parties décident librement dans leur convention que les avoirs nantis peuvent notamment être vendus de gré à gré et ce à des conditions commerciales normales. Quant au moyen tiré par le curateur d'une fraude, l'arrêt déclare que, dans la loi de 2005, « le législateur a fait le choix de ne pas sanctionner par la nullité la fraude qui peut entacher des contrats de garanties financières et les contrats d'exécution » estimant « opportun de ne sanctionner le caractère frauduleux de ces contrats que par le biais d'une action en responsabilité à exercer contre les auteurs de la fraude ».

9. L'arrêt « ajoute », à l'appui du rejet de l'action en annulation, que le législateur, en matière de faillite, « a également rendu inapplicable l'article 448 de ce code qui prévoit que les paiements faits en fraude des créanciers sont nuls », ce dont l'arrêt conclut que l'intention du législateur était partant d'exclure les contrats de garanties financières du droit commun en ce qui concerne la sanction de la fraude pouvant les entacher. Le doute est permis quant à l'argument supplémentaire tiré par la Cour de l'inapplicabilité de l'article 448 du Code de commerce ; en effet, cette disposition vise des actes faits en fraude des créanciers, donc la fraude contre les créanciers et non la fraude du créancier qui reste du domaine du droit commun. En tirer une exclusion générale de l'application de la fraude ou de l'abus de droit paraît donc discutable.

10. Enfin quand à l'action en responsabilité, exercée par le curateur dans l'ordre le plus subsidiaire, la Cour renvoie l'examen de la justification de cette action aux premiers juges.

11. L'arrêt Stabilus semble, à première vue, en contradiction avec l'arrêt Pillar de la Cour de cassation intervenu dix mois plus tard. Ce du moins en ce que l'arrêt Stabilus se prévaut, en termes généraux, de l'exclusion en droit commun d'une annulation pour fraude des contrats de garantie financière. Mais la Cour de cassation se prononce, dans le cas qui lui est soumis, sur une fraude au niveau de l'évènement déclencheur de la réalisation du gage, en l'occurrence l'échéance du terme, non sur cette réalisation elle-même. Par contre, dans l'espèce Stabilus, le curateur se prévaut de la fraude commise, non pas au niveau de l'« évènement », évidemment donné par la faillite, mais au niveau de la réalisation du gage elle-même par vente de gré à gré mais, selon le curateur, à vil prix. Une annulation à ce niveau aurait pu être une atteinte à « la volonté du législateur » de mettre le contrat de garanties financières « à l'abri d'une mise en cause » de ce contrat.

En d'autres termes, on ne peut, au regard de l'espèce visée par le moyen et de la formule employée par l'arrêt de cassation, affirmer que l'arrêt Stabilus, malgré l'usage de motifs trop généraux, aurait encouru la censure de la Cour de cassation.

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Footnotes

1. Bulletin Droit & Banque, n°58, juin 2016, p.13.

2. C.A., 3 novembre 2010, JTL, 2011, p.33 ; commenté par N. ThielTgen, « Chronique de jurisprudence de droit bancaire luxembour- geois », Bulletin Droit & Banque, n°48, p.71.

3. Compte tenu de l'objet du présent article et de ses limites, cette rétrospective n'a pas à aborder les effets éventuels d'une saisie pénale sur les contrats de garanties financières.

4. On voudra bien pardonner à l'auteur de céder, comme les journaux, à la manie des titres en désignant chaque affaire par un titre significatif, évitant ainsi la liste des noms des parties truffés d'abréviations.

5. C.A., 12 juillet 2019, n°132/17 IV Com confirmatif d'un jugement du tribunal d'arrondissement de Luxembourg du 10 juillet 2013, JTL, n°60, 2018, p.178.

6.L'objet du présent article étant de faire l'inventaire de la jurisprudence luxembourgeoise, c'est à titre complémentaire qu'il est fait référence à la remarquable contribution faite par P. Kinsch à la tribune de l'Institut Grand-Ducal, section des sciences morales et politiques, en 2018, publiée au n° XXI des Actes de cette section, où il confronte en termes sévères, pp. 177 et suivantes, la loi du 5 août 2005 au droit commun et à ses principes. Il n'est pas exclu que l'arrêt de la Cour de cassation dans l'affaire « Pillar », intervenu postérieurement à cette communication puisse rassurer l'éminent auteur, au moins pour partie, sur la portée de cette loi et quant aux hésitations qu'il exprime prudemment in fine de ce chapitre sur sa constitutionnalité.

7. Cass., 14 février 2019, n° 27/2019, non publié.

8. Il s'agit bien de la loi du 5 août 2005 et non d'une loi du 5 août 2006 comme le dit par erreur la copie de l'arrêt de cassation.

9. C.A., 16 mai 2018, n°63/8 IV Com, JTL, 2018, p.172, confirmatif d'un jugement rendu par le tribunal d'arrondissement le 16 novembre 2017.

This article was first published in Bulletin Droit & Banque, n°67, ALJB, December 2020, pp. 11-16.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.