Cass. 3eciv., 7 mars 2024, n° 22-23.309

Par une nouvelle décision protectrice des intérêts des sous-traitants, la 3èmechambre civile de la Cour de cassation accentue la pression sur les maîtres d'ouvrage pour les contraindre à ne pas tolérer d'opérations de sous-traitance irrégulières.

Un nouvel arrêt de principe destiné à la publication précise en effet l'étendue du préjudice dont le sous-traitant peut demander réparation au maître d'ouvrage en cas de sous-traitance irrégulière au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.

L'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 fait peser sur le maître d'ouvrage deux obligations :

  • Mettre en demeure l'entrepreneur principal de lui présenter tout sous-traitant non accepté et dont les conditions de paiement n'ont pas été agréées, dont il a connaissance de la présence sur le chantier,
  • En cas de sous-traitant accepté et dont les conditions de paiement ont été agréées, exiger de l'entrepreneur principal qu'il justifie avoir fourni une caution bancaire au sous-traitant garantissant le prix des travaux sous-traités, si ce dernier ne bénéficie pas d'une délégation de paiement.

En cas de sous-traitance irrégulière au regard des dispositions de la loi du 31 décembre 1975, le sous-traitant confronté à l'insolvabilité de l'entrepreneur principal pourra obtenir le paiement du solde de ses travaux en engageant la responsabilité quasi-délictuelle du maître d'ouvrage sur le fondement des dispositions de l'article 14-1 de la loi de 1975 et de celles de l'article 1240 du code civil. Il lui faudra alors démontrer que le maître d'ouvrage a commis une faute en laissant persister une opération de sous-traitance irrégulière.  

Par deux attendus particulièrement didactiques, la Cour de cassation a tout d'abord rappelé les règles d'indemnisation applicables en pareilles circonstances :

  • Si le sous-traitant n'a pas été présenté au maître de l'ouvrage et que ses conditions de paiement n'ont pu être agréées, le sous-traitant se voit ainsi privé de la possibilité d'exercer l'action directe du sous-traitant contre le maître de l'ouvrage et son préjudice s'apprécie au regard des sommes que le maître d'ouvrage restait devoir à l'entrepreneur principal au jour où il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier, ou des sommes qui ont été payées à l'entrepreneur principal après cette date ;
  • Si le sous-traitant a été accepté et que ses conditions de paiement ont été agréées mais que le maître d'ouvrage ne s'est pas assuré de la remise au sous-traitant d'une caution ou de la mise en place d'une délégation de paiement, son préjudice correspond à la différence entre les sommes qu'il aurait reçues s'il avait bénéficié d'une caution ou si une délégation de paiement avait été mise en place, et celles qu'il a effectivement reçues.

Ces principes s'inscrivent dans la lignée de plusieurs décisions précédemment rendues par la 3èmechambre civile de la Cour de cassation (Cass. 3eciv., 14 décembre 2022, n° 21-19.377 et 21-19.547).

Le principal apport de l'arrêt concerne la seconde hypothèse d'un sous-traitant accepté mais ne disposant pas de l'une ou l'autre des garanties de paiement prévues par l'article 14 de la loi de 1975 (caution ou délégation de paiement) : le cas échéant, le maître d'ouvrage est tenu de l'indemniser de l'intégralité des sommes lui restant dues par l'entrepreneur principal, en ce compris le paiement de travaux supplémentaires et/ou d'une rémunération complémentaire en cas de bouleversement de l'économie du sous-traité, peu important que ces travaux supplémentaires ou cette demande de rémunération complémentaire n'aient pas été préalablement validés par le maître de l'ouvrage. Dit autrement, le préjudice subi par le sous-traitant correspond à l'intégralité de sa créance de travaux impayés à l'égard de l'entrepreneur principal, sans exception et sans droit de regard quelconque du maître de l'ouvrage.  

Ce faisant, la 3èmechambre civile de la Cour de cassation inclut dans l'assiette de l'indemnisation du sous-traitant le paiement de travaux supplémentaires et/ou d'une rémunération complémentaire pourtant exclus de l'assiette de la garantie de paiement du sous-traitant, ce qui peut sembler paradoxal par rapport au second principe d'indemnisation précédemment posé.

Pour rappel, et jusqu'alors, la 3èmechambre civile de la Cour de cassation écartait de l'indemnisation due par le maître d'ouvrage au sous-traitant le prix des travaux supplémentaires réalisés par le sous-traitant dès lors que n'était pas rapportée la preuve d'un accord écrit du maître d'ouvrage ou de l'entrepreneur principal sur la réalisation de ces travaux (Cass. 3eciv., 10 juillet 2002, n° 00-17.150).

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