Face aux critiques récurrentes de l'opacité des entités américaines et après de multiples projets de réforme inaboutis (dont l'un proposé en 2008 par Barack Obama, alors sénateur, ou un autre ayant fait l'objet du veto du Président Trump en 2020), le législateur fédéral américain a finalement adopté le 1erjanvier 2021 le Corporate Transparency Act (« CTA ») créant une obligation analogue aux déclarations de bénéficiaires effectifs désormais banales en Europe.

Cette législation, accompagnée depuis le 29 septembre 2022 par une règlementation promulguée par le Financial Crimes Enforcement Network («  FinCEN »), division du département du trésor américain, fait toutefois face – et sans surprise compte tenu des échecs passés – à une contestation acharnée.

C'est ainsi que le 1ermars dernier, un tribunal fédéral de première instance a fait droit à l'argumentaire de l'association National Small Business United (« NSBU ») et d'autres, pour prononcer le caractère inconstitutionnel du CTA comme outrepassant les prérogatives du législateur fédéral1.

Cette décision, bien qu'elle mette du plomb dans l'aile du CTA, n'est à ce stade applicable qu'entre les parties au litige. Les acteurs américains et étrangers devraient donc se conformer aux exigences du CTA en temps utile, par le dépôt des déclarations sous 90 jours de l'immatriculation des entités créées en 2024 et avant le 1erjanvier 2025 pour les autres.

Il faut noter que dans l'éventualité où le CTA serait déclaré définitivement non conforme à la constitution américaine, il pourrait éventuellement être ressuscité par le législateur fédéral, même avant toute décision définitive de la cour suprême.

Sous réserve des développements à venir concernant la constitutionalité du CTA, la présente note porte sur la définition des entités soumises à l'obligation déclarative (I), celle des bénéficiaires effectifs à déclarer (II), le contenu de la déclaration et son déroulement pratique (III), les sanctions applicables (IV) et l'accès au registre américain des bénéficiaires effectifs (V).

I – Les entités ayant une obligation déclarative

Sont concernées par la règlementation, toutes les entités à responsabilité limitée :

  • américaines (corporations, limited liability companies – LLC, limited liability partnerships – LLP, etc.), créées par immatriculation auprès d'une autorité d'un état des Etats-Unis (secretary of state) ou une autorité d'une tribu amérindienne ; ou
  • étrangères, immatriculées auprès d'une telle autorité pour exercer leur activité aux Etats-Unis.

Le texte prévoit toutefois de nombreuses exceptions, concernant principalement des entités régulées ou soumises à certains régimes d'immatriculation2ainsi que les entités d'une certaine taille (large operating companies3), à savoir :

  • employant 20 employés à temps plein sur le sol américain ;
  • réalisant un chiffre d'affaires brut annuel sur le sol américain, et déclaré fiscalement aux Etats-Unis (au niveau fédéral), supérieur à 5 millions de dollars ; et
  • disposant d'une activité opérationnelle aux Etats-Unis.

Les entités contrôlées directement ou indirectement par une entité exemptée le sont en principe également4. L'exemption étant cependant uniquement descendante, la question peut se poser des holdings bénéficiaires effectifs de sociétés exemptées (notamment dans des montages type private equity ou fonds).

Contrairement à la règlementation française dont les contours sont définis à l'article L.561-45-1 du Code monétaire et financier (« CMF »), qui se veut globalement exhaustive, les exceptions prévues par les textes américains en réduisent effectivement le champ pour se concentrer sur les sociétés coquilles ou de taille modeste, qui sont les véhicules cibles du système établi par le CTA.


II – La notion de bénéficiaire effectif

Les bénéficiaires effectifs faisant l'objet des obligations déclaratives sont les personnes physiques qui, directement ou indirectement, par contrat ou autre (i) détiennent ou contrôlent au moins 25% du total (sur une base non-diluée) des intérêts bénéficiaires (ownership interests) de l'entité concernée ou (ii) exercent un contrôle significatif (substantial control) sur l'entité concernée.

Les intérêts bénéficiaires sont définis très largement pour englober non seulement des titres ou participations représentatifs de capital (actions, partnership interests, etc.) ou y donnant accès mais également des instruments et droits contractuels divers5.

Quant aux personnes disposant d'un « contrôle significatif » (substantial control), il s'agit notamment (i) de dirigeants (senior officers)6 de l'entité concernée (même en l'absence d'intérêts capitalistiques), (ii) de personnes ayant le pouvoir de désignation de tels dirigeants ou d'une majorité des administrateurs (ou équivalent) de l'entité concernée ou (iii) de personnes disposant de pouvoir ou « influence significative » (substantial influence) sur des décisions importantes de l'entité.

Les enfants mineurs, mandataires, gardiens et héritiers futurs d'intérêts sont exclus, tout comme les salariés ne disposant pas de contrôle significatif et les créanciers.

Ces critères volontairement larges ont vocation à limiter les possibilités de superpositions malignes d'entités visant à éviter la qualité de bénéficiaire effectif. 

Si la liste des entités concernées par la règlementation est significativement réduite par les nombreuses exceptions prévues, la définition des intérêts bénéficiaires est quant à elle bien plus large que celle de l'article R.561-1 du CMF, traduisant clairement la volonté du législateur américain de prévenir les manSuvres visant à contourner les obligations déclaratives. Il est donc possible que de nombreux bénéficiaires effectifs soient à déclarer au sein de certaines entités, notamment lorsqu'il existe des pactes d'actionnaires incluant des droits de nomination des dirigeants, des conventions de vote et autres accords relatifs aux titres.

Un point de confort en revanche concernant les conseils juridiques et financiers : FinCEN a expressément admis que leurs relations ordinaires avec l'entité concernée, dans des conditions normales de conseil, ne sont pas considérées comme relevant de l'exercice d'un contrôle significatif.


III – Contenu et pratique de la déclaration

La déclaration des bénéficiaires effectifs comprendra les éléments suivants :

(a.) Les informations permettant l'identification de l'entité concernée, soit :

  1. dénomination sociale ;
  2. tout nom commercial ou doing business as (DBA), déposé ou non ;
  3. siège social (lieu effectif d'exercice de l'activité et non domiciliation) ;
  4. juridiction d'immatriculation ou formation ; et
  5. numéro fiscal d'identification (à obtenir préalablement à la déclaration) ;

(b.) Pour chacun des bénéficiaires effectifs, le nom, la date de naissance, l'adresse de résidence8 et le numéro d'identification (issu d'une pièce d'identité recevable8 dont copie doit être jointe) ; et

(c.) La personne réalisant l'immatriculation de l'entité concernée (incluant les prestataires formalistes) et celle gérant l'immatriculation (incluant les avocats), dans la limite globale de deux personnes.

Selon certaines estimations près de 33 millions d'entités pourraient être concernées dès 2024.

Les déclarants se verront attribuer un numéro d'identification FinCEN à reprendre dans certains documents officiels. Le numéro FinCEN permettra notamment à certains bénéficiaires effectifs de ne pas avoir à réitérer tout le processus déclaratif pour chaque déclaration – par exemple, pour certains fonds privés ou acteurs immobiliers qui ne sont pas exemptés et ont pour pratique de constituer de nombreuses sociétés.

En règle générale, la déclaration est à déposer dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la création de l'entité concernée (décompté à compter de la réception d'une notification de constitution / enregistrement ou d'inscription sur les registres publics). Ce délai et porté à 90 jours pour les entités constituées ou enregistrées pour la première fois en 2024. Pour les entités créées avant le 1erjanvier 2024, la déclaration devra intervenir avant le 1erjanvier 2025 et omettra le point (c) ci-dessus.

Tout changement relatif aux informations préalablement déposées devra être déclaré sous 30 jours.

En pratique, le dépôt du formulaire de déclaration des bénéficiaires effectifs doit être effectué électroniquement sur le site internet de FinCEN, via une plateforme dédiée et sécurisée. Aucun frais n'est payable à la FinCEN.

Des prestataires de services tiers peuvent réaliser ces dépôts pour le compte des entités concernées. Le recours à ces plateformes semble d'ores et déjà présenter certains intérêts pratiques9.


IV – Les sanctions

Le CTA prévoit des sanctions civiles et pénales dissuasives en cas d'abstention volontaire de déclaration, d'absence de mise à jour des informations fournies ou de fausses déclarations, à savoir une astreinte de 500$ par jour de retard, une amende pouvant atteindre 10.000$ et jusqu'à deux ans d'emprisonnement.

Ces sanctions s'appliqueraient tant aux individus qu'à l'entité concernée ou à d'autres entités potentiellement responsables des irrégularités constatées. Elles sont effectivement plus lourdes que celles prévues en droit français par l'article L.574-5 du CMF.

Il est toutefois possible que leur mise en Suvre prenne un certain retard, compte tenu (i) des discussions en cours s'agissant de l'éventuelle inconstitutionnalité du CTA et (ii) du volume de données à traiter par FinCEN et de ses ressources disponibles10.

V – Accessibilité du registre

La base de données des bénéficiaires effectifs est hautement sécurisée et inaccessible au public. C'est un des chantiers majeurs justifiant le délai de plus d'un an entre la publication par FinCEN de la règlementation finale et son entrée en vigueur au 1erjanvier 2024.

Ont accès au registre des autorités locales et fédérales américaines, ainsi que certaines autorités étrangères en ayant fait la demande aux fins de sécurité nationale, de renseignement ou de maintien de l'ordre.

Si les entités déposantes y consentent, des institutions financières peuvent également y accéder afin de faciliter leurs process KYC (know your customer).

La possibilité ainsi prévue pour des états tiers de demander l'accès au registre des bénéficiaires effectifs américains constitue une étape complémentaire dans le domaine de la coopération internationale, notamment en matière de lutte anti-blanchiment/financement du terrorisme (LAB/LAT).


Si la mise en place d'un registre des bénéficiaires effectifs américains s'est fait attendre et sa validation reste soumise à l'aléa judiciaire, elle s'inscrit dans une volonté marquée de transparence au niveau des institutions américaines.

La Securities Exchange Commission a par exemple amendé le 10 octobre 2023 les règles applicables aux déclarations de bénéficiaires effectifs sous les sections 13(d) and 13(g) du Securities Exchange Act de 1934 afin notamment de réduire les délais de déclarations initiales ou modificatives.

Cette volonté de transparence semble désormais rayonner au niveau local, indépendamment du sort de la législation fédérale. L'état de New York a en effet adopté une nouvelle loi, exigeant à compter de 2025 la divulgation des bénéficiaires effectifs de toutes les LLCs créées ou immatriculées dans cet état11. Des propositions de loi similaires sont à l'étude dans d'autres états américains (y compris Californie, Massachussetts et Maryland).  

Ces développements laissent donc présager une explosion de ces obligations déclaratives à court terme, qui génèrera sans doute de nombreuses problématiques de conformité dans l'audit juridique de structures américaines – surtout s'il faut tenir compte de procédures contentieuses.

Nos équipes se tiennent à votre disposition pour vous aider à évaluer votre situation et vous accompagner dans ces déclarations.

Footnotes

1. National Small Business Union v. Yellen, n° 5:22-cv-01448 CN. D. Ala., March 1, 2024

2. Soit notamment les sociétés émettant des titres cotés ou soumises à des obligations déclaratives auprès de la SEC, certains intermédiaires ou conseils en matière financière, des marchés financiers, des  banques et d'autres établissements de crédit, certains prestataires de services de paiement, des assureurs et intermédiaires en assurance, des cabinets d'experts-comptables, des entités exonérées d'impôt et celles les assistant, des autorités gouvernementales et entités du service public (électricité, gaz ou assainissement) et certaines entités inactives, sans actif, créées avant le 2 janvier 2020, dont aucun étranger (c'est-à-dire, un individu autre qu'une US person) ne détient une participation directe ou indirecte.

3. Cette exemption s'apprécie exclusivement sur la base d'une entité isolée et non d'un groupe.

4. La notion de contrôle n'est pas définie dans le CTA pour les besoins de cette exemption, ce qui génère des incertitudes. Une approche de bon sens semble adaptée à ce stade et consisterait certainement à (i) retenir des critères de contrôle similaires à ceux prévus par l'article L.233-3 du Code de commerce et (ii) s'intéresser à leur mise en œuvre pratique. 

5. Par exemple : putcall ou autre « instrument, contract arrangement, understanding, relationship or mechanism used to establish ownership ».

6. Au titre desquels peut notamment figurer un directeur juridique.

7. Sous certaines conditions, une adresse professionnelle peut être utilisée.

8. Pièce d'identité américaine, émise par un état américain ou une tribu amérindienne, un permis de conduire américain valide ou un passeport étranger valide.

9. Le système développé par FinCEN ne permet pas, en l'état, de sauvegarder une déclaration en cours, contrairement à certains prestataires tiers qui autorisent déjà le versement progressif des informations sur des plateformes sécurisées privées.

10. FinCen a par exemple mis en place une plateforme téléphonique afin de répondre aux questions des déclarants, dotée d'une trentaine d'employés seulement, ce qui semble insuffisant compte tenu du volume de questions attendu.

11. Voir à ce sujet https://www.kramerlevin.com/en/perspectives-search/the-ny-llc-transparency-act-what-you-need-to-know-now.html.

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