2018 aura été marquée par le nombre des décisions rendues par le Tribunal de l'Union européenne (Trib. UE) et par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) : une dizaine pour le premier et environ une vingtaine pour la seconde. Une hausse sensible puisqu'à notre connaissance, et donc sauf oubli, il y en avait en 2017 moins de 5 pour le Tribunal et moins de 10 pour la Cour. Hausse qui n'est pas étonnante en raison du nombre croissant des textes (V. l'index des textes UE in Th. Bonneau, Régulation bancaire et financière européenne et internationale : Bruylant, 4e éd., 2018, spéc. p. 889 à 916) tant des niveaux 1 (adoptés selon la procédure de co-décision par le Parlement européen et le Conseil) et 2 (adoptés par la Commission européenne) et que de niveau 3, ce qui vise la soft law produite par les Autorités européennes de surveillance (ESA : European Supervisory Authorities) et la Banque centrale européenne (BCE) – et de leur volume sans oublier leur complexité !

Mais ils ne le sont pas uniquement en raison du nombre de décisions qu'ils rendent. Ils le sont également pour d'autres raisons, bien plus cruciales.

La première est liée à la diversité des questions traitées. Il n'y a pas un pan de la législation bancaire et financière qui leur échappe. Le Tribunal et la Cour ont ainsi eu à trancher, en 2018, les questions suivantes :

  • la surveillance prudentielle des établissements de crédit (annulation des décisions BCE refusant d'exclure du ratio de levier certaines expositions liées à des livrets d'épargne français (Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-768/16, BNP Paribas. – Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-733-16, Banque Postale. – Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-745/16, BPCE. – Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-751/16, Conféd. nationale du Crédit mutuel. – Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-757/16, Sté Générale. – Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-758/16, Crédit agricole SA) ; dépassement de la limite d'exposition aux grands risques (CJUE, 7 août 2018, aff C-52/17, VTB Bank (Austria) AG c/ Finanzmarktaufsichtsbehörde : Revue Banque n° 824 oct. 2018, p. 94, obs. J. Lasserre Capdeville et J.-Ph. Kovar) ; - la suspension de mesures nationales prises à l'encontre d'un gouverneur de banque centrale (CJUE, ord., 20 juill. 2018, aff. C-238/18 R, BCE c/ République de Lettonie : Revue Banque n° 825 nov. 2018, p. 79, obs. J. Lasserre Capdeville et J.-Ph. Kovar) ;
  • le secret professionnel s'imposant aux autorités de compétentes (CJUE, 19 juin 2018, aff. C-15/ 16, Bundesanstal für Finanzdienstleistungsaufsicht c/ Ewald Baumesiter (notion d'informations confidentielles) : JurisData n° 2018-011081 ; RD bancaire et fin. 2018, comm. 151, note Th. Bonneau ; Europe 2018, comm. 334, note D. Simon ; Bull. Joly Bourse 2018 p. 294, note M. Galland ; Banque et droit 2018, n° 181, p. 40, obs. J. Morel-Maroger. – CJUE, 13 sept. 2018, aff. C-358/16, UBS Europe SE, anciennement UBS (Luxembourg) SA, Alain Hondequin et Cts (procédure de sanction administrative et cas relevant du droit pénal) : Banque et droit 2018, n° 181, p. 40, obs. J. Morel-Maroger. – CJUE, 13 sept. 2018, aff. C-594/16, Enzo Buccioni c/ Banca d'Italia : Banque et droit 2018, n° 181, p. 40, obs. J. Morel-Maroger) ;
  • le programme de la BCE dit « programme PSPP » visant à l'acquisition d'obligations souveraines sur les marchés secondaires (CJUE, 11 déc. 2018, aff. C-493/17, Heinrich Weiss e.a., Bernd Lucke e.a., Peter Gauweiler, Johann Heinrich von Stein e.a) ;
  • les aides d'État à la résolution d'un établissement de crédit (CJUE, 7 nov. 2018, aff. C-544/17 P, BPC Lux 2 Sàrl c. Commission européenne) ;
  • la notion de dirigeants effectifs au sens de la législation bancaire (Trib. UE, 24 avr. 2018, aff. jtes T-133 à 136/16, Caisses régionales de crédit agricole mutuel Alpes Provence, Nord Midi-Pyrénées, Charente-Maritime et Brie Picardie c/ Banque centrale européenne : JCP E 2018, 337 ; Banque juill.-août 2018, p. 70, obs. J. Lasserre Capdeville et J.-Ph. Kovar ; RD bancaire et fin. 2018, comm. 116, note Th. Samin et S. Torck) ;
  • l'indemnisation de déposants et d'investisseurs se plaignant d'une réduction substantielle de leurs droits à la suite du plan mis en place pour aider la République de Chypre (Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-680/13, Dr. K. Chrysostomides & Co. LLC c/ Conseil de l'UE et a. – Trib. UE, 13 juill. 2018, aff. T-786/14, Eleni Pavlikka Bourdouvali c/ Conseil de l'UE et a.) ;
  • la notion de « dépôt indisponible » au sens de la législation relative à la garantie des déposants (CJUE, 4 oct. 2018, aff. C-571/16, Nikolay Kantarev c/ Balgarska Narodna Banka : Revue Banque déc. 2018, n° 826, p. 81, obs. J.-Ph. Kovar et J. Lasserre Capdeville) ;
  • l'accès à une décision BCE et à des documents liés à celle-ci (Trib. UE, 26 avr. 2018, aff. T-251/15, Espirito Santo Financial (Portugal), SGPS, SA, c/ Banque centrale européenne) ;
  • le chevauchement des législations concernant les systèmes de garantie de dépôts et des investisseurs, la question étant de savoir si une créance peut relever des deux systèmes (CJUE, 22 mars 2018, aff. C-688/15 et C-109/16, Agnieaka Anisimoviene e.a. et « Indeliu ir investiciju draudimas » VI : Banque et droit 2018, n° 180, p. 32, obs. J. Morel-Maroger ; RD bancaire et fin. 2018, comm. 115, note Th. Samin et S. Torck) ;
  • la règle non bis in idem en matière d'abus de marché (CJUE, 20 mars 2018, aff. C-596/16 et C-597/16, Enzo Di Puma c/ Consob (opération d'initié). – CJUE, 20 mars 2018, aff. C-537/16, Ricucci et a. c/ Consob (manipulation de marché) : Dr. sociétés 2018, comm. 88, note R. Vabres ; Europe 2018, comm. 169, note D. Simon ; RD bancaire et fin. 2018, comm. 82, note P. Pailler ; RTDF 2018, n° 1, p. 87, obs. E. Dezeuze et N. Rontechvki ; Banque et droit 2018, n° 179, p. 28, obs. J. Chacornac. – Adde, J.-J. Daigre, Ne bis in idem ou bis repetita placent ? : Banque et droit 2018, n° 179, p. 3. – E. Jouffin, Le manteau d'Arlequin de la répression des délits boursiers : Banque et droit 2018, n° 179, p. 8) ;
  • les prêts libellés en francs suisses au regard de la législation sur les clauses abusives (CJUE, 20 sept. 2018, aff. C-51/17, OTP Bank Nyrt., OTP Faktoring Követeléskezelo Zrt. c/ Teréz Ilyés, Emil Kiss : JurisData n° 2018-018070 ; JCP G 2018, 1057, obs. D. Berlin) ;
  • la notion de coût du crédit en l'absence de mention du TAEG au regard de la législation des clauses abusives (CJUE, 20 sept. 2018, aff C-448/17, EOS KSI Slovensko s. r. o. c/ Ján Danko, Margita Danková : JurisData n° 2018-018075) ;
  • les services de paiement, pour déterminer si en constituait un le service de retrait d'espèces offert à des clients par un exploitant de salles de jeux au moyen de terminaux multifonctions installés dans lesdites salles (CJUE, 22 mars 2018, aff. C-568/16, Rasool : Europe 2018, comm. 186, note S. Cazet) ;
  • les schémas de cartes de paiement tripartite ayant conclu un accord de comarquage (CJUE, 7 févr. 2018, 2 décisions, aff. C-643/16, American Express Compagny : JurisData n° 2018- 003823 – dérogation aux exigences posées par l'article 35 de la directive du 25 novembre 2015 relatif à l'accès aux systèmes de paiement – Et CJUE, 7 févr. 2018, aff. C-304/16 : JurisData n° 2018-001603, qualification de schéma de cartes de paiement quadripartite au sens de l'article 1, § 5, du règlement du 29 avril 2015) ;
  • le champ d'application de la législation anti-blanchiment quant aux personnes (CJUE, 17 janv. 2018, aff. C-676/16, Corporate companies s.r.o c/ Ministerstvo financi CR : Juris- Data n° 2018-001281) ;
  • les contrats de garantie financiers (CJUE, 25 juill. 2018, aff. C-107/17, « Aviabaltika » UAB c/ « Ukio bankas » AB) ;
  • la compétence du juge pour contrôler la légalité des actes préparatoires et des propositions faites par les autorités nationales dans le cadre d'un processus conférant le pouvoir décisionnel final à la BCE (compétence exclusive du juge de l'UE lorsque la BCE n'est pas liée par les actes et propositions émanant des autorités nationales : CJUE, 19 déc. 2018, aff. C-219/17, Silvio Berlusconi e.a. c/ Banca d'Italia e.a. : JCP E 2019, 52, obs. D. Berlin).

La seconde raison, qui est en lien avec la première, est la contribution que les arrêts du Tribunal et de la Cour apportent à l'interprétation, et donc à la compréhension, de la législation européenne. L'apport de certains d'entre eux est d'ailleurs assez remarquable. En sont une illustration les décisions du 20 mars 2018 relatives à la règle non bis in idem (V. également, Th. Bonneau, Régulation bancaire et financière européenne et internationale, préc., n° 326.2), à tel point d'ailleurs que l'on peut penser que le système de l'aiguillage mis en place en 2016 ne l'aurait sans doute pas été (V. Th. Bonneau, Le système de l'aiguillage, une réforme inutile ? : Bull. Joly Bourse 2018, p. 129) si lesdites décisions avaient été rendues de façon contemporaine aux décisions qui sont à son origine. La même observation vaut pour les décisions des 19 juin et 13 septembre 2018 qui ont permis, en harmonie avec l'arrêt du 12 novembre 2014 (CJUE, 12 nov. 2014, aff. C-140/13, Altamann et a. c/ Bundesanstal für Finanzdienstleistungsaufsicht : RD bancaire et fin. 2015, comm. 67, note Th. Bonneau ; Bull. Joly Bourse 2015, p. 68, note J. Morel-Maroger), de cerner la portée du secret imposée aux autorités compétentes, celui-ci ayant été imposé en particulier pour assurer le bon fonctionnement des marchés financiers et la stabilité du système financier, étant précisé que toutes les informations recueillies par ces autorités ne sont pas des informations confidentielles au sens de la législation MIF et que les dérogations au principe d'interdiction de communiquer les informations confidentielles sont d'interprétation stricte (V. Th. Bonneau, Le secret professionnel prévu par les textes MIF et CRD à l'épreuve de la jurisprudence européenne : RJDA 2/2019, p. 83).

Les arrêts du Tribunal et de la Cour donnent ainsi d'utiles indications – c'est la troisième raison qui fonde notre opinion – tant aux émetteurs, professionnels et investisseurs qu'aux autorités publiques. Il est inutile de revenir sur le message des arrêts du 20 mars 2018 qui permet au législateur d'organiser le cumul, à certaines conditions, des répressions administrative et criminelle. Étant observé que les arrêts des 19 juin et 13 septembre 2018 fixent des normes de comportement s'imposant aux autorités compétentes en matière de secret professionnel et que d'autres arrêts, comme ceux du 13 juillet 2018 annulant les décisions de la BCE refusant d'exclure du ratio de levier certaines expositions liées à des livrets d'épargne français, illustrent l'effectivité du contrôle effectué par le juge européen – c'est là une quatrième raison, et non la moindre, à notre opinion – sur les décisions prises par les autorités du secteur bancaire et financier (sur le contrôle exercé par le Trib. UE sur la BCE, V. M. Roussille, Montée en puissance du contentieux avec la BCE : le TUE au secours des banques françaises : Banque et droit 2018, n° 181, p. 30, spéc. p. 31). Ces décisions ne sont pas sans rappeler la censure, intervenue en 2015, de la BCE par le Tribunal de l'Union européenne à propos de la localisation des contreparties centrales sur le territoire de l'un des États membres de la zone euro (Trib. UE, 4 mars 2015, aff. T-496/11, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord c/ Banque centrale européenne, pt 3 : RD bancaire et fin. 2015, comm. 109, note Th. Bonneau ; Banque, n° 785, juin 2015, p. 91, obs. J.-Ph. Kovar et J. Lasserre Capdeville ; Banque et droit 2015, n° 161, p. 65, obs. J. Morel-Maroger ; D. 2015, Pan., p. 2145, obs. H. Synvet. – V. également, F. Martucci, La BCE dans l'Union de droit : le Tribunal annule le cadre de surveillance des systèmes de paiement, de compensation et de règlement : Trib. UE, 4 mars 2015, aff. T-496/11, Royaume-Uni c/ BCE ; RAE 2015/1, p. 213).

Ces dernières décisions ne sauraient étonner et illustrent ce qu'est un État de droit. Ce qui mérite d'être souligné car, on le sait, les autorités, pas plus que les personnes privées, n'aiment être censurées. D'autant que lesdites autorités peuvent s'estimer plus compétentes que le juge... Ce qui est une façon polémique, il est vrai, d'évoquer les relations entre les juges et les autorités du secteur bancaire et financier. Mais à en croire certains échos, il y a là un brin de vérité !

Originally published in Revue de Droit Bancaire et Financier

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