Presque dix ans après le scandale du Rana Plaza et alors que de nombreuses voix s'élèvent au sujet de violations des droits de l'Homme dans l'industrie textile, la Cour d'appel de Paris vient de se prononcer dans un arrêt particulièrement intéressant mêlant responsabilité sociétale des entreprises et rupture brutale des relations commerciales établies.

Le 24 mars dernier, elle a ainsi retenu qu'à défaut pour le fournisseur de s'assurer du respect par ses sous-traitants du code éthique de son client, la rupture immédiate des relations commerciales ne pouvait pas être brutale au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce.

En l'espèce, depuis 2013, la société Promod, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de vêtements et accessoires de mode, entretenait une relation commerciale établie avec l'un de ses fournisseurs, la société Paris Première.

Leurs relations commerciales étaient formalisées par la conclusion d'une convention unique annuelle, renouvelable chaque année, à laquelle était systématiquement annexée le code éthique de la société Promod formalisant les obligations devant être respectées par son fournisseur et ses sous-traitants.

Le code éthique prévoyait la validation en amont par la société Promod des sous-traitants de ses fournisseurs, notamment s'agissant des sites de production, ainsi que la réalisation d'audits de contrôle.

Dans ce cadre, après avoir passé commande auprès de son fournisseur, la société Promod a réalisé un audit dans une des usines de production qui a révélé des non-conformités en matière de droit du travail.

La société Promod a informé son fournisseur qu'elle bloquerait le passage de toute future commande. Elle a également refusé de réceptionner les marchandises déjà fabriquées par ce site de production.

Dans ces conditions, la société Promod a notifié à son fournisseur la rupture de leurs relations commerciales et sollicité que les produits déjà fabriqués soient dégriffés.

Le fournisseur a agi, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce (nouveau L. 442-1) en rupture brutale des relations commerciales établies à l'encontre de la société Promod.

Aux termes de son arrêt du 24 mars 2021, la Cour d'appel de Paris confirme le jugement du Tribunal de commerce de Lille qui avait rejeté la demande formée par le fournisseur en retenant que les non-conformités observées au code éthique de la société Promod ne sont pas contestées et que, malgré ses demandes répétées de mises en conformité aux règles du code éthique, de l'Organisation internationale du travail et aux législations applicables, le fournisseur ne s'était pas conformé.

En effet, pour justifier la rupture de leurs relations, la société Promod reprochait à son fournisseur l'existence de difficultés dans l'usine de production relatives, notamment, à des problèmes de santé et de sécurité, de rémunération en deçà du minimum légal et décorrélées des heures effectivement travaillées.

De manière intéressante, pour écarter toute responsabilité de la société Promod dans la rupture immédiate des relations commerciales établies, la Cour d'appel de Paris a considéré que la violation par le sous-traitant du fournisseur du code éthique du client rendait la rupture prévisible : 

« De ce fait, la société Promod a légitimement perdu confiance dans ce fournisseur, par suite de l'incapacité de celui-ci à intégrer et à assumer les nouvelles normes rendues obligatoires en vertu du code éthique, à juste titre jugées essentielles par la société Promod, et il doit être retenu que la rupture brutale des relations commerciales était prévisible pour la société Paris Première qui, par ses manquements particulièrement graves au regard du contrat cadre liant les parties, a causé cette rupture qui est exempte de faute de la société Promod »1.

Cette décision particulièrement intéressante s'inscrit dans un contexte où les sociétés sont appelées à s'assurer avec une acuité croissante du respect des droits de l'Homme et de l'environnement.

A cet égard, nous rappellerons que le 10 mars dernier, le Parlement européen a ainsi adopté une résolution en faveur d'une législation européenne contraignante, sous la forme d'une directive, relative au « Devoir de vigilance et responsabilité des entreprises »2.

Par ce texte, le Parlement souhaite, en substance, responsabiliser les grandes entreprises européennes, dans toutes leurs activités, y compris celles de sous-traitants à l'étranger, en créant une responsabilité juridique. La Commission européenne devrait se prononcer dans les mois prochains sur ce projet de Directive.

Fournisseurs, soyez-donc vigilants !

Footnotes

1 Cour d'appel de Paris, 24 mars 2021 – RG n° 19/15565

2 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0073_FR.html

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