Un récent arrêté ministériel émis aux termes de la législation d'urgence sur la COVID-19 a temporairement prolongé les délais pendant lesquels le gouvernement peut ordonner des examens de sécurité nationale en vertu de la Loi sur Investissement Canada (LIC) en ce qui concerne les acquisitions étrangères. Ces nouveaux délais ont des conséquences sur les acheteurs étrangers qui font des investissements au Canada, plus particulièrement ceux qui peuvent être liés à la défense, aux infrastructures, à la santé publique et aux biens et services essentiels.

Droit et pratique avant la récente ordonnance temporaire

En vertu de la LIC, toutes les acquisitions étrangères du contrôle d'entreprises canadiennes sont soumises soit à une simple obligation de notification, soit à un processus d'examen plus complexe, qui dépend généralement de la taille de l'investissement. La LIC prévoit des dispositions qui permettent au gouvernement canadien d'entamer un processus d'examen de la sécurité nationale dans le cas d'investissements « susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale ».

Avant la nouvelle ordonnance temporaire, le dépôt d'une demande en vertu de la LIC déclenchait un délai de 45 jours pendant lequel le gouvernement pouvait procéder à un examen initial des risques pour la sécurité nationale que présentait une transaction. Si, après 45 jours, le gouvernement ne transmettait pas à l'acheteur un avis relatif à un possible examen de la sécurité nationale concernant une transaction, il lui était alors interdit de soumettre la transaction à tout autre examen.

Par conséquent, dans de nombreux cas, des acheteurs qui investissaient dans des secteurs sensibles ont déposé des demandes en vertu de la LIC avant la clôture des transactions afin de laisser expirer le délai de 45 jours, s'assurant ainsi que leurs acquisitions ne puissent être annulées pour des raisons de sécurité nationale. On s'entend généralement pour dire qu'avant la COVID-19, le gouvernement avait été très judicieux en soumettant uniquement les transactions susceptibles de soulever des préoccupations de sécurité nationale à un avis d'examen éventuel, si bien que dans la grande majorité des cas, les 45 jours se sont écoulés sans incident, sans retarder la clôture.

Ordonnance temporaire récente

À la fin de juillet 2020, le gouvernement canadien a promulgué la Loi sur les délais et autres périodes (COVID-19), qui a entraîné la suspension ou le prolongement de certains délais en raison de la COVID-19. En vertu de cette législation, le gouvernement a publié un arrêté le 31 juillet 2020 faisant passer de 45 jours à 60 jours la période d'examen initial prévue par la LIC au cours de laquelle le gouvernement doit décider s'il doit émettre un avis d'examen éventuel de la sécurité nationale. L'arrêté prolonge également la période subséquente au cours de laquelle le gouvernement peut décider d'exiger un examen officiel de la sécurité nationale, la faisant passer de 45 à 90 jours.

Prises ensemble, ces deux délais prolongés signifient que le gouvernement dispose désormais de 150 jours (soit 60 jours + 90 jours) pour décider s'il doit ordonner un examen de la sécurité nationale concernant une transaction. Bien que, sur le plan pratique, le gouvernement puisse faire des progrès très importants pendant ces 150 jours, il convient de noter que, même si ce n'est que sur une base temporaire, le gouvernement peut maintenant retarder la clôture d'une transaction de quelque cinq mois pour simplement conclure à la fin de cette période qu'un examen officiel est nécessaire. À certains égards, cela reflète la manière dont certains territoires traitent le contrôle des fusions, selon laquelle un examen dit de « phase 1 » peut durer plusieurs mois et, dans certains cas, une grande partie du travail qui serait sans doute mieux effectué en « phase 2 » est en fait accompli en « phase 1 ».

L'ordonnance temporaire intervient plusieurs mois après que le gouvernement ait publié un énoncé de politique affirmant qu'il allait renforcer la surveillance de la sécurité nationale à l'égard des investissements étrangers liés à la santé publique ou à la fourniture de biens et services essentiels aux Canadiens ou au gouvernement. Depuis, nous avons observé que le gouvernement avait adopté une approche très prudente à l'égard des investissements dans plusieurs secteurs, soumettant à un degré inhabituel d'examen de la sécurité nationale des transactions qui n'auraient pas soulevé de préoccupations de sécurité nationale avant la COVID-19, et en émettant des avis de sécurité nationale à une fréquence nettement plus élevée.

Conséquences de l'ordonnance temporaire pour les acheteurs étrangers

Ces délais prolongés ont deux conséquences importantes pour les acheteurs étrangers qui réalisent des investissements dans des secteurs potentiellement sensibles. Tout d'abord, ces délais risquent de dissuader les investisseurs de présenter des demandes en vertu de la LIC avant la clôture plutôt qu'après la clôture des transactions envisagées. Ensuite, les acheteurs étrangers devront prévoir que les examens pourraient s'avérer plus longs.

Dissuasion possible pour les dépôts avant la clôture

La décision que devront prendre les acheteurs étrangers quant à savoir s'ils doivent déposer leur demande en vertu de la LIC avant ou après la clôture de leur transaction sera vraisemblablement plus importante et nécessitera une plus grande réflexion. Bien que le gouvernement encourage depuis longtemps les acheteurs étrangers qui investissent dans des secteurs potentiellement sensibles à déposer rapidement leur demande en vertu de la LIC avant la clôture, position que le gouvernement a réitérée avec insistance en avril 2020 en réponse à la pandémie de COVID-19, cette prolongation temporaire pourrait plutôt avoir pour effet de les en dissuader fortement.

En effet, si, par le passé, les acheteurs étrangers s'attendaient raisonnablement à connaître exactement l'approche du gouvernement quant à leur transaction dans les 45 jours suivant la présentation de leur demande en vertu de la LIC, cette période de 45 jours est maintenant de 60 jours et pourrait même très facilement passer à 150 jours. Comme il est mentionné ci-dessus, le gouvernement dispose désormais jusqu'à 150 jours au total pour décider d'ordonner ou non un examen officiel de la sécurité nationale concernant un investissement, plutôt que 90 jours.

Ce délai beaucoup plus long, combiné à la volonté nettement plus grande du gouvernement depuis le début de la COVID-19 d'entamer le processus d'examen de la sécurité nationale, fera en sorte que les acheteurs étrangers devront décider s'ils doivent retarder la clôture de leur transaction possiblement pour plusieurs mois ou s'ils doivent plutôt supporter le risque d'un examen postérieur à la clôture.

En sachant que le résultat final d'un examen de la sécurité nationale risque fort probablement d'aboutir à une autorisation, les acheteurs étrangers, et les vendeurs nationaux, peuvent trouver frustrant la perspective de devoir attendre plusieurs mois, pour finalement apprendre que la transaction peut être réalisée. Ces derniers pourraient donc décider de procéder tout de suite à la clôture et ainsi faire en sorte que le processus de sécurité nationale d'une durée de plusieurs mois se déroule après la clôture, ce qui irait possiblement à l'encontre de l'objectif politique du gouvernement d'encourager les parties à déposer une demande avant la clôture.

Planifier en vue d'un examen éventuellement long

Lorsqu'une transaction soulève manifestement des problèmes potentiels de sécurité nationale, si bien qu'un dépôt préalable à la clôture est de toute évidence recommandé, les parties devraient prévoir que l'examen sera long et adapter leurs plans en conséquence. La possibilité de réduire de manière significative les délais prolongés semble limitée et, pendant une grande partie de la période d'examen, l'état et l'orientation que prendra l'examen peuvent ne pas être évidents pour les parties. En effet, la nature opaque des examens relatifs à la sécurité nationale peut donner lieu à de longues périodes de silence ou d'inactivité apparente au cours des mois suivant le dépôt.

Cela étant dit, on doit noter que les prolongations temporaires ne devraient durer que jusqu'au 31 décembre 2020, à moins que la législation d'urgence ne soit prolongée par un amendement. Par défaut, les délais prévus initialement à la LIC s'appliqueraient de nouveau à partir de 2021. Si le gouvernement reçoit moins de dépôts avant clôture que ce qui est souhaité, il pourrait décider qu'en fait les délais plus courts préexistants sont préférables d'un point de vue politique et qu'il vaut mieux laisser tomber les délais prolongés.

Conclusion

Pour le reste de l'année 2020, les acheteurs étrangers préoccupés par la possibilité d'un examen de la sécurité nationale postérieur à la clôture devraient envisager d'effectuer les dépôts en vertu de la LIC 60 jours avant la clôture afin d'avoir l'assurance que la transaction visée ne sera pas soumise à un examen postérieur à la clôture. Toutefois, en considérant cette décision, il se peut en fait qu'un acheteur, agissant sur les conseils avisés de son conseiller juridique, choisisse de ne pas déposer sa demande plus tôt.

Bien que cela puisse sembler à certains égards être un résultat quelque peu contre-intuitif et qu'une décision propre à chaque cas sera toujours appropriée, notre expérience de l'« ère COVID-19 » à ce jour démontre que si les périodes d'examen ont augmenté, la proportion des examens de la sécurité nationale qui aboutissent finalement à une autorisation sans réserve a également augmenté. Du coup, cela affaiblit quelque peu la justification historiquement forte d'un dépôt anticipé. Néanmoins, les sensibilités accrues exprimées dans le domaine de la sécurité nationale portent à croire que le jugement d'un avocat expérimenté revêt une plus grande importance.

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