La semaine dernière, le gouvernement du Canada a adopté à deux reprises une position plus agressive à l'égard des investissements des entreprises d'État étrangères dans le secteur des minéraux critiques au Canada, d'abord en annonçant une nouvelle politique imposant un examen plus rigoureux de ces investissements et, quelques jours plus tard, en ordonnant à trois entreprises chinoises de se départir de leurs investissements dans des sociétés dont le siège social est au Canada et qui ont des activités, réelles ou potentielles, dans le secteur du lithium et, dans certains cas, d'autres minéraux critiques. Ces développements , dont nous discutons plus en détail ci-dessous, sont les derniers d'une série de mesures prises par le gouvernement canadien pour renforcer le régime de sécurité nationale du Canada, en particulier en ce qui concerne les investissements des entreprises d'État ou des sociétés privées , que le gouvernement considère comme des entreprises d'État, ayant des liens avec des nations à caractère plus sensible comme la Russie ou la Chine. De plus, ces mesures marquent un changement important dans la politique d'application de la loi par rapport à la décision prise par le Canada plus tôt en 2022 en vertu de laquelle un investisseur chinois différent avait été autorisé à investir dans une entreprise canadienne ayant des projets de lithium à l'extérieur du Canada.

Ces développements les plus récents s'inscrivent dans une tendance mondiale à une surveillance plus étroite des investissements étrangers dans des domaines sensibles sur le plan géopolitique – tels les minéraux critiques – par des investisseurs ayant des liens avec des gouvernements non alliés. Au Canada, les derniers développements s'appuient sur les deux mesures suivantes :

  • une augmentation substantielle du nombre d'examens relatifs à la sécurité nationale en vertu de la Loi sur Investissement Canada  (LIC) au cours des deux dernières années, le plus souvent en rapport avec des investissements chinois; et
  • l'introduction cet été d'un régime de dépôt d'avis volontaire en vertu de la LIC, qui sert de complément au régime de dépôt obligatoire de demande d'examen en permettant aux investisseurs de signaler leurs investissements qui ne sont pas autrement soumis à l'obligation de déclaration, par exemple pour une participation sans contrôle, ou lorsqu'une société canadienne cible ne constitue pas une « entreprise canadienne » (par exemple, parce qu'elle n'est engagée que dans des activités d'exploration et n'a donc pas de perspectives actuelles de générer des revenus), ou lorsque le contrôle n'est pas acquis de la manière prescrite (par exemple, lorsqu'une entreprise canadienne qui est acquise indirectement exerce des activités au Canada uniquement par l'intermédiaire d'une succursale ou d'une division non constituée en société d'une société étrangère). Ce mécanisme a pour but d'encourager les investisseurs à notifier de manière proactive les opérations présentant un profil de risque plus élevé en matière de sécurité nationale, et les investisseurs ont vraisemblablement de bonnes raisons de le faire : les investissements faisant l'objet d'un avis volontaire bénéficient d'une courte période de 45 jours à compter du dépôt de l'avis après laquelle, si le gouvernement n'entame pas le processus d'examen relatif à la sécurité nationale, il y a prescription et le gouvernement est légalement empêché de le faire par la suite (comme pour les opérations devant obligatoirement être déclarées); en revanche, pour les investissements qui ne font pas l'objet d'un avis volontaire, cette période est de cinq ans à compter de la clôture.

Le gouvernement a maintenant signalé son intention claire de s'appuyer fortement sur les mécanismes d'examen prévus par la LIC, qu'il s'agisse des dispositions relatives aux examens économiques ou de celles qui régissent les examens relatifs à sécurité nationale, selon l'investissement auquel elles s'appliquent, pour atteindre les objectifs stratégiques du Canada en matière de minéraux critiques.

Politique concernant les investissements étrangers des entreprises d'État dans les minéraux critiques

Le 28 octobre 2022, le gouvernement a annoncé une nouvelle politique établissant un cadre plus strict pour l'évaluation des investissements étrangers dans les entités canadiennes et dans les actifs canadiens dans le secteur des minéraux critiques, tant par les entreprises d'État que par les investisseurs privés considérés comme [Traduction] « étroitement liés à des gouvernements étrangers, soumis à leur influence ou qui pourraient être contraints de se conformer à des directives extrajudiciaires de la part de gouvernements étrangers, en particulier des gouvernements aux vues divergentes ».

Notamment, la politique soumet ces investissements à un examen minutieux à la fois aux termes du régime économique de la LIC, conformément auquel les investissements qui dépassent les seuils prescrits sont soumis à l'approbation ministérielle sur la base du critère de l'« avantage net » pour le Canada et, de façon distincte, du régime de sécurité nationale de la LIC :

  • Régime de l'avantage net : Bien que les examens de l'avantage net dans le cadre du régime de la LIC restent relativement rares en raison des seuils financiers élevés applicables aux investisseurs, y compris les entreprises d'État, la politique stipule que les investissements dans le secteur des minéraux critiques par les entreprises d'État et les investisseurs privés liés à un État présentent des « risques économiques inhérents » et ne seront approuvés qu'« à titre exceptionnel ». Cela laisse croire que de nombreuses opérations (en particulier celles émanant de pays plus sensibles) sont susceptibles d'être bloquées, ce qui est historiquement rare dans le cadre du régime de l'avantage net, et que celles qui sont approuvées seront vraisemblablement soumises à des conditions strictes (en règle générale, des conditions – appelées engagements – sont requises pour obtenir l'approbation au titre de l'avantage net, mais la nature des conditions requises dans de tels cas peut être plus stricte que la normale et porter principalement sur les normes de gouvernance d'entreprise et l'indépendance commerciale de l'entreprise d'État investisseuse).
  • Régime de sécurité nationale: Aux termes de la politique, la participation d'une entreprise d'État étrangère ou d'un investisseur privé influencé par un État étranger à un investissement dans une entreprise active dans le secteur des minéraux critiques au Canada « étayerait la conclusion » selon laquelle il existe des motifs raisonnables de croire que l'investissement est susceptible de porter atteinte à la sécurité nationale du Canada. Il s'agit d'un signal clair que non seulement tous ces investissements seront soumis à un examen approfondi au titre de la sécurité nationale, mais aussi que le gouvernement jugera probablement nécessaire d'interdire ces opérations ou ordonner des dessaisissements. Conformément à la compétence déjà étendue du gouvernement en matière d'intervention pour des raisons de sécurité nationale, la politique s'applique de manière générale, en englobant « les investissements, quelle que soit leur valeur, qu'ils soient directs ou indirects, qu'ils soient avec ou sans contrôle, et ce, à toutes les étapes de la chaîne de valeur ».

Alors que le gouvernement du Canada avait auparavant fait preuve d'une certaine prudence à l'égard des investissements des entreprises d'État dans le secteur des ressources naturelles du Canada, sa politique sur les minéraux critiques adopte une approche nettement plus interventionniste. Par exemple, en 2012, la politique du gouvernement concernant les investissements des entreprises d'État dans les sables bitumineux ne concernait que les examens de l'avantage net en vertu de la LIC et était axée sur les acquisitions de contrôle par les entreprises d'État, ce qui contraste avec la politique actuelle qui utilise à la fois les régimes de l'avantage net et de la sécurité nationale et qui s'applique explicitement tant aux investissements de contrôle qu'aux investissements minoritaires. L'élargissement de la portée de la politique sur les minéraux critiques atteste l'importance stratégique que le gouvernement accorde aux minéraux critiques pour le bien-être économique et militaire du Canada et de ses alliés.

Dessaisissements forcés visant les investissements de trois entreprises dans le secteur du lithium

L'approche large dont le gouvernement semble disposé à appliquer cette politique est mise en évidence par la deuxième annonce récente, faite le 2 novembre 2022, concernant la décision du gouvernement d'exiger le dessaisissement de trois investissements distincts et non liés réalisés en 2022 par des investisseurs chinois; les entreprises canadiennes visées sont actives dans le secteur du lithium et, dans certains cas, d'autres « minéraux critiques », et certaines de leurs activités se déroulent exclusivement à l'extérieur du Canada. L'annonce ne fournit aucune information sur la nature des préoccupations du gouvernement et ne précise pas si le gouvernement a considéré les investisseurs concernés comme des entreprises d'État ou comme étant influencés par un État étranger. 

Toutefois, ces trois investissements semblent tous être des investissements minoritaires d'une valeur relativement faible réalisés par des entreprises chinoises dont les liens à un État n'est pas évidente sur la base de renseignements publics. Il est important de souligner que l'un des dessaisissements concerne une société ayant son siège au Canada et inscrite à la cote de la Bourse de Toronto, mais qui semble uniquement avoir des activités minières en dehors du Canada. Compte tenu de la nature de ces trois investissements, il est peu probable qu'ils aient été soumis à une obligation de déclaration en vertu de la LIC (bien que nous ne puissions confirmer ce point) et, bien que le gouvernement ait introduit un régime de dépôt d'avis volontaire en août de cette année, il est probable qu'aucun de ces trois investissements n'ait été déclaré au gouvernement, les opérations ayant été réalisées avant l'entrée en vigueur du nouveau régime. Par conséquent, le gouvernement a très probablement lancé le processus d'examen relatif à la sécurité nationale de sa propre initiative, ce qui confirme qu'il surveille de près le secteur des minéraux critiques.

Ce n'est sans doute pas une coïncidence si le gouvernement a publié son énoncé de politique sur les minéraux critiques et annoncé ces décrets de cession au cours de la même semaine. Il est relativement rare que le gouvernement prenne ce type d'action coordonnée en vertu de la LIC.

Bien que le gouvernement confirme dans son annonce que les investissements dans le secteur des minéraux critiques feront l'objet d'une surveillance accrue au titre de la sécurité nationale, il souligne aussi que « [l]e Canada continuera d'accueillir les investissements étrangers directs » et que « [l]e gouvernement fédéral demeure résolu à travailler avec les entreprises canadiennes pour attirer les investissements étrangers directs de partenaires qui partagent nos intérêts et nos valeurs ». Ce faisant, le gouvernement indique clairement qu'il entend continuer à exercer un certain pouvoir discrétionnaire dans les interventions au titre de la sécurité nationale et que le pays d'origine d'un investisseur se qualifiant comme une entreprise d'État est un élément à prendre en considération aussi important que le secteur concerné par l'investissement. 

Politique relative à la divulgation des décrets relatifs à la sécurité nationale

La publication de détails limités concernant les investissements soumis à un examen approfondi relatif à la sécurité nationale représente un changement important par rapport à la pratique antérieure.

Jusqu'à présent, le gouvernement n'a rendu public aucun détail des décrets pris en vertu des dispositions de la LIC relatives à la sécurité nationale. La divulgation par le gouvernement de ses décrets en matière de sécurité nationale s'est plutôt limitée à des données sommaires anonymisées publiées dans un Rapport annuel mentionnant le pays d'origine des investisseurs et le secteur d'activité de l'entreprise cible. Par conséquent, l'annonce du 2 novembre 2022 selon laquelle à l'avenir, des détails limités sur les examens relatifs à la sécurité nationale qui aboutissent à une décision du Cabinet fédéral seront publiés est un signal que le gouvernement est déterminé à accroître la transparence avec laquelle il administre la LIC.

Bien qu'il reste à voir avec quel degré de cohérence sera appliquée la politique, le gouvernement a indiqué que la divulgation dans chaque cas mentionnera le nom de l'investisseur, celui de l'entreprise cible et la nature du décret pris (c'est-à-dire, la décision de bloquer une transaction ou d'imposer des dessaisissements ou des conditions à l'investissement). Cette nouvelle politique ne sera pas rétroactive.

Principaux points à retenir

Ces développements récents sont des signaux forts de la politique actuelle du gouvernement en matière d'investissement étranger et revêtent un intérêt tant pour les entreprises canadiennes que pour les investisseurs étrangers. En particulier :

  • Même faits, résultats différents : La décision du gouvernement d'exiger de la part de trois entreprises de se dessaisir de leurs investissements dans le secteur du lithium contraste nettement avec celle qu'il avait prise, plus tôt en 2022, de ne pas lancer de processus d'examen relatif à la sécurité nationale à l'égard de l'acquisition par Zijin Mining Group Ltd. de Neo Lithium Corp, une société inscrite à la cote de la Bourse de Toronto qui possède une mine de lithium en Argentine. L'opération sur Neo Lithium présente des points communs évidents avec au moins une des opérations pour lesquelles des dessaisissements ont été récemment décrétées, en ce sens qu'elle concerne une entreprise qui n'a aucune activité minière au Canada. L'approche passive du gouvernement du Canada à l'égard de Neo Lithium avait suscité de vives critiques et donné lieu à une audience parlementaire sur la question. Cette expérience semble avoir influencé l'approche du gouvernement à l'égard de ces opérations.
  • Un seuil d'intervention peu élevé : Le gouvernement fédéral semble désormais disposé à prendre des mesures interventionnistes fortes, même lorsque le lien avec le Canada est limité. Par exemple, le décret de cession du gouvernement à l'égard de Lithium Chile Inc. en est l'indication la plus frappante; bien que Lithium Chile soit cotée à la Bourse de croissance TSX et ait son siège social à Calgary, ses gisements minéraux se trouvent exclusivement en Amérique du Sud et sa présence au Canada se limite à une petite empreinte d'entreprise pour servir sa cotation canadienne.
  • Renforcer la coordination mondiale :  La sensibilité accrue du gouvernement fédéral à l'égard de certains investissements étrangers dans le secteur des minéraux critiques semble s'aligner sur celle de bon nombre de ses alliés les plus proches. En effet, le Canada s'est joint aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l'Union européenne et à d'autres pays pairs dans le cadre du récent Partenariat pour la sécurité des minéraux, une initiative visant à renforcer les chaînes d'approvisionnement en minéraux critiques jugées essentielles à la transition vers une énergie propre. En phase avec les efforts du Canada en matière de coordination transfrontalière, la politique sur les minéraux critiques indique explicitement qu'elle s'applique aux minéraux considérés comme essentiels pour le Canada et ses alliés  et inclut dans l'examen relatif à la sécurité nationale l'effet potentiel d'un investissement sur les « relations entre pays alliés ».

Les investisseurs publics et privés qui ont un intérêt dans une entreprise du secteur des minéraux critiques ayant un lien quelconque avec le Canada, ou qui envisagent un tel investissement dans le futur, quelle qu'en soit l'importance, devraient prendre note de ces développements et scruter attentivement leur structure de propriété afin de déceler tout lien avec des entreprises d'État de pays considérés comme « hostiles » aux intérêts canadiens. Alors que les entreprises canadiennes et les investisseurs étrangers continuent à chercher à comprendre le paysage politique actuel et à s'y adapter, il est important de prendre en compte ces risques accrus pour la sécurité nationale dès le début de la planification des opérations.

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