Nous profitons de la fin de l'année 2019 pour faire le bilan des modifications de la LCSA en matière de gouvernance qui sont entrées en vigueur cette année, et envisager celles qui devraient entrer en vigueur en 2020 et dans les années à venir.

  • Codification des critères à prendre en compte dans l'exercice du devoir fiduciaire
  • Déclarations obligatoires sur la diversité, le bien-être des employés et le recouvrement des primes
  • Vote obligatoire d'une résolution consultative annuelle non contraignante en matière de rémunération

Dans le but d'améliorer la sécurité de la retraite, le gouvernement fédéral a adopté des modifications à la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») au moyen du projet de loi C-97 intitulé Loi nº 1 d'exécution du budget de 2019 (projet de loi C- 97). Initialement proposées le 8 avril 2019, les modifications au projet de loi C-97 pourraient représenter un ajout important au paysage canadien en matière de gouvernance d'entreprise, même si certaines des nouvelles exigences sont déjà connues des sociétés ouvertes canadiennes.

Codification de l'obligation fiduciaire d'agir au mieux des intérêts de la société - arrêt BCE

La LCSA exige des administrateurs et des dirigeants qu'ils agissent « avec intégrité et de bonne foi, au mieux des intérêts de la société ». C'est ce qu'on appelle l'obligation ou le devoir fiduciaire. Les administrateurs et les dirigeants sont tenus de donner priorité aux intérêts de la société sur les leurs, au détriment de leurs propres intérêts, commerciaux ou personnels s'il le faut. Il a longtemps été considéré qu'agir au mieux des intérêts de la société équivalait à agir au mieux des intérêts des actionnaires. Mais la Cour suprême du Canada a clairement statué, en 2008, dans l'arrêt BCE inc. c. Détenteurs de débentures de 1976 (« BCE »), que l'obligation fiduciaire doit s'exercer en faveur de la société et non en faveur d'un groupe d'intérêt particulier. S'il est vrai que les intérêts de la société s'harmonisent généralement avec ceux des actionnaires, lorsqu'il y a conflit, « l'obligation des administrateurs est claire : elle est envers la société ». Ceci dit, indépendamment de leur devoir envers la société, la Cour indique dans BCE que les administrateurs peuvent « examiner notamment les intérêts des actionnaires, des employés, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l'environnement ».

Le projet de loi C-97, entré en vigueur le 21 juin 2019, a essentiellement pour effet de codifier l'arrêt BCE et d'inscrire dans la LCSA les facteurs dont les administrateurs et les dirigeants peuvent tenir compte lorsqu'ils agissent au mieux des intérêts de la société. Ces facteurs sont les intérêts des actionnaires, des employés, des retraités et des pensionnés, des créanciers, des consommateurs, des gouvernements et de l'environnement, et les intérêts à long terme de la société. Ces facteurs reprennent les critères définis dans BCE, auxquels sont rajoutés les retraités et pensionnés, ce qui témoigne de l'attention accrue que le gouvernement canadien accorde à ce sous-ensemble croissant de la population. L'environnement a aussi été inscrit dans la liste, ce qui risque de soulever des débats intéressants dans les conseils d'administration et chez les dirigeants au cours des prochaines années, vu la place toujours plus grande accordée aux questions environnementales. Comme nous l'avons mentionné récemment, l'environnement, plus particulièrement le problème des changements climatiques, est devenu un enjeu important pour de nombreux investisseurs canadiens, enjeu qui doit faire l'objet de déclarations présentées selon les directives des autorités canadiennes en valeurs mobilières.

Même si ces modifications reflètent en grande partie l'interprétation donnée à la LCSA depuis l'arrêt BCE, il reste à voir si la codification de ces intérêts aura une incidence importante sur le paysage actuel de la gouvernance.

Déclarations additionnelles sur la diversité et le bien-être

Comme nous l'avons mentionné, l'obligation de présenter des déclarations additionnelles sur la diversité à l'égard des femmes, des minorités visibles, des personnes handicapées et des peuples autochtones s'appliquera à compter du 1er janvier 2020 aux sociétés ouvertes constituées sous le régime de la LCSA, par suite des modifications apportées récemment à la LCSA par le projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence (projet de loi C-25). Le projet de loi C-97 comprend lui aussi des modifications à la LCSA qui obligeront les « sociétés visées par règlement » à présenter des déclarations additionnelles sur la diversité. Les exigences de déclaration seront déterminées par un règlement à venir. On s'attend toutefois à ce que ce règlement soit semblable à celui qui doit entrer en vigueur le 1er janvier 2020 en vertu du projet de loi C-25, étant donné les dispositions de coordination du projet de loi C-97.

Comme nous l'avons déjà indiqué, depuis 2014, les sociétés ouvertes canadiennes sont tenues de déclarer si elles tiennent compte de la représentation des femmes à leurs conseils et à des postes de direction, ou sinon d'expliquer pourquoi elles ne le font pas. Selon l'Avis multilatéral 58-311 du personnel des ACVM intitulé « Rapport du cinquième examen du personnel sur la représentation féminine aux postes d'administrateurs et de membres de la haute direction » (2 octobre 2019), de légères augmentations dans la représentation des femmes aux postes de direction ont été constatées depuis l'imposition des exigences de déclaration. Encore une fois, il reste à voir si les nouvelles exigences de déclaration sur la diversité qui sont prévues par la LCSA auront une incidence sur la composition des conseils d'administration des émetteurs constitués sous le régime de la LCSA. En outre, les agences de conseil en vote et les investisseurs institutionnels n'ont pas encore mis à jour leurs lignes directrices en matière de vote pour tenir compte des modifications relatives à la diversité, mais certains (par exemple, Glass Lewis) ont fait remarquer que les nouvelles exigences de déclaration seront surveillées et prises en compte dans leur analyse concernant l'élection des administrateurs.

Le projet de loi C-97 propose également une nouvelle déclaration annuelle sur le « bien-être des employés, des retraités et des pensionnés », les termes « retraités » et « pensionnés » devant être définis à une date ultérieure. Les exigences de déclaration exactes n'ont pas encore été publiées, mais elles pourraient mener à la déclaration de renseignements sur la solvabilité des régimes de retraite, des avantages complémentaires de retraite et d'autres éléments semblables.

Vote consultatif sur la rémunération et déclaration concernant le recouvrement

Les modifications apportées par le projet de loi C-97 obligeront les « sociétés visées par règlement » à élaborer une approche à l'égard de la rémunération de leurs administrateurs et employés qui sont des « membres de la haute direction » (terme qui sera défini à une date ultérieure). Il faudra aussi que la société tienne un vote annuel non contraignant sur cette approche (généralement appelé un « vote consultatif sur la rémunération »). Les résultats du vote doivent être divulgués, mais ils ne lient pas la société.

Les sociétés ouvertes canadiennes connaissent déjà les votes consultatifs sur la rémunération. Ce type de vote non contraignant est déjà obligatoire dans certains pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie, et les groupes canadiens de promotion de la gouvernance encouragent ce vote consultatif depuis un certain nombre d'années. Dans son modèle de politique sur le vote consultatif sur la rémunération à l'intention des émetteurs, publié en septembre 2010, la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance (CCGG) indique qu'un vote consultatif annuel des actionnaires concernant la rémunération du conseil constitue un élément important du dialogue permanent entre actionnaires et conseils. Nos recherches montrent que la majorité des émetteurs canadiens de l'indice TSX/S&P 60 ont tenu des votes consultatifs sur la rémunération à l'occasion de leurs assemblées générales en 2019.

Dans certains cas, un vote consultatif sur la rémunération sera avantageux pour l'entreprise, car il permettra aux investisseurs d'exprimer leur point de vue sur les pratiques de rémunération des hauts dirigeants sans risque pour l'entreprise. Par exemple, Institutional Shareholder Services (ISS) note dans ses lignes directrices canadiennes sur le vote par procuration à l'intention des sociétés inscrites à la TSX que l'insatisfaction des actionnaires à l'égard des pratiques de rémunération peut s'exprimer par un vote contre une proposition consultative de la direction sur la rémunération, plutôt que par une abstention de voter ou par un vote contre la proposition du comité de rémunération. Cela permet aux entreprises de réorienter leur approche en matière de rémunération en fonction des points de vue et des préoccupations des actionnaires, sans risquer de perdre des sièges au conseil d'administration.

Déclaration de renseignements concernant le recouvrement

Le projet de loi C-97 impose aussi l'obligation de présenter chaque année une déclaration concernant le « recouvrement des primes d'encouragement ou d'autres avantages ». Les politiques de recouvrement des primes jouent un rôle important dans la rémunération des hauts dirigeants, puisqu'elles servent à décourager la prise de risques excessifs.

Encore une fois, ce type de déclaration ne constitue pas un fait nouveau pour les sociétés ouvertes canadiennes. L'Annexe 51-102A6, Déclaration de la rémunération de la haute direction, oblige les émetteurs à déclarer les éléments significatifs composant la rémunération de leurs hauts dirigeants dans leur analyse de la rémunération. Elle dispose que « les politiques et les décisions concernant l'ajustement ou la récupération des attributions, gains, paiements ou sommes à payer si l'objectif de performance ou la condition similaire sur lequel elles reposent est reformulé ou rajusté pour réduire les attributions, gains, paiements ou sommes à payer » sont l'un de ces éléments significatifs. Ainsi, pour autant qu'une société ouverte a adopté une politique de recouvrement, l'information sera généralement déjà fournie.

En outre, des politiques de recouvrement sont exigées aux États-Unis depuis l'entrée en vigueur de la loi Sarbanes Oxley Act of 2002, qui oblige le chef de la direction et le chef des finances d'un émetteur à rembourser tous les paiements incitatifs et les bénéfices tirés de la vente d'actions reçus au cours d'une année précédant un redressement comptable résultant d'une « inconduite ». Au Canada, notre récente étude sur les émetteurs de l'indice TSX/S&P 60 montre que même s'ils n'y sont pas obligés par la loi ou un règlement boursier, presque tous les émetteurs ont adopté une politique de recouvrement. La majorité de ces politiques s'appliquent lorsqu'il y a eu un redressement financier accompagné d'une certaine forme de mauvaise conduite de la part du dirigeant. Les autres exigent uniquement la publication d'états financiers erronés. Une telle généralisation des politiques de recouvrement marque un progrès considérable par rapport à 2007, année où un sondage de CCGG auprès d'émetteurs canadiens a révélé que seulement trois sociétés avaient des telles politiques.

Autres modifications entraînées par le projet de loi C-25

En plus des modifications relatives à la diversité qui entreront en vigueur le 1er janvier 2020, il ne faut pas oublier que le projet de loi C-25 mettra également en Suvre les modifications suivantes de la LCSA, dans un but d'harmonisation avec la législation canadienne en valeurs mobilières et les exigences des bourses de valeurs :

  • Élection à la majorité. Les sociétés ouvertes constituées sous le régime de la LCSA seront tenues d'adopter une règle sur l'élection à la majorité lors de l'élection sans opposition des administrateurs (y compris les sociétés inscrites à la Bourse de croissance TSX).
  • Procédure de notification et d'accès. Le projet de loi C-25 et le projet de règlement connexe permettront aux sociétés ouvertes constituées sous le régime de la LCSA de transmettre à leurs actionnaires les documents relatifs à l'assemblée par Internet au moyen de la procédure de notification et d'accès, mécanisme qui n'est pas offert à ces sociétés par la LCSA pour des raisons d'interprétation rigoureuse de la loi.
  • Conservation des documents. Les modifications apportées par le projet de loi C-25 modifieront les délais de conservation des documents qui ont été reçus et acceptés par le directeur nommé en vertu de la LCSA.

Aucune de ces modifications n'est encore en vigueur et le calendrier de mise en Suvre n'a pas encore été établi.

Mise en Suvre et entrée en vigueur

Les nouvelles dispositions de la LCSA concernant les intérêts de la société sont entrées en vigueur le 21 juin 2019, date à laquelle le projet de loi C-97 a reçu la sanction royale. Les nouvelles dispositions concernant les déclarations sur la diversité introduites par le projet de loi C-25 entreront en vigueur le 1er janvier 2020. Les nouvelles dispositions concernant les déclarations additionnelles (diversité, bien-être, recouvrement et vote consultatif sur la rémunération) introduites par le projet de loi C-97 entreront en vigueur à une date qui sera fixée par décret du gouverneur en conseil, vraisemblablement après la publication des règlements connexes. Comme nous l'avons déjà mentionné, les modifications prévues par le projet de loi C-25 qui ne concernent pas la diversité ne sont pas encore entrées en vigueur et leur calendrier de mise en Suvre n'a pas encore été établi.

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