Le 10 juin dernier, dans l'arrêt Greenfield Mining Services Inc. c. Agence du revenu du Québec, la Cour du Québec (la Cour), sous la plume de l'Honorable Jo Ann Zaor, a déterminé que la demanderesse, Greenfield Mining Services inc. (Greenfield), pouvait bénéficier de la déduction prévue à l'article 444 de la Loi sur la taxe de vente du Québec (LTVQ) à la suite de la radiation d'une mauvaise créance dans ses livres comptables.

En matière de TPS et TVQ, un fournisseur qui procède à la radiation dans ses livres comptables de la totalité ou d'une partie de la contrepartie ainsi que de la taxe payable relativement à une fourniture taxable peut généralement demander une déduction dans le calcul de sa taxe nette relative à la créance ainsi radiée, dans la mesure où certaines conditions juridiques sont remplies.

Puisque la notion de « mauvaise créance » (appelée également « créance irrécouvrable ») n'est pas définie dans la législation, on doit normalement s'en remettre aux critères développés par les tribunaux. Dans la présente décision, la Cour a profité de l'occasion pour clarifier les critères applicables à l'analyse de l'irrécouvrabilité d'une créance sous la LTVQ et a confirmé qu'un contribuable peut démontrer des efforts réels et raisonnables afin de recouvrer sa créance sans pour autant devoir épuiser tous les recours en recouvrement possibles et imaginables.

À titre subsidiaire, la Cour a également conclu que le contribuable n'avait aucune obligation de procéder par l'émission d'une note de crédit, et ce, malgré « l'importance que revêt la note de crédit au niveau du fonctionnement administratif de [l'Agence du revenu du Québec] »

Contexte

Greenfield gère une entreprise de services de consultation et de construction liés à l'industrie minière. En 2010, Canadian Royalties inc. (CRI), une entreprise Suvrant dans ce domaine, sollicite les services de Greenfield dans le cadre d'un projet minier au Nunavut. En l'espace de deux ans, la valeur des services facturés à CRI par Greenfield s'est élevée à environ 17 millions $ (dont 2 millions auraient été effectivement payés par CRI). 

En 2012, après plusieurs rappels de paiement infructueux, Greenfield tente de recouvrer les sommes facturées qui demeuraient impayées. En plus des demandes de paiement, Greenfield entreprend, notamment, de multiples procédures d'arbitrage, une requête en homologation ainsi que la publication d'un avis d'hypothèque légale. En août 2015, après avoir déboursé plus de 1,4 million $ en honoraires juridiques pour tenter de récupérer les sommes dues, Greenfield et CRI règlent finalement leur différend à l'amiable et s'entendent pour une somme globale réduite à 7 millions $. À la suite de cette entente, Greenfield procède à la radiation complète de la créance de 15 millions $ dans ses livres comptables (et ce, malgré l'entente qui prévoyait un paiement « partiel » de 7 millions $). En revanche, Greenfield note également les taxes remises en trop et non perçues de CRI, mais seulement sur le montant qui excède les 7 millions $ qui devront être payés par CRI. Greenfield demande ensuite une déduction de sa taxe nette correspondante en TPS et en TVQ qui tient compte des taxes qui ne seront jamais perçues de CRI sur ce montant qui excède 7 millions $.

L'Agence du revenu du Québec (l'ARQ) refuse cependant la déduction demandée par Greenfield au motif que Greenfield n'avait pas démontré avoir entrepris toutes les démarches raisonnables pour le recouvrement de sa créance et que les procédures de recouvrement étaient en fait toujours en cours durant la période visée. L'ARQ ajoute que la possibilité pour Greenfield de récupérer une partie de sa créance en vertu de l'entente sur un processus de médiation était irréconciliable avec la notion de « mauvaise créance » et avec la déduction prévue à l'article 444 LTVQ.

Au surplus, l'ARQ plaide également que Greenfield aurait dû transmettre une note de crédit à CRI pour bénéficier de la déduction demandée.

Questions en litige

Les questions en litige examinées par la Cour sont les suivantes :

  • Greenfield a-t-elle droit à une déduction de taxe nette de 737 131,87 $ pour créance irrécouvrable ?
  • Subsidiairement, Greenfield a-t-elle donné une note de crédit à CRI donnant ainsi ouverture à la déduction de taxe nette de 737 131,87 $?

Analyse

L'irrécouvrabilité de la créance

La Cour a d'abord concédé que « [l]a détermination d'une créance irrécouvrable est une question factuelle qui passe par l'analyse de plusieurs facteurs. ». À cet égard, la Cour a ensuite fait référence aux critères développés au Québec dans la décision St-Laurent c. Sous-ministre du Revenu du Québec1 ainsi qu'à la décision Rich c. Canada du côté fédéral. À la lumière de ces décisions, nous pourrions résumer les différents facteurs de la façon suivante  :

  • Y a-t-il eu tentative véritable par le contribuable pour recouvrer sa créance ?
  • Si le recouvrement pose seulement un doute, celle-ci n'est pas une mauvaise créance.
  • Dans le cas d'une corporation, si celle-ci a cessé d'exploiter son entreprise et n'a plus aucun actif, la créance sera généralement rendue mauvaise.
  • D'autres facteurs comme (i) l'historique et l'âge de la créance, (ii) la situation financière du débiteur, l'évolution du chiffre d'affaires, de l'encaisse et autres actifs à court terme, des comptes fournisseurs et autres dettes à court terme du débiteur, (iii) les conditions économiques générales parmi les débiteurs dans la même branche d'activités, et (iv) l'expérience antérieure du contribuable en matière de radiation de créances, sont également pertinents dans le cadre de l'analyse.

À la lumière de ces critères, la Cour a conclu que Greenfield s'était acquittée de son fardeau de preuve. La Cour a aussi spécifié qu'une tentative véritable de recouvrer une créance n'imposait pas un devoir d'épuiser tous les recours possibles et imaginables. Ainsi, les multiples démarches et les frais judiciaires substantiels encourus par Greenfield ont démontré des efforts réels et véritables en vue de recouvrer sa créance en totalité.

De plus, il a été démontré lors des témoignages que CRI n'avait « pas d'argent » et qu'elle était « presque en faillite ». Par conséquent, Greenfield ne pouvait raisonnablement espérer pouvoir récupérer plus que les 7 millions $ convenus dans le cadre de l'entente de règlement à l'amiable.

Par ailleurs, conformément à la mesure prévue à l'article 444 LTVQ, l'inscription aux livres comptables de Greenfield du montant de taxe nette de 737 131,87$ à récupérer équivalait en fait à la portion de la créance impayée par CRI, soit la contrepartie excédant 7 millions $ et non le montant total de 15 millions $ comme le prétendait l'ARQ. Pour ces raisons, la Cour a accueilli l'appel et annulé la cotisation.

La note de crédit

La Cour a conclu son analyse en mentionnant qu'il n'était plus pertinent de se pencher sur la question de la note de crédit qui aurait pu être transmise à CRI pour refléter la réduction prévue dans l'entente de règlement à l'amiable. Bien que la Cour ait convenu que l'émission d'une telle note pouvait faciliter la tâche des autorités fiscales d'un point de vue administratif, celle-ci laissant « une trace aux livres de CRI » (paragraphe 88), Greenfield n'avait aucune obligation juridique d'émettre cette note pour bénéficier de la déduction prévue à l'article 444 LTVQ. 

Lorsqu'un contribuable ne peut qualifier sa créance d'irrécouvrable selon les critères énumérés par la jurisprudence, celui-ci a tout de même l'option de réduire la contrepartie de la fourniture en vertu des règles prévues à l'article 448 LTVQ et d'émettre une note de crédit au débiteur. Contrairement au mécanisme relié à la radiation d'une créance irrécouvrable, la note de crédit équivaut à une réduction volontaire de la contrepartie initialement chargée au débiteur et éteint tout ou une partie de la créance impayée. Cependant, les critères reliés à l'émission d'une note de crédit étant beaucoup plus souples, beaucoup de contribuables privilégient tout de même cette option afin d'éviter une confrontation éventuelle avec les autorités fiscales. En l'espèce, en donnant son aval à l'entente de règlement à l'amiable, Greenfield avait déjà accepté de réduire une partie de sa créance. En pratique, il aurait donc été judicieux pour Greenfield de procéder immédiatement par voie d'émission d'une note de crédit ce qui aurait évité un coûteux litige inutile.

De plus, contrairement à ce que prétend l'ARQ, la question du double remboursement potentiel au détriment des autorités fiscales semble un faux problème. En effet, l'ARQ peut toujours se prévaloir des pouvoirs que l'article 25 de la Loi sur l'administration fiscale2 lui confère afin d'établir une cotisation directement à l'égard d'un acquéreur si celui-ci a demandé un remboursement de taxe sur les intrants relativement à une fourniture taxable qu'il n'a pas payée au fournisseur et que ce même fournisseur a droit à une déduction de taxe pour créance irrécouvrable. Une telle solution s'offre également en matière de TPS aux termes de l'alinéa 296(1)b) de la Loi sur la taxe d'accise3. Ainsi, même si sans l'émission d'une note de crédit, le « Tribunal ne peut ordonner à CRI de remettre les montants réclamés en trop à titre d'intrants » (paragraphe 89), l'ARQ avait toujours la possibilité de cotiser l'équivalent de ces mêmes montants réclamés en trop directement entre les mains de CRI.

Points à retenir

  • Un contribuable n'a pas l'obligation d'épuiser tous les recours possibles pour faire la preuve qu'il y a eu une tentative véritable de recouvrer sa créance.
  • Le mécanisme de déduction de taxe pour créance irrécouvrable n'impose pas l'émission d'une note de crédit.

Dans la mesure où la déduction pour créance irrécouvrable est incertaine, le contribuable pourrait plutôt envisager de réduire la contrepartie de la fourniture chargée au débiteur et de lui émettre une note de crédit correspondante. Cette option aura vraisemblablement l'avantage d'éviter des débats potentiels avec les autorités fiscales.

Footnotes

1. 1986. R.D.F.Q. 89 (C.P.).

2. Revenu Québec – Lettre d'interprétation, 99-0100802 – Cotisation de la taxe payable et proposition concordataire.

3. Énoncé de politique sur la TPS/TVH P-112R.

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