Le 13 juillet 2020, la Cour supérieure du Québec a rendu la décision Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec Inc., 2020 QCCS 2251, dans laquelle elle a conclu que le locataire, un centre de conditionnement physique, était libéré de son obligation de payer son loyer en vertu du bail pour les mois de mars, avril et mai 2020 et une partie du mois de juin 2020. Selon le raisonnement de la Cour, pendant cette période, le locateur avait été empêché de remplir son obligation corrélative d'assurer la jouissance paisible des locaux pendant cette période en raison d'un cas de force majeure.

Faits

Le cas de force majeure en question n'était pas la pandémie de la COVID-19 en soi, mais plutôt le décret numéro 223-2020 du 24 mars 2020 du gouvernement du Québec suspendant certaines activités commerciales non prioritaires (le « décret »). Comme les centres de conditionnement physique ne faisaient pas partie des services prioritaires énumérés à l'annexe du décret, le décret a interdit au locataire d'exploiter un centre de conditionnement physique dans les locaux du 25 mars 2020 au 19 juin 2020, date à laquelle la réouverture de certaines installations telles que les centres de conditionnement physique a été autorisée.

Il est important de noter que le bail du locataire prévoyait une clause d'utilisation autorisée très limitée qui stipulait que les locaux pouvaient être utilisés « uniquement comme centre de conditionnement physique », et que cette activité était interdite (entre autres) par le décret. Par conséquent, bien que le locataire ait conservé l'accès aux locaux, qu'il ait continué à y entreposer son équipement et à tirer parti de certains services, la Cour a estimé que le locateur n'avait pas assuré au locataire la jouissance paisible des locaux pendant cette période.

Décision

Lorsque l'exécution d'une obligation est rendue impossible par un cas de force majeure, l'article 1694 du Code civil du Québec (« CCQ ») prévoit que le « débiteur ainsi libéré ne peut exiger l'exécution de l'obligation corrélative du créancier ». Après avoir déterminé que le locateur avait été entièrement empêché d'assurer la jouissance paisible de ses locaux pendant la période où les centres de conditionnement physique devaient fermer, la Cour a déclaré que le locateur ne pouvait pas percevoir de loyer du locataire pour cette période.

L'extrait pertinent du bail prévoyait ce qui suit :

[Traduction] « 13.03 Délai inévitable
Malgré toute disposition contraire du présent bail, si le locateur ou le locataire tarde à exécuter une condition, une obligation ou un acte prévus aux présentes ou qu'il est entravé à cet égard ou empêché de le faire en raison d'un cas de force majeure, d'une grève, d'un lockout, d'un conflit de travail, d'une émeute, d'un accident, de l'incapacité de se procurer des matériaux, de restrictions imposées par des règles, règlements ou décrets gouvernementaux, de la faillite des entrepreneurs ou d'autres événements, de nature semblable ou non, indépendants de la volonté du locateur ou du locataire, selon le cas, alors l'exécution de la condition, de l'obligation ou de l'acte sera suspendue pendant la durée du retard et la partie ainsi retardée aura le droit d'exécuter cette condition, cette obligation ou cet acte dans le délai approprié à la fin du retard, sans être responsable de dommages-intérêts envers l'autre partie.
Cependant, les dispositions du présent paragraphe 13.03 ne permettent pas au locataire de se soustraire à ses obligations de payer rapidement le loyer de base ou le loyer supplémentaire ou de faire tout autre paiement requis par le présent bail. [Non souligné dans l'original] »

La Cour a fait observer que, bien que le paragraphe 13.03 du bail renvoie à une exécution retardée, entravée ou empêchée par un cas de force majeure, il n'accepte que les retards dans l'exécution. L'exécution par le locateur de son obligation d'assurer la jouissance paisible des locaux a été empêchée de mars à juin 2020, et non retardée. Par conséquent, la Cour a conclu que le paragraphe 13.03 ne modifiait pas le cadre général prévu à l'article 1694 du CCQ ni n'exigeait que le locataire paie un loyer pendant cette période.

La Cour a ajouté (remarque incidente) que, même si le paragraphe 13.03 avait été rédigé de manière plus conventionnelle et avait autorisé l'empêchement en plus du retard, il n'aurait pas pu libérer complètement le locateur de son obligation principale en vertu du bail, qui est d'assurer la jouissance paisible des locaux. Là encore, étant donné que la seule utilisation autorisée des locaux (exploitation d'un centre de conditionnement physique) était interdite par le décret, la Cour a estimé que le locataire n'avait bénéficié d'aucune jouissance paisible des locaux pendant la période concernée.

Exposé

Au moment où nous écrivons ces lignes, Hengyen n'a été citée dans aucune autre décision. La décision n'a pas non plus été portée en appel; cependant, le délai d'appel n'a pas encore expiré (tous les délais de procédure civile ont été suspendus jusqu'à l'expiration de la période de déclaration d'urgence sanitaire prévue par le décret numéro 177-2020 du 13 mars 2020, laquelle période peut être prolongée). Cela dit, les faits rapportés dans l'affaire Hengyen ne sont pas particulièrement propices à un appel. Même avant le déclenchement de la pandémie, le locateur avait cumulé des défauts d'assurer au locataire une jouissance paisible des locaux, ce qui pourrait inciter un tribunal à trancher à nouveau en faveur du locataire. En outre, comme il est indiqué ci-dessus, le paragraphe 13.03 du bail n'a pas été rédigé de manière idéale.

Bien qu'il reste à voir si l'affaire Hengyen aura une portée large ou restreinte, la décision de la Cour semble reposer sur la clause du bail qui concernait l'utilisation des locaux. Celle-ci ne permettait qu'une seule activité, laquelle était interdite par le décret. Il est difficile de voir comment la Cour aurait pu formuler des conclusions semblables si elle avait été appelée à examiner un bail visant la location d'espaces de bureaux prévoyant que les locaux ne pouvaient être utilisés qu'en tant qu'espaces de bureaux, par exemple, puisque le décret n'interdisait pas toutes les utilisations à ce titre.

En outre, à moins d'imposer d'autres fermetures d'entreprises en réponse à une deuxième vague de COVID-19, le délai au cours duquel les locataires peuvent obtenir une dispense de l'obligation de payer un loyer sur la base de cette décision est, dans la plupart des cas, échu. De nombreux locateurs, en particulier ceux qui exploitent des centres commerciaux fermés, ont volontairement accordé aux locataires des réductions de loyer pendant cette période. Par conséquent, le nombre de poursuites semblables portées devant les tribunaux est limité.

En ce qui concerne les locataires qui cherchent à obtenir des réductions de loyer pour les périodes où ils ne pouvaient pas exercer normalement leurs activités dans les locaux en raison de décrets gouvernementaux, la décision dans Hengyen constituera un puissant outil de négociation, à moins et jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet d'un appel ou d'une distinction fondée sur les faits dans des poursuites ultérieures.

Les locateurs peuvent clairement retenir de cette décision qu'il faut rédiger plus soigneusement les clauses de force majeure et résister à la tentation de définir étroitement les utilisations autorisées.

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