Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (les « ACVM ») ont publié à l’intention des gestionnaires de fonds d’investissement (les « GFI ») des indications sur l’élaboration et le maintien d’un cadre efficace de gestion du risque de liquidité (la « GRL ») pour pareils fonds. L’Avis 81-333 du personnel des ACVM, Indications sur un cadre efficace de gestion du risque de liquidité à l’intention des fonds d’investissement (les « indications sur la GRL ») vise les fonds d’investissement assujettis au Règlement 81-102 sur les fonds d’investissement (le « Règlement 81-102 »), mais pourrait être pertinent en ce qui concerne l’étude de la GRL des autres fonds.

Les indications sur la GRL reposent sur les obligations prévues par la réglementation en valeurs mobilières, mais elles n’en créent pas de nouvelles ni ne modifient celles en vigueur.

Contexte et obligations prévues par la réglementation en valeurs mobilières

Les autorités en valeurs mobilières et les autres autorités de réglementation financière s’intéressent de près au risque de liquidité (défini pour les besoins des indications sur la GRL comme « le risque que le fonds soit incapable de répondre aux demandes de rachat sans nuire considérablement au reste de ses porteurs »). Le fonds doit être en mesure de vendre des actifs du portefeuille dans un délai raisonnable pour satisfaire aux demandes de rachat des investisseurs. En cas d’asymétrie potentielle entre la liquidité des actifs du portefeuille du fonds et les modalités de rachat offertes aux investisseurs, il pourrait y avoir des répercussions négatives pour le fonds et ses investisseurs.

Compte tenu de la croissance des organismes de placement collectifs qui offrent des remboursements quotidiens aux investisseurs et vu l’augmentation des investissements dans des catégories d’actifs moins liquides, le risque de liquidité constitue une menace considérable pour le système financier canadien. Le Conseil de stabilité financière (CSF) international et la Banque du Canada considèrent que l’asymétrie entre la liquidité et les rachats est une source potentielle de risque structurel ou systémique. Après la publication par le CSF de ses recommandations intitulées « Policy recommendations to address structural vulnerabilities from asset management activities » en 2017, l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) a publié un rapport intitulé « Recommendations for Liquidity Risk Management for Collective Investment Schemes - Final Report » (les « recommandations de l’OICV »), dans lequel elle fait observer qu’il devrait y avoir un alignement approprié entre les actifs du portefeuille et les conditions de rachat tout au long du cycle de vie du fonds.

Au Canada, la législation en valeurs mobilières provinciale impose généralement une obligation aux GFI : (i) d’exercer les pouvoirs et les fonctions de leur poste avec honnêteté, de bonne foi et au mieux des intérêts du fonds d’investissement, (ii) de faire preuve de la prudence, de la diligence et de la compétence dont ferait preuve une personne d’une prudence raisonnable placée dans des circonstances semblables. Dans leurs indications, les ACVM observent que dans l’exercice de ces fonctions, il est à la fois dans l’intérêt du fonds et prudent pour les GFI de tenir compte des rachats par les investisseurs et de la liquidité du fonds dans la conception des activités du fonds et la gestion de ses actifs. L’article 11.1 du Règlement 31-103 sur les obligations et dispenses d’inscription et les obligations continues des personnes inscrites oblige les GFI inscrits à établir des politiques et procédures qui instaurent un système de contrôle et de supervision permettant de traiter le risque de liquidité.

Le Règlement 81-102 contient des règles applicables à la GRL des fonds qui y sont assujettis. Par exemple, l’article 2.4 du Règlement 81-102 contient des restrictions sur les actifs illiquides. Dans l’Instruction générale relative au Règlement 81-102, les ACVM observent ce qui suit :

  • elles attendent du GFI qu’il établisse une politique efficace de GRL tenant compte de la liquidité des types d’actifs dans lesquels le fonds d’investissement investira et de ses obligations et autres passifs (comme les demandes de rachat et les appels de marge de contreparties aux opérations sur dérivés);
  • les GFI devraient mesurer, surveiller et gérer régulièrement la liquidité des actifs du portefeuille du fonds en tenant compte du temps nécessaire pour liquider chaque actif, du prix auquel il peut être vendu et de la fréquence des demandes de rachat.

Compte tenu du risque systémique éventuel posé par le risque de liquidité au système financier canadien, les ACVM ont publié leurs indications sur la GRL afin d’aider les GFI à élaborer un cadre de GRL, tout en se conformant aux obligations que leur impose la réglementation en valeurs mobilières susmentionnée. Les indications sur la GRL sont censées être souples et modulables. Comme la GRL doit s’adapter à la spécificité de chaque fonds, les ACVM n’ont pas voulu imposer de règles universelles dans leurs indications sur la GRL. Dans leur communiqué annonçant les indications sur la GRL, les ACVM encouragent également les GFI à consulter les recommandations de l’OICV en vue d’élaborer un cadre de GRL efficace.

Éléments d’un cadre de GRL efficace

Les indications sur la GRL établissent cinq principaux facteurs qui favorisent un cadre de GRL efficace.

1. Gouvernance efficace et solide

Dans les indications sur la GRL, on observe qu’il est possible de former un comité d’investissement, un comité de gouvernance ou un autre groupe du GFI chargé de la surveillance des risques, dont la responsabilité principale consiste à s’occuper des questions importantes intéressant la GRL. Les ACVM donnent les exemples suivants de responsabilités éventuelles que le comité de surveillance de la GRL pourrait assumer :

  • établir des procédures de déclaration et de transmission à des échelons supérieurs pour les événements importants touchant la liquidité, les problèmes d’évaluation du portefeuille et les lacunes dans les contrôles internes se rapportant à la GRL;
  • examiner les circonstances dans lesquelles un enjeu de liquidité peut causer un conflit d’intérêts entre le fonds et le GFI, et établir si une transmission à des échelons supérieurs ou d’autres approbations internes sont nécessaires;
  • revoir régulièrement les politiques et procédures relatives à la GRL;
  • passer en revue tous les rapports sur les anomalies importantes détectées lors des simulations de crise et travailler avec les gestionnaires pour s’assurer que les mesures correctives ont été prises.

Les ACVM s’attendent à ce que les GFI adoptent des politiques et procédures qui intègrent les considérations relatives à la GRL.

2. Création et maintien

Les indications sur la GRL établissent des principes et des stratégies de mise en pratique qui favorisent la création et le maintien d’un cadre de GRL efficace. En particulier, les ACVM proposent que les fonds fassent concorder leurs objectifs de placement, leur stratégie de placement et leur politique de rachat avec le profil de liquidité des actifs de leur portefeuille sous-jacent et les demandes de rachat des investisseurs, à l’étape de la conception puis en permanence par la suite. Par exemple, des rachats moins fréquents peuvent être offerts si le fonds détient beaucoup de placements peu négociés, qui sont assortis d’une période de compensation plus longue ou sont situés dans des marchés émergents.

Les ACVM insistent aussi sur la nécessité de surveiller activement et régulièrement le portefeuille selon des critères qualitatifs et quantitatifs, afin de s’assurer que les niveaux de liquidité sont suffisants pour satisfaire aux demandes de rachat et autres obligations. Toutes les données pertinentes devraient servir dans la gestion active des risques de liquidité. Les données dont il faut tenir compte sont notamment la composition des actifs du portefeuille, l’historique de rachat, les réseaux de distribution, le bassin d’investisseurs, le rendement du fonds, les propriétaires du fonds et toute autre circonstance spéciale (comme l’évolution du marché ou d’autres facteurs économiques). Les effets des demandes de rachat importantes devraient également être intégrés dans l’évaluation de la liquidité.

Dans les indications sur la GRL, il est également proposé que la direction établisse des seuils et des cibles de liquidité internes pouvant servir à évaluer le profil de liquidité du fonds pour y apporter les ajustements nécessaires. Les seuils de liquidité devraient être proportionnels aux obligations de rachat et aux passifs du fonds et suivis régulièrement.

Un cadre de GRL efficace devrait également prévoir la déclaration rapide des événements touchant la liquidité au personnel compétent du GFI.

3. Simulation de crise

Même si les simulations de crise ne sont pas expressément exigées par la législation en valeurs mobilières, les indications sur la GRL énoncent les principaux facteurs suivants à considérer lors de leur réalisation :

  1. Établissement des risques
    • Les ACVM estiment que le risque de marché et le risque de rachat sont les principaux risques à évaluer dans une simulation de crise. Les autres risques qu’un fonds peut choisir d’intégrer dans sa simulation de crise sont notamment les tensions sur le marché touchant une catégorie ou sous-catégorie d’actifs, le risque de taux d’intérêt, le risque de crédit, le risque réputationnel et le risque géopolitique.
    • La simulation de crise est efficace si elle est proportionnée au profil de risque de liquidité du fonds.
  2. Analyse de scénarios
    • Les simulations de crise peuvent couvrir une variété de scénarios unifactoriels ou multifactoriels, qui doivent être diversifiés et témoigner des risques importants inhérents au fonds.
    • Les simulations de crise doivent intégrer des données fiables et à jour sur le marché et peuvent tenir compte du comportement d’autres participants au marché, dont les agissements pourraient séparément ou collectivement se répercuter sur la liquidité du fonds ou des actifs de son portefeuille sous-jacent.
    • En ce qui concerne les simulations de crise de nature historique, les ACVM mentionnent les facteurs suivants qui peuvent être pertinents à étudier :
      • la comparaison de l’historique des flux de trésorerie avec ceux à l’échelle sectorielle dans le cas des fonds dont la taille et la stratégie sont similaires;
      • l’activité de rachat du principal investisseur ou groupe d’investisseurs;
      • l’activité de rachat en situation de crise (avec des pourcentages différents de demandes de rachat);
      • l’historique des tendances de rachat.
    • En ce qui concerne les simulations de crise de nature hypothétique, les ACVM mentionnent les facteurs suivants qui peuvent être pertinents à étudier :
      • des facteurs individuels ou combinés, comme les variations des taux d’intérêt, l’augmentation du nombre de demandes de rachat et la baisse des ventes;
      • les changements d’investisseurs et l’évolution des marchés ou de la composition du portefeuille de placement;
      • le potentiel de défaillance de la contrepartie.
  3. Fréquence des simulations de crise
    • La fréquence des simulations de crise dépend des caractéristiques particulières du fonds comme :
      • la taille du fonds;
      • la nature des actifs du portefeuille;
      • la fréquence des rachats;
      • la stratégie de placement;
      • le bassin d’investisseurs;
      • la conjoncture du marché.
  4. Résultats des simulations de crise
    • Les résultats des simulations de crise et de toute mesure prise en conséquence (p. ex. la liquidation de certains actifs du portefeuille) devraient être communiqués au comité chargé de surveiller les questions relatives au risque de liquidité.

4. Déclaration des risques de liquidité

Information à présenter dans le prospectus. Les indications sur la GRL font ressortir que les risques de liquidité importants doivent être déclarés dans le prospectus du fonds.

Les GFI vont devoir étudier les risques de liquidité suscités par les rachats et le droit de suspendre les rachats, puisqu’il faut également expliquer dans le prospectus du fonds les circonstances dans lesquelles la suspension des droits de rachat peut se produire. Par exemple, si le fonds compte un petit nombre d’investisseurs importants, les GFI devraient envisager de déclarer les risques liés aux rachats importants et les mesures que le fonds peut prendre en cas de rachats importants (p. ex. vendre une partie des actifs du portefeuille, faire des distributions en nature à l’investisseur qui demande le rachat ou mettre fin à ses activités).

Information à présenter dans la notice annuelle. Dans la notice annuelle du fonds, il faut communiquer de l’information sur certaines questions de gouvernance, notamment indiquer le groupe responsable de la gouvernance du fonds et les politiques et procédures du fonds ou du gestionnaire du fonds relativement aux contrôles de gestion des risques. Les indications sur la GRL fournissent des exemples de déclarations sur le comité de GRL et sur les politiques et procédures relatives à la GRL dans la notice annuelle.

Information « négative » à présenter dans la notice annuelle. Contrairement à la règle de déclaration usuelle selon laquelle il n’est pas nécessaire de fournir l’information prévue aux rubriques qui ne s’appliquent pas, les ACVM précisent que si le gestionnaire n’a pas de politiques et de procédures écrites sur la GRL, il doit en faire mention. Toutefois, comme il a été exposé précédemment, les indications sur la GRL insistent sur l’importance de mettre en œuvre de telles politiques et procédures.

Autres obligations d’information continue. En ce qui concerne les obligations d’information continue du fonds (p. ex. le rapport de la direction sur le rendement du fonds et les déclarations de changement important), les indications sur la GRL conseillent aux fonds d’exposer les enjeux de liquidité significatifs auxquels ils ont été confrontés durant la période pertinente, les conséquences subies par le fonds et les mesures correctives qui ont été prises.

5. Outils de GRL pour gérer les problèmes de liquidité réels et potentiels.

Les ACVM observent que les outils de gestion de la liquidité au cours des périodes de tensions sur les marchés (p. ex. la suspension des rachats en vertu de l’article 10.6 du Règlement 81-102) devraient être utilisés parcimonieusement dans des circonstances exceptionnelles et de manière temporaire seulement. Ces circonstances exceptionnelles seront rares, comme lorsqu’une rigoureuse évaluation des actifs dans lesquels le fonds est investi est difficile ou impossible ou lorsque les demandes de rachats sont telles que les liquidités ne peuvent être réunies dans le délai requis pour y répondre. De même, les ACVM insistent sur l’utilisation de ces outils de gestion de la liquidité dans l’intérêt des investisseurs du fonds pris collectivement et sur le maintien du traitement juste et équitable des investisseurs « entrants », « courants » et « sortants ».

En ce qui concerne les outils de gestion de la liquidité non conformes au Règlement 81-102, les ACVM expriment leur volonté d’étudier les demandes de dispense et réitèrent leur conseil général voulant que les GFI communiquent avec leur autorité principale en temps opportun et de manière proactive s’ils souhaitent obtenir une dispense.

Conclusions

Compte tenu de la perturbation et de l’incertitude causées par la pandémie de COVID-19, les GFI devraient examiner soigneusement les indications sur la GRL et les recommandations de l’OICV, afin d’élaborer et d’évaluer leur cadre de GRL.

Les modifications définitives du Règlement 81-102 qui sont entrées en vigueur en janvier 2019 ont instauré les organismes de placement collectifs alternatifs (les « OPC alternatifs »), auxquels les investisseurs individuels peuvent avoir recours et qui permettent l’adoption de certaines stratégies d’investissement plus risquées (p. ex. le financement par emprunt et la vente à découvert). Compte tenu des préoccupations de liquidité suscitées par ces stratégies d’investissement, les GFI devraient évaluer les risques de liquidité actuels de leur OPC alternatifs et s’assurer d’avoir un cadre de GRL rigoureux conforme à leurs obligations légales et aux indications sur la GRL.

Finalement, bien que les indications sur la GRL visent les fonds d’investissement assujettis au Règlement 81-102, les gestionnaires d’autres fonds pourraient également les analyser. Par exemple, les gestionnaires de fonds privés qui ne sont pas assujettis au Règlement 81-102 pourraient vouloir examiner les droits de rachat et les conditions de suspension des droits de rachat de leurs fonds compte tenu des indications sur la GRL, afin d’évaluer le risque de liquidité de ces fonds.

Originally published by Stikeman, October 2020

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