Dans le précédent bulletin de notre série sur la renaissance de l'énergie nucléaire, nous avons souligné l'évolution du rôle de l'énergie nucléaire dans la lutte contre les changements climatiques. Dans ce deuxième volet, nous nous penchons sur les importants défis auxquels le Canada et d'autres pays sont confrontés en matière d'approvisionnement en combustible nucléaire, notamment les contraintes commerciales, réglementaires et géopolitiques. Il faut savoir gérer ces contraintes tout en sollicitant un soutien politique, public et international.

Quel est le processus de fabrication de combustible nucléaire?

Contrairement aux combustibles fossiles, qui peuvent en grande partie être livrés à des fins d'utilisation après leur extraction, le cycle d'approvisionnement en combustible nucléaire comporte un certain nombre de complexités. L'uranium doit d'abord passer à travers certaines étapes de traitement avant d'être utilisé dans un réacteur nucléaire, notamment l'extraction, le broyage, la conversion, l'enrichissement et la fabrication du combustible. Il n'y a qu'un petit nombre de spécialistes dans le monde qui fournissent les services associés à certaines de ces étapes (conversion, enrichissement et fabrication du combustible). C'est seulement une fois ces étapes réalisées que les assemblages de combustible fabriqué peuvent être chargés dans les réacteurs nucléaires aux fins de la production d'électricité et d'autres usages. Après leur utilisation, les assemblages de combustible épuisé sont retirés et entreposés sur place et dans des dépôts spéciaux.

Dimensions internationales de l'approvisionnement en combustible nucléaire

Les étapes du cycle d'approvisionnement en combustible nucléaire sont réparties à l'échelle mondiale. C'est pourquoi il n'est pas rare que l'uranium soit extrait et broyé dans un pays, converti en hexafluorure d'uranium dans un autre pays, enrichi pour augmenter au besoin la quantité d'isotopes fissiles d'uranium présents dans le combustible dans un troisième pays et fabriqué dans un quatrième pays avant d'être livré aux fins de son utilisation finale par une centrale nucléaire dans un cinquième pays.

Comme nous l'avons mentionné dans notre premier bulletin, au cours des dernières années, environ 85 % des réserves mondiales d'uranium ont été extraites et broyées par seulement dix grands producteurs. Plus de 40 % des réserves mondiales proviennent du Kazakhstan et environ 13 % du Canada, ce qui en fait la deuxième source d'uranium extrait en importance dans le monde. Actuellement, la seule installation de raffinage d'uranium au Canada est l'usine de Cameco à Blind River, en Ontario.

En ce qui concerne l'étape suivante de conversion, près de la moitié de la capacité mondiale de conversion se trouve actuellement en Russie ou en Chine. Au Canada, Cameco exploite la seule usine de conversion à Port Hope, en Ontario, laquelle représente environ 20 % de la capacité mondiale de conversion au cours des dernières années.

Quant à l'étape de l'enrichissement, applicable à la plupart des modèles de réacteurs exploités dans le monde en dehors du Canada (voir ci-dessous), plus de 45 % de la capacité mondiale actuelle d'enrichissement de l'uranium se trouve en Russie, et 10 % en Chine.

Enfin, la fabrication de combustible nucléaire sous forme d'assemblages de combustible est spécifique à chaque modèle de réacteur nucléaire et la capacité mondiale pour cette étape est plus largement répartie que la capacité à l'égard des étapes précédentes du cycle d'approvisionnement en combustible nucléaire.

Sécurité énergétique et défis de la chaîne d'approvisionnement mondiale

Les récents développements géopolitiques font ressortir l'importance de la sécurité énergétique et ses défis. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a mis en lumière la dépendance de nombreux pays d'Europe occidentale à l'égard du gaz naturel russe.

Le secteur nucléaire est soumis à ses propres tensions en matière de sécurité énergétique. Plus de deux ans après le début de l'invasion en Ukraine, de nombreux pays dépendent encore de la Russie et de son secteur de l'énergie nucléaire en ce qui concerne la conversion du combustible, l'enrichissement et d'autres services. Les parties liées au secteur nucléaire russe restent largement exemptes de sanctions. En outre, si le Kazakhstan reste le plus grand producteur mondial d'uranium, son accès aux marchés est considérablement réduit, car les voies de transport passant par la Russie ne sont plus ouvertes.

Questions d'ordre réglementaire

Tous les aspects de la chaîne d'approvisionnement en combustible nucléaire, ainsi que le transport, l'importation et l'exportation de matières et de technologies nucléaires, sont soumis à une surveillance réglementaire importante. Ces mesures visent à assurer, entre autres, que les objectifs de sécurité et de non-prolifération soient atteints. Les organismes de réglementation qui exercent cette surveillance sont la Commission canadienne de sûreté nucléaire et la Direction générale de la réglementation commerciale d'Affaires mondiales Canada, certains gouvernements et organismes de réglementation dans les pays où l'uranium et le combustible partiellement traité sont transportés, et des organisations régionales telles que l'Agence d'approvisionnement d'Euratom et l'Agence internationale de l'énergie atomique.

Le champ d'application des lois nationales, étrangères et internationales sur les sanctions s'accroît. Les lois canadiennes s'appliquent aux particuliers et aux sociétés à l'intérieur des frontières canadiennes ainsi qu'aux Canadiens (particuliers et sociétés) à l'extérieur de ces frontières. Ces lois interdisent de traiter avec des personnes sanctionnées ou des sociétés détenues ou contrôlées par de telles personnes, et peuvent également interdire des activités désignées. Dans le secteur de l'énergie nucléaire, le Canada a sanctionné certaines sociétés contrôlées par l'État et certains administrateurs ou hauts dirigeants de telles sociétés. L'application des sanctions à d'autres sociétés russes du secteur de l'énergie nucléaire donnera probablement lieu à des pénuries d'approvisionnement et à des hausses de prix et rendra nécessaire la réévaluation des chaînes d'approvisionnement en vue d'assurer un approvisionnement sûr et sécuritaire.

Changement de la position unique actuelle du Canada

Historiquement, le Canada n'a pas eu besoin d'uranium enrichi. Tous les réacteurs nucléaires actuellement en fonction au Canada sont des réacteurs de modèle CANDU, un modèle qui n'utilise que de l'uranium naturel. Grâce à sa flotte existante des réacteurs CANDU, le Canada a donc réussi à éviter en grande partie les problèmes de sécurité énergétique et les perturbations de la chaîne d'approvisionnement internationale.

En Ontario, en Saskatchewan, en Alberta, au Nouveau-Brunswick et ailleurs au Canada, l'adoption de nouveaux modèles de petits réacteurs modulaires (PRM), qui utilisent généralement du combustible d'uranium enrichi, a déjà commencé ou se fera bientôt, ce qui signifie que ces problèmes surviendront. L'étape d'enrichissement nécessaire pour les petits réacteurs modulaires devra se faire l'extérieur du Canada. Par exemple, pour son premier petit réacteur modulaire, Ontario Power Generation a annoncé qu'elle s'approvisionnera en uranium auprès de Cameco et lui confiera la conversion au Canada, qu'elle enrichira cet uranium aux États-Unis et en France, puis qu'elle fabriquera le combustible aux États-Unis avant de le livrer au Canada à des fins d'utilisation dans son réacteur nucléaire.

Appel à l'action

Comme le Canada n'a pas d'usines d'enrichissement d'uranium et dispose d'un petit nombre d'installations de fabrication, le pays doit accorder la priorité à l'innovation dans ces domaines afin d'éviter d'éventuelles contraintes, comme il l'a été souligné précédemment. L'innovation pourrait aider le Canada à réduire sa dépendance à l'égard d'acteurs externes et limiter l'incidence de l'insécurité énergétique et de l'intensification des conflits géopolitiques.

Cela étant dit, il y aura certainement des obstacles. L'enrichissement exige beaucoup de capitaux et, en vertu d'un traité international, le Canada s'est engagé à ne pas enrichir l'uranium. Un changement à cet égard entraînerait une surveillance réglementaire internationale accrue.

L'énergie nucléaire est considérée comme une alternative propre aux combustibles fossiles. L'engagement continu du Canada répondra non seulement aux besoins énergétiques à l'intérieur de ses frontières, mais aidera aussi d'autres pays aux prises avec l'insécurité énergétique. Grâce à des innovations et à des investissements constants destinés à soutenir cet engagement, le secteur nucléaire canadien pourra continuer à jouer un rôle important dans la satisfaction des besoins énergétiques d'autres pays. Pour y arriver, du leadership de la part des parties prenantes, le soutien du public et une mise en Suvre décidée de la politique gouvernementale seront nécessaires.

Restez à l'affût

Maintenant que nous avons abordé les défis liés à l'approvisionnement en combustible d'uranium, notre prochain bulletin traitera des outils de financement, y compris ceux du secteur public, disponibles pour soutenir les centrales nucléaires.

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Si vous avez des questions concernant ce bulletin, veuillez communiquer avec les auteurs.

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Au sujet des auteurs

W. Ian Palm. La pratique d'Ian est axée sur le financement des sociétés, les fusions et acquisitions et le capital-investissement privé. En outre, il dispose d'une connaissance approfondie des secteurs des technologies, de l'énergie et des infrastructures.

Dyna Zekaoui, JD et LLM-LE (Université Duke). Dyna est coprésidente de la pratique ontarienne du groupe mondial Énergie et climat de Fasken et s'intéresse vivement à diverses questions en matière de durabilité, notamment l'énergie et la gouvernance.

Barbara Miller. La vaste pratique de Barbara est axée sur les communications, les fusions et les acquisitions, le droit agroalimentaire, la gouvernance d'entreprise et les projets d'infrastructure. Elle fournit des conseils relativement à des ententes de fabrication, d'approvisionnement et de concession de licences de biens et de services, tant au pays qu'à l'étranger. Elle représente également des participants du secteur nucléaire canadien depuis plus d'une décennie, notamment en ce qui a trait aux questions de réglementation.

Nous remercions tout particulièrement Adele Ambrose et Barbara Clark pour leur aide dans la rédaction de cet article.

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