On October 14, our colleagues Gary T. Clarke, David M. Price and Maja Blanchette published a post, from a common law perspective, on the Supreme Court of Canada's decision in Matthews v. Ocean Nutrition Canada Ltd., 2020 SCC 26 ("Matthews").

A translation of this post will be available soon.

Le 14 octobre dernier, nos collègues Gary T. Clarke, David M. Price et Maja Blanchette ont publié un billet sous l'angle de la common law portant sur la décision rendue par la Cour Suprême du Canada dans l'affaire Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd., 2020 CSC 26 (« Matthews »). Le présent billet se penche sur les impacts de cette décision en droit civil québécois. Dans Matthews, la Cour Suprême du Canada a confirmé le test permettant de déterminer si les paiements incitatifs et autres avantages devaient être inclus dans le montant des dommages-intérêts accordés en cas de violation de l'obligation implicite de common law de fournir un préavis raisonnable lors d'une fin d'emploi. La CSC précise que seul un libellé clair et sans ambiguïté peut limiter le droit d'un employé de recevoir un paiement incitatif qui serait devenu exigible pendant la période de préavis raisonnable si l'employé avait reçu un tel paiement, n'eût été son congédiement. Toutefois, un doute persiste à savoir quels termes seront suffisamment clairs pour ce faire.

Les faits

Le requérant (l'« Employé »), un chimiste expérimenté, a été à l'emploi de Ocean Nutrition Canada Ltée (l'« Employeur ») de 1997 à 2011. L'Employé a occupé plusieurs postes de direction et, en tant que cadre supérieur, a participé au régime d'intéressement à long terme de l'Employeur (« RILT »). Dans le cadre du RILT, un « Évènement déclencheur », tel que la vente de la société, entraînerait des paiements aux employés éligibles.

Les principales dispositions de ce régime incluent les suivantes [traduction]:

2.03 CONDITIONS PRÉALABLES

ONC n'a, aux termes de la présente entente, aucune obligation envers l'employé à moins que ce dernier ne soit un employé à temps plein d'ONC lorsque survient l'événement déclencheur. Il est entendu que la présente entente est nulle et sans effet si l'employé cesse d'être un employé d'ONC, que ce soit parce qu'il démissionne ou parce qu'il est congédié, avec ou sans motif.

2.05 GÉNÉRALITÉS

Le Régime de primes pour la création de valeur à long terme n'a aucune valeur actuelle ou future si ce n'est à la date de l'événement déclencheur et la prime calculée et versée à l'employé ne doit pas être considérée comme faisant partie de la rémunération de ce dernier à quelque fin que ce soit, y compris en cas de démission de l'employé ou de calcul de toute indemnité de départ.

En 2007, l'Employeur a engagé un nouveau chef de l'exploitation qui a développé une aversion pour l'Employé et a lancé une campagne pour le marginaliser. Malgré les problèmes qui se sont développés avec le chef de l'exploitation, le RILT a été l'une des raisons principales pour lesquelles l'Employé est demeuré à l'emploi de l'Employeur; l'Employé anticipait que l'Employeur serait bientôt vendu. Cependant, l'Employé a finalement démissionné et a accepté un poste chez un nouvel employeur en 2011.

Environ 13 mois après le départ de l'Employé, l'Employeur a été vendu, et cette vente constituait un « Évènement déclencheur » aux fins du RILT. Comme l'Employé n'était pas à l'emploi de l'Employeur à la date de la vente, l'Employé n'a pas reçu de paiement. L'Employé a intenté un recours contre l'Employeur pour congédiement déguisé, alléguant que ses fonctions avaient été modifiées au cours des années précédant sa démission, et alléguant qu'il avait droit à un préavis raisonnable de fin d'emploi de 15 mois, période pendant laquelle l'Évènement déclencheur s'est matérialisé.

Décision de la CSC

Dans une décision unanime, la CSC a annulé le jugement de la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse et a rétabli le jugement de première instance. En appel devant la CSC, le fait que l'Employé ait fait l'objet d'un congédiement déguisé et avait droit à un préavis de fin d'emploi n'était plus contesté. Cependant, les parties étaient en désaccord sur les dommages qui devaient être accordés à l'Employé en common law, particulièrement, sur la question de savoir si les dommages-intérêts payables en raison du défaut de fournir un préavis raisonnable devaient inclure le paiement du RILT.

En common law, les employés ont droit à un préavis de cessation d'emploi raisonnable (en temps), comme condition implicite du contrat de travail. La CSC a précisé que la réparation d'une violation de cette condition implicite est l'octroi de dommages-intérêts basés sur la période de préavis qui aurait dû être donnée, les dommages-intérêts représentant ce que l'employé aurait reçu pendant cette période. La CSC a conclu que, pour déterminer si les dommages-intérêts pour violation de la condition implicite de préavis raisonnable devaient comprendre les paiements incitatifs et certains autres avantages, les tribunaux devraient se poser deux questions:

  1. L'employé aurait-il eu droit au paiement incitatif ou à l'avantage dans le cadre de sa rémunération pendant la période de préavis raisonnable ?
  2. Dans l'affirmative, les termes du contrat de travail ou du régime d'intéressement suppriment-ils ou limitent-ils sans ambiguïté ce droit issu de la commonlaw ?

La CSC a noté qu'aux fins de déterminer si un employé aurait reçu le paiement incitatif ou l'avantage pendant la période de préavis raisonnable, il peut être pertinent de considérer si le paiement incitatif ou l'avantage est absolu ou discrétionnaire.

En ce qui concerne la deuxième question, la CSC a noté que les termes du contrat ou du régime seront interprétés de manière stricte et devront être absolument clairs et non ambigus. Les termes exigeant d'un employé qu'il soit "à temps plein" ou "actif" ne suffiront pas à supprimer le droit d'un employé à des dommages-intérêts représentant le montant de son paiement incitatif long terme en vertu de la common law. En outre, un libellé qui limite le droit de common law d'un employé à des dommages-intérêts calculés à la date effective de fin d'emploi ne suffira pas puisque, aux fins du calcul des dommages-intérêts pour congédiement injustifié en common law, le contrat de travail n'est considéré comme "résilié" qu'après l'expiration de la période de préavis raisonnable.

L'arrêt Matthews confirme donc que seules des dispositions « absolument claires et non ambigües » peuvent priver un employé d'un paiement incitatif ou d'un avantage qui serait devenu exigible pendant la période de préavis. Cependant, la nature exacte du libellé qui serait jugé suffisant à cette fin demeure incertaine, la CSC n'ayant fourni que quelques exemples de libellé qui ne suffiront pas à supprimer le droit d'un employé à des paiements incitatifs pendant la période de préavis raisonnable.

Points clés – Impacts pour les employeurs au Québec

En tant que décision de la CSC, l'arrêt Matthews a autorité dans toutes les juridictions canadiennes, et cette décision pourrait donc avoir des impacts juridiques importants au Québec. Cela étant dit, considérant que la problématique dont était saisie la CSC émanait d'une province de common law, la Cour ne s'est pas penchée sur les particularités du droit civil québécois et n'a pas abordé la jurisprudence issue du Québec sur la question des paiements incitatifs en vertu d'un régime d'intéressement à long terme pendant la période de préavis raisonnable de fin d'emploi.

En effet, certaines distinctions importantes existent entre le droit au préavis raisonnable de fin d'emploi au Québec, soit (i) le délai-congé en vertu du Code civil du Québec, par rapport (ii) au droit implicite à un préavis raisonnable « travaillé », soit la continuation du lien d'emploi pendant le préavis raisonnable, qui découle de la common law dans les autres provinces du Canada.

Résumés des principes émanant du droit civil québécois

En droit civil québécois, la jurisprudence antérieure à l'affaire Matthews reconnait que les avantages et paiements incitatifs à court terme auxquels un employé a droit dans le cadre de son emploi, comme les bonis non discrétionnaires, doivent être inclus dans sa rémunération pour les fins du calcul de l'indemnité tenant lieu de délai-congé de fin d'emploi, dans la mesure où ils constituent une « partie intégrante » de la rémunération de l'employé.

Par ailleurs, la majorité des autorités en droit civil québécois, incluant la Cour d'appel du Québec, considère qu'un régime d'intéressement à long terme, tel un régime d'option d'achat d'actions, peut être distingué des régimes d'intéressement à court terme. En effet, dans la mesure où l'objectif principal du régime d'intéressement long terme est d'encourager un employé à demeurer au service d'un employeur de façon prospective (plutôt que de rémunérer l'employé pour le travail effectué), ce type de régime ne fait pas nécessairement partie intégrante de la rémunération d'un employé. Ainsi, une disposition dans un régime d'intéressement à long terme visant à limiter le droit de l'employé aux avantages qui auraient été acquis pendant la période de préavis raisonnable peut être valide, si elle n'est pas abusive et si elle est rédigée dans des termes clairs1.

Premier volet du test de la CSC

La CSC dans l'affaire Matthews adopte un test qui accorde moins d'importance à la question de savoir si un incitatif fait partie intégrante de la rémunération. En effet, le premier volet du test formulé par la CSC implique principalement de déterminer si l'employé aurait reçu le paiement incitatif « s'il était demeuré au travail » pendant la période de préavis raisonnable.

Il faut toutefois noter que l'une des différences importantes entre le droit au préavis raisonnable en common law et en droit civil, repose sur le fait qu'au Québec, un employeur a l'option de mettre fin au contrat d'emploi de manière immédiate en payant une indemnité qui tient lieu de préavis.

Dans Matthews, la CSC note qu'en common law, le contrat « "demeure [effectivement] en vigueur" pour les besoins de l'évaluation du préjudice de l'employé en vue de calculer le montant de l'indemnité à laquelle ce dernier aurait eu droit n'eût été son congédiement ». Il existe donc en common law un droit au préavis « travaillé »; le défaut par l'employeur de donner un préavis travaillé à l'employé constitue donc une faute donnant lieu à des dommages.

En revanche, au Québec, l'employeur a le choix de donner un préavis travaillé de fin d'emploi ou un paiement tenant lieu de préavis, et le fait d'opter pour un paiement tenant lieu de préavis ne constitue pas une faute. Dans l'affaire Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc.2, la CSC a d'ailleurs reconnu que l'article 2092 du Code civil du Québec confirme « la légitimité de la pratique par laquelle l'employeur remet une indemnité au salarié s'il veut mettre fin au contrat de façon immédiate » [nos soulignements].

Dans les circonstances, les tribunaux du Québec seront appelés à se demander si le premier volet du test édicté par la CSC en common law devra être adapté afin de tenir compte des spécificités du droit civil.

Deuxième volet du test de la CSC

Quant au deuxième volet du test de la CSC, il implique de déterminer si les termes du contrat de travail ou du régime de paiements incitatifs suppriment ou limitent sans ambiguïté le droit de l'employé de recevoir le paiement incitatif qu'il aurait autrement reçu pendant la période de préavis.

Au Québec, en ce qui a trait aux paiements incitatifs ou avantages qui font « partie intégrante » de la rémunération, comme les bonis non discrétionnaires, un employeur ne peut limiter contractuellement le droit d'un employé de bénéficier de ce type de rémunération pour les fins de l'indemnité tenant lieu de préavis raisonnable de fin d'emploi, et ce, sur la base de l'article 2092 du Code civil du Québec3. Dans ces circonstances, le deuxième volet du test de la CSC paraît difficilement conciliable avec le Code civil du Québec en ce qui a trait aux paiements incitatifs court terme (bonis) non discrétionnaires.

Ceci étant dit, jusqu'à maintenant, la majorité des décisions de la Cour d'appel du Québec acceptaient d'exclure les paiements incitatifs long terme du délai congé en se basant sur l'objectif de tels programmes (notamment la rétention des employés) et à la condition que le libellé du régime soit suffisamment clair et non abusif. Nous ne croyons pas que la décision de la CSC devrait avoir pour effet, au Québec, d'empêcher dans tous les cas l'exclusion des paiements incitatifs à long terme qui seraient devenus exigibles pendant la période de préavis raisonnable.

Dans l'attente que les tribunaux québécois se prononcent sur ces questions, les employeurs devraient examiner attentivement les termes de leurs régimes d'intéressement à long terme et envisager la reformulation de leurs clauses d'exclusion, afin de s'assurer qu'elles produisent les effets recherchés.

Footnotes

1 Château inc. (Le) c. Niro, 2009 QCCA 2314; IBM Canada Ltd. c. D.C. , 2014 QCCA 1320; Premier Tech ltée c. Dollo, 2015 QCCA 1159; Leyne c. PSP Investments, 2020 QCCS 240.

2 Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., 2014 CSC 5. Aussi : Château inc. (Le) c. Niro, 2009 QCCA 2314.

3 Melanson v. Groupe Cantrex Nationwide, 2014 QCCS 394 et Leyne c. PSP Investments, 2020 QCCS 240.

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