Au Québec comme ailleurs, la crise de la COVID-19 perturbe profondément plusieurs lieux de travail. En effet, les mesures prises afin de limiter la propagation du virus ont causé l'arrêt soudain de plusieurs activités, ce qui a engendré des impacts majeurs sur les entreprises. Même certaines entreprises qui pouvaient demeurer opérationnelles, car jugées essentielles, ont dû procéder à des mises à pied en raison du ralentissement majeur de toute l'économie. Au Québec, suivant la déclaration d'urgence sanitaire du 13 mars 20201, le taux de chômage a augmenté de 3,6 % pour s'établir à 8,1 % en mars 20202. En avril 2020, ce taux a bondi à 17 %. Il s'agit du taux de chômage le plus élevé parmi les provinces canadiennes et le taux le plus élevé enregistré au Québec depuis 1976.

Dans ce contexte, et étant donné que la réouverture des activités économiques se fera de façon graduelle4 et que certaines entreprises subiront pendant plusieurs mois les contrecoups économiques de cette pandémie, il y a fort à parier que plusieurs mises à pied temporaires prévues initialement pour une durée inférieure à 6 mois excéderont finalement ce délai ou se transformeront, au cours des prochains mois, en perte d'emplois permanente. Et comme au Québec la fin d'emploi (ou la mise à pied de plus de 6 mois) de 10 employés et plus enclenche, à certaines conditions, l'application du régime du licenciement collectif contenu à Loi sur les normes du travail (LNT), il est indispensable dans la conjoncture actuelle de bien maîtriser les concepts de ce régime juridique. 

Voici donc quelques questions d'intérêts à considérer si vous vous trouvez dans l'une des situations suivantes ou anticipez l'être : 

  • vous aviez envisagé des mises à pied temporaires de moins de 6 mois, mais dans les circonstances, il est possible que celles-ci excèdent ce délai;
  • vos employés sont présentement en mise à pied temporaire, mais vous réalisez que vous devrez mettre un terme à l'emploi d'un certain nombre d'entre eux; 
  • vous avez procédé à des mises à pied temporaires et êtes sur le point de rappeler des employés au travail; 
  • vous devez licencier et/ou mettre à pied au moins 10 de vos employés. 

Qu'est-ce qu'une mise à pied temporaire?

La mise à pied temporaire est une période au cours de laquelle l'employeur cesse temporairement de fournir une prestation de travail au salarié. Le lien d'emploi est conservé pendant cette période, mais le salarié ne reçoit, en principe, aucune rémunération. 

Or, il est important de noter qu'au Québec5, lorsqu'une mise à pied temporaire atteint 6 mois, cela peut engendrer diverses obligations pour l'employeur, notamment en matière de licenciement collectif.

Qu'est-ce qu'un licenciement collectif?

La LNT définit le licenciement collectif comme étant une cessation de travail du fait de l'employeur – soit une fin d'emploi ou une mise à pied de plus de 6 mois – qui touche 10 salariés ou plus d'un même établissement sur une période de 2 mois6.

Comment est interprétée la notion d'établissement?

La LNT ne définit pas la notion d'établissement. Bien que de manière générale l'établissement est le lieu physique où le travail est effectué, l'établissement dans un contexte de licenciement collectif n'équivaut pas nécessairement à une bâtisse ou une adresse civique. Autrement dit, il se pourrait que plusieurs bâtisses soient considérées comme un seul établissement aux fins de la définition d'un licenciement collectif. Une analyse propre à chaque situation est donc de mise.

Quels sont les salariés qui ne sont pas visés par un licenciement collectif ainsi que les autres exceptions?

La LNT prévoit expressément que certains salariés ne sont pas visés par le licenciement collectif7, tels que : 

  • le salarié qui ne justifie pas 3 mois de service continu;
  • le salarié dont le contrat pour une durée déterminée expire;
  • le salarié qui a commis une faute grave;
  • le travailleur de la construction régi par la Loi R-20 (Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'Suvre dans l'industrie de la construction);
  • le cadre supérieur8

Par ailleurs, la LNT prévoit également que les dispositions sur le licenciement collectif ne s'appliquent pas à certaines situations9, notamment à la mise à pied de salariés pour une durée indéterminée, mais effectivement inférieure à 6 mois. 

Ainsi, il est essentiel de procéder à des vérifications au cas par cas et de déterminer avec précision le nombre de salariés effectivement touchés par un licenciement collectif puisque ce nombre aura un impact quant à la durée de l'avis qui doit être donné, le cas échéant. Certaines conventions collectives prévoient aussi des exigences supplémentaires.

Un avis de licenciement collectif est-il requis et si oui, quels sont les délais à respecter? 

L'employeur doit donner un avis au ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale10, dans les délais minimaux mentionnés ci-après, avant de procéder à un licenciement collectif, si celui-ci est fait pour des raisons d'ordre technologique ou économique11

Le nombre de salariés touchés et le délai à respecter pour transmettre l'avis :

  • 10 à 99 : 8 semaines
  • 100 à 299 : 12 semaines
  • 300 et plus : 16 semaines 

Soulignons qu'une copie de l'avis de licenciement collectif doit être transmise à la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) ainsi que, le cas échéant, à l'association accréditée représentant les salariés visés par le licenciement collectif. De plus, l'avis doit être affiché dans l'établissement concerné dans un endroit visible et facilement accessible12

Afin que l'avis de licenciement collectif soit valide, celui-ci doit contenir les informations suivantes13 : 

  • le nom et l'adresse de l'employeur ou de l'établissement visé;
  • le secteur d'activités;
  • le nom et l'adresse des associations de salariés, le cas échéant;
  • le motif du licenciement collectif;
  • la date prévue du licenciement collectif;
  • le nombre de salariés possiblement visés par le licenciement collectif. 

Dans la mesure où certaines conditions sont respectées, cet avis peut toutefois faire l'objet de mises à jour, notamment lorsque la date prévue du licenciement collectif ou le nombre de salariés possiblement visés doit être modifié, ce qui permet à l'employeur de s'ajuster aux circonstances sans avoir à reprendre le processus au complet. 

Pendant la durée de l'avis, l'employeur ne peut – sans le consentement du salarié touché (ou de l'association accréditée le représentant s'il en existe une) – modifier le salaire du salarié ainsi que, le cas échéant, ses régimes d'assurance collective et de retraite14

De plus, il est important de préciser que le fait de donner un avis de licenciement collectif au ministre ne fait pas en sorte que l'employeur est dispensé de donner, à chaque salarié visé, un avis individuel de cessation de travail15.

Dans quelles circonstances une indemnité de licenciement collectif doit-elle être versée et, le cas échéant, à quel moment?

Lorsque l'employeur ne donne pas l'avis de licenciement collectif ou donne un avis d'une durée insuffisante, celui-ci doit verser à chaque salarié visé une indemnité équivalente à son salaire habituel (sans tenir compte des heures supplémentaires) pour la durée totale ou la durée résiduaire du délai d'avis auquel il était tenu16

L'indemnité de licenciement collectif doit être versée par l'employeur : 

  • au moment du licenciement; ou
  • à l'expiration d'un délai de 6 mois de la mise à pied (i) prévue pour une durée indéterminée ou (ii) prévue pour une durée inférieure à six mois, mais qui excède ce délai17

Toutefois, il est à noter que l'indemnité de licenciement collectif ne peut être cumulée à l'indemnité individuelle de cessation de travail18. L'employeur doit seulement verser au salarié la plus élevée des deux indemnités auxquelles il a droit19.

Quelles sont les obligations de l'employeur en cas de force majeure ou d'événement imprévu?

En cas de force majeure ou lorsqu'un événement imprévu empêche l'employeur de respecter les délais minimaux prévus à la LNT en ce qui a trait à l'avis de licenciement collectif, les obligations de l'employeur sont réduites. 

En effet, dans ces deux cas de figure : 

  • l'employeur doit donner l'avis de licenciement collectif au ministre aussitôt qu'il le peut20; et 
  • l'employeur est relevé de l'obligation de verser l'indemnité de licenciement collectif, même si l'avis est en principe insuffisant21

Dans le contexte où la COVID-19 a occasionné une crise sans précédent, il est fort probable que plusieurs employeurs songeront à invoquer la force majeure ou l'élément imprévu en cas de licenciement collectif. À cet égard, bien qu'il soit envisageable que la pandémie actuelle et l'interruption soudaine d'activités provoquée par les mesures ayant été mises en place pour contenir la COVID-19 soient qualifiées de force majeure ou d'événements imprévus au sens des dispositions pertinentes de la LNT, cela demeure à être confirmé par les tribunaux lorsque ceux-ci seront appelés à analyser ces questions. Cela étant dit, soulignons que l'issue de ces questions dépendra également de la preuve qui sera présentée dans chaque cas en ce qui a trait au lien causal entre la crise actuelle et le licenciement collectif.

Est-ce qu'un comité d'aide au reclassement doit être mis en Suvre? 

Un comité d'aide au reclassement n'a pas à être mis en Suvre lorsque le licenciement collectif vise moins de 50 salariés22

En effet, ce n'est que lorsque le licenciement collectif touche 50 salariés et plus qu'un comité paritaire d'aide au reclassement doit être constitué, sur demande du ministre23. Ce comité doit notamment : 

  • évaluer la situation et les besoins des salariés visés par le licenciement collectif;
  • élaborer un plan de reclassement visant le maintien ou la réintégration en emploi de ces salariés;
  • veiller à la mise en Suvre du plan de reclassement24

L'employeur doit contribuer financièrement aux coûts de fonctionnement du comité et aux activités de reclassement, et ce, à la hauteur de la contribution convenue entre l'employeur et le ministre, ou à défaut déterminée par règlement25

Toutefois, il est important de préciser que dans certaines circonstances l'employeur peut demander d'être exempté, en tout ou en partie, de l'application des dispositions de la LNT portant sur le comité d'aide au reclassement26. En effet, dans la mesure où, dans l'établissement visé par le licenciement collectif, l'employeur offre aux salariés visés des mesures d'aide au reclassement qui sont équivalentes ou supérieures à celles prévues par les dispositions pertinentes de la LNT, le ministre peut (après avoir donné aux parties intéressées l'occasion de présenter leurs observations) accorder une telle demande d'exemption27.

Conclusion

En vue de la réouverture graduelle de certains secteurs de l'économie et en ce temps d'incertitudes, tout employeur devrait se pencher sur les avenues envisageables pour l'avenir dans son organisation, et ce, de manière à établir un plan d'action qui tient compte des enjeux légaux, notamment quant aux obligations en matière de licenciement collectif. 

Pour toute question relativement à vos obligations en matière de licenciement collectif ou pour obtenir des conseils stratégiques en vue de la mise en Suvre d'un rappel au travail de certains salariés et/ou du prolongement anticipé de mises à pied, nous vous invitons à contacter les membres de notre équipe de Droit du travail et de l'emploi, lesquels conseillent régulièrement de nombreuses organisations quant aux meilleures pratiques en matière de licenciement collectif.

Footnotes

1 Décret 177-2020.

2https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/200508/t005a-fra.htm.

3https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/200508/dq200508a-fra.htm.

4En ce qui concerne la réouverture graduelle de plusieurs secteurs économiques annoncée le 28 avril 2020, nous vous référons à l'article suivant : https://langlois.ca/covid-19-mise-jour-du-28-avril-2020-reouverture-graduelle-de-plusieurs-secteurs-economiques.

5 Il est à noter que le présent article traite des obligations des employeurs de juridiction provinciale en vertu de la Loi sur les normes du travail. Les règles applicables aux employeurs de juridiction fédérale diffèrent et ne font pas l'objet du présent article.

6Article 84.0.1 de la LNT.

7 Article 84.0.2 de la LNT.

8Cette liste n'est pas exhaustive. Voir les articles 84.0.2 et 3 de la LNT.

9Article 84.0.3 de la LNT.

10À noter que l'avis doit être transmis par la poste au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, à la Direction générale des opérations d'Emploi-Québec et que cet avis prend effet à compter de la date de sa mise à la poste. Voir : Article 35.0.1 du Règlement sur les normes du travail.

11Article 84.0.4 al. 1 de la LNT.

12 Article 84.0.6 de la LNT.
13Article 84.0.7 de la LNT et 35.0.2 du Règlement sur les normes du travail.

14 Article 84.0.8 de la LNT.

15 Articles 84.0.4 al. 2 et 82 de la LNT.

16 Article 84.0.13 al. 1 de la LNT. Par ailleurs, en cas de défaut, l'employeur est également passible, en principe, d'une amende de 1 500 $ par semaine (ou partie de semaine). Voir l'article 141.1 de la LNT.

17Article 84.0.13 al. 2 de la LNT.

18Soit à l'indemnité prévue à l'article 83 de la LNT.

19Article 84.0.14 de la LNT.

20 Article 84.0.5 de la LNT.

21Article 84.0.13 al. 3 de la LNT.

22 Article 84.0.15 de la LNT.  

23Articles 84.0.9 de la LNT.

24 Article 84.0.10 de la LNT.

25Article 84.0.11 de la LNT.

26Soit les articles 84.0.9 à 84.0.11 de la LNT. Voir l'article 84.0.12 de la LNT.

27Article 84.0.12 de la LNT.

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