La Cour suprême du Canada a récemment rendu une décision qui constitue peut-être l'une des décisions les plus importantes dans le domaine des droits de la personne concernant la consommation de drogues en milieu de travail. La Cour suprême a statué qu'un employeur a un motif valable de congédier un travailleur s'il a violé une politique d'aptitude au travail en se présentant au travail avec des facultés affaiblies par la drogue. Dans un jugement marquant en droits de la personne, la Cour suprême du Canada a, en fin de compte, entériné la décision du Alberta Human Rights Tribunal (le « Tribunal »), qui avait conclu que l'employeur n'avait pas fait preuve de discrimination lorsqu'il a mis fin à l'emploi du travailleur. Nous examinons et analysons plus bas l'arrêt de la Cour suprême qui comprend une dissidence provocante.

M. Stewart (« S ») travaillait dans une mine exploitée par la Elk Valley Coal Corporation où il conduisait un camion de transport. Les activités de la mine étaient dangereuses et le maintien d'un chantier sécuritaire était d'une grande importance aux yeux de l'employeur et des employés. Afin d'assurer la sécurité dans la mine, l'employeur a mis en place une politique exigeant que les employés divulguent tout problème de dépendance ou de toxicomanie avant qu'un incident lié à la drogue ne survienne. S'ils le faisaient, on leur offrait un traitement. Si, en revanche, ils ne le faisaient pas, étaient par la suite mêlés à un incident et obtenaient un résultat positif à un test de dépistage de drogues, ils risquaient d'être congédiés.

S consommait de la cocaïne pendant ses jours de congé. Il n'a pas déclaré à son employeur qu'il consommait de la drogue. Lorsqu'il a eu un accident au travail, il a obtenu un résultat positif à un test de dépistage de drogues. Plus tard, après avoir parlé à son syndicat, il a dit croire qu'il souffrait d'une dépendance à la cocaïne. Son employeur a mis fin à son emploi. S a prétendu avoir été congédié en raison de sa dépendance et que ce congédiement constituait une discrimination en vertu de l'art. 7 de la loi de l'Alberta intitulée Human Rights, Citizenship and Multiculturalism Act.

Le Tribunal a statué que S avait été congédié pour avoir enfreint la politique sur l'aptitude au travail, et non en raison de sa dépendance. Sa décision a été entérinée par la Cour du banc de la reine de l'Alberta puis par la Cour d'appel de l'Alberta. La Cour suprême. a rejeté l'appel à 8 juges contre 1.

La juge en chef McLachlin (les juges Abella, Karakatsanis, Côté, Brown et Rowe souscrivant à son avis) a affirmé ce qui suit (aux par. 5, 23 à 28 et 40) :

« À l'instar des juges majoritaires de la Cour d'appel, je ne vois aucune raison de modifier la décision du Tribunal. La question principale est de savoir si l'employeur a congédié M. Stewart en raison de sa dépendance (ce qui constituerait de la discrimination prima facie), ou s'il l'a congédié en raison d'une violation de la Politique interdisant la consommation de drogue qui n'a rien à voir avec sa dépendance parce qu'il avait la capacité de respecter ses modalités (ce qui ne constituerait pas de la discrimination prima facie). C'est essentiellement une question de fait qu'il appartient au Tribunal de trancher. Après un examen approfondi de toute la preuve, le Tribunal a conclu que l'employeur avait congédié M. Stewart pour avoir violé sa Politique. La conclusion du Tribunal était raisonnable. »

Le Tribunal a‑t‑il agi de manière déraisonnable en concluant que la discrimination prima facie n'avait pas été établie?

Pour fonder une allégation de discrimination au sens de la Loi, l'employé doit établir qu'il y a discrimination prima facie. Si cette démonstration est faite, il incombe alors à l'employeur de prouver qu'il a composé avec l'employé tant qu'il n'en avait pas résulté pour lui une contrainte excessive.

Pour établir l'existence d'une discrimination prima facie, « les plaignants doivent démontrer qu'ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu'ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l'effet préjudiciable » : Moore, par. 33. La discrimination peut revêtir de nombreuses formes, notamment la « discrimination 'indirecte' » lorsque des politiques par ailleurs neutres peuvent léser certains groupes : Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789, par. 32. La preuve de l'intention discriminatoire de l'employeur n'est pas requise pour démontrer l'existence d'une discrimination prima facie : Bombardier, par. 40.

Il est admis que les deux premiers éléments d'une preuve prima facie de discrimination sont établis en l'espèce. Le seul point en litige concerne le troisième élément, soit celui de savoir si la dépendance de M. Stewart a constitué un facteur de son congédiement.

Le Tribunal a cité le bon critère juridique et a fait remarquer au par. 117 de ses motifs qu'il [traduction] « n'était pas nécessaire que les actes reprochés soient uniquement motivés par les considérations discriminatoires pour qu'il y ait contravention de la Loi ». Après un examen détaillé de la preuve, le Tribunal a conclu que la dépendance de M. Stewart n'avait pas constitué un facteur de son congédiement pour deux raisons connexes. Selon le Tribunal, M. Stewart a été congédié non pas parce qu'il souffrait d'une dépendance, mais parce qu'il n'avait pas respecté la Politique et pour nulle autre raison. Le Tribunal a également conclu que M. Stewart n'avait pas été lésé par la Politique car il avait la capacité d'en respecter les modalités.

La seule question que la cour de révision doit se poser est de savoir si cette conclusion est déraisonnable. La déférence suppose une attention respectueuse au raisonnement du Tribunal. La cour de révision doit veiller à ne pas se contenter de mentionner le contrôle empreint de déférence tout en imposant ses propres vues : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 48. Si la décision appartient aux « issues possibles acceptables » pouvant se justifier au regard de la preuve et du droit, elle est raisonnable : Dunsmuir, par. 47; voir aussi Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 16.

Je suis convaincue que la conclusion du Tribunal selon laquelle la dépendance n'a pas constitué un facteur du congédiement de M. Stewart est raisonnable.

Il appartenait au Tribunal de déterminer si le motif du congédiement ou l'incidence de la Politique sur M. Stewart établissait l'existence d'une discrimination prima facie. Une preuve abondante appuie la conclusion du Tribunal selon laquelle il n'y avait pas de discrimination prima facie et rien ne permet donc de l'infirmer. »

Les juges Moldaver et Wagner (qui ont rédigé conjointement des motifs concordants) ont affirmé ce qui suit (au par. 48) :

« Nous sommes d'avis qu'il y a lieu de rejeter le pourvoi. Bien que nous soyons d'accord avec la Juge en chef sur le résultat, nous convenons avec le juge Gascon que le critère de la discrimination prima facie a été satisfait en l'espèce. La conclusion du Tribunal selon laquelle la dépendance de M. Stewart aux drogues n'a pas constitué un « facteur » de son licenciement était déraisonnable. Notre désaccord avec le juge Gascon porte sur l'accommodement raisonnable. À notre avis, le Tribunal a raisonnablement jugé que l'employeur s'était acquitté de son obligation de composer avec M. Stewart tant qu'il n'en avait pas résulté pour lui une contrainte excessive. En conséquence, nous retenons la conclusion du Tribunal selon laquelle l'employeur de M. Stewart n'a pas fait preuve de discrimination envers lui en raison de sa dépendance aux drogues. »

Le juge Gascon (dissident) s'est exprimé ainsi (au par. 145) :

« Elk Valley a fait preuve de discrimination prima facie envers M. Stewart. Ce dernier souffrait d'une dépendance aux drogues et il a été congédié pour avoir cédé à cette dépendance, un symptôme indéniable de sa déficience. De plus, Elk Valley n'a pas offert un accommodement raisonnable à M. Stewart. Le seul accommodement qui lui a été offert en cours d'emploi a été de le laisser divulguer volontairement sa déficience sans encourir de mesures disciplinaires, mais il n'a pas pu se prévaloir de cet accommodement parce qu'il semble ne pas avoir été conscient de sa dépendance, ce qui est, je le répète, un symptôme de sa déficience. Comme la décision contraire du Tribunal sur les deux questions était déraisonnable à mon sens, j'aurais accueilli le pourvoi. »

Cet arrêt a des répercussions importantes pour les employeurs sur au moins trois plans :

  1. L'importance de se doter d'une politique sur l'aptitude au travail bien rédigée;
  2. La nécessité de mettre en place une politique sur le dépistage d'alcool et de drogues convenable dans des milieux de travail dangereux;
  3. La nécessité d'obtenir des conseils juridiques avant de congédier des travailleurs pour avoir consommé des substances interdites.

Footnotes



1. Norm Keith, associé du cabinet Fasken Martineau à Toronto, a représenté trois des intervenants dans l'affaire Elk Valley Coal et il est l'auteur de l'ouvrage Alcohol & Drugs in the Canadian Workplace (Lexis Nexis, 2e édition, 2015)

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