La Cour suprême du Canada a précisé dernièrement son point de vue sur l'obligation d'exécution honnête, affirmant que les parties à un contrat ne peuvent activement induire en erreur leurs cocontractants sur la manière dont elles entendent exercer leurs droits contractuels. C'est le premier examen majeur de cette question par la Cour depuis son arrêt de principe Bhasin c. Hrynew rendu en 2014.

Introduction

L'arrêt C.M. Callow Inc. c. Zollinger, 2020 CSC 45Callow ») publié le 18 décembre 2020, est le dernier arrêt en date de la Cour suprême du Canada (la « CSC ») au sujet de la « bonne foi » dans l'exécution des obligations contractuelles. Ce domaine du droit a fait l'objet de beaucoup d'attention et de nouveautés depuis la décision de 2014 Bhasin c. Hrynew, 2014 CSC 71, dans laquelle la CSC a reconnu que la bonne foi dans l'exécution du contrat est un principe directeur général du droit des contrats, qui oblige les parties à exécuter le contrat honnêtement.

Depuis lors, les parties ont cherché à comprendre la signification de la bonne foi et de l'honnêteté dans l'exécution des contrats et la jurisprudence ultérieure a précisé les contours et les limites de cette nouvelle obligation.

Dans Callow, la CSC donne des indications sur la portée et le fonctionnement de l'obligation d'honnêteté dans l'exécution contractuelle et ses répercussions sur les parties contractantes. En particulier, elle confirme que :

  • les parties ont l'obligation d'agir honnêtement dans l'exercice de leurs droits contractuels, y compris en ce qui concerne les clauses de résiliation unilatérale « sans motif »;
  • les parties n'ont pas à communiquer leur décision de résilier un contrat, mais elles ne peuvent induire leur cocontractant « intentionnellement en erreur »;
  • la question de savoir si certains comportements – comme les mensonges, les demi-vérités, les omissions et même le silence – cherchent à « intentionnellement induire en erreur » le cocontractant doit être tranchée essentiellement selon les faits de l'espèce;
  • la malhonnêteté doit être directement liée à l'exécution du contrat pour constituer un manquement à l'obligation d'exécution honnête;
  • la réparation d'un manquement à l'obligation d'exécution honnête consiste à replacer la partie lésée dans la position où elle se serait trouvée en l'absence de manquement à l'obligation (c.-à-d., lui accorder des « dommages-intérêts fondés sur l'attente »).

Les cinq juges de la CSC qui ont signé l'opinion majoritaire ont été rejoints par les trois autres juges qui ont publié des motifs concordants distincts. La seule opinion dissidente a été rédigée par la juge Côté.

Contexte

En 2012, un groupe d'associations condominiales d'Ottawa (« Baycrest ») conclut deux contrats de services d'entretien de deux ans avec C.M. Callow Inc. (« Callow »). Les dates d'expiration des deux contrats – le contrat hivernal et le contrat estival – sont fixées à avril 2014. Baycrest pouvait résilier unilatéralement le contrat hivernal pour quelque raison que ce soit, moyennant un préavis écrit de 10 jours.

En mars ou en avril 2013, Baycrest décide de résilier le contrat d'entretien hivernal avant son expiration, mais, soulignons-le, elle n'en informe pas Callow à ce moment-là. Les représentants de Baycrest discutent plutôt avec Callow d'une prolongation éventuelle du contrat hivernal (qui en était à la moitié de sa durée de deux ans à ce moment-là). Ces discussions portent Callow à croire que le contrat hivernal allait durer et qu'un renouvellement était probable.

Au cours du printemps et de l'été 2013, Callow exécute des travaux « gratis » pour Baycrest, dans l'espoir d'encourager Baycrest à renouveler le contrat hivernal. Ce n'est pas avant septembre 2013 que Baycrest annonce à Callow qu'elle résilie le contrat hivernal.

Callow réclame alors quelque 85 000 $ de dommages-intérêts à Baycrest. La demande est fondée, entre autres, sur la violation du contrat et sur le fait que Baycrest a agi de mauvaise foi en acceptant le travail gratuit de Callow au cours de l'été, alors qu'elle savait que Callow travaillait gratuitement pour maintenir la relation contractuelle et encourager le renouvellement. Callow allègue aussi que puisque Baycrest lui a laissé croire que son travail était satisfaisant et que le contrat hivernal serait probablement renouvelé, Baycrest savait ou aurait dû savoir que Callow n'allait pas chercher à obtenir d'autres contrats.

Décision de première instance

La juge de première instance se prononce en faveur de Callow, affirmant que Baycrest avait contrevenu à son obligation d'agir honnêtement dans l'exécution de ses obligations contractuelles. Elle conclut que les déclarations et la conduite de Baycrest ont activement induit Callow en erreur et l'ont amenée à croire que le contrat hivernal serait renouvelé. Elle souligne que l'obligation d'exécution honnête imposée à Baycrest n'équivaut pas à une obligation de divulgation, mais nécessite un degré minimal d'honnêteté afin d'accorder aux parties la possibilité raisonnable de protéger leurs intérêts. En se livrant à de la tromperie active, Baycrest ne s'est pas conformée à cette norme minimale.

Décision de la Cour d'appel

La Cour d'appel de l'Ontario infirme la décision de la juge de première instance, affirmant que même s'il est possible que Baycrest ait agi de manière peu honorable, elle n'a pas contrevenu à son obligation d'exécution honnête. La Cour d'appel souligne qu'il ne faut pas permettre au principe de bonne foi de miner d'autres principes du droit des contrats et de créer de l'instabilité commerciale. Par conséquent, l'obligation d'exécution honnête ne peut équivaloir à une obligation de loyauté ou une obligation de divulgation, pas plus qu'elle n'oblige une partie à renoncer aux avantages découlant du contrat.

Obliger Baycrest à informer Callow de sa décision de résilier le contrat équivaudrait à lui imposer une obligation de divulgation, ce qui par conséquent, d'après la Cour d'appel, va au-delà de la portée de l'obligation d'honnêteté. La seule obligation de Baycrest était de se conformer à la clause de résiliation contractuelle en donnant un préavis écrit de 10 jours à Callow. En outre, la Cour d'appel observe que les suggestions trompeuses de Baycrest à propos du renouvellement du contrat hivernal concernaient des contrats futurs éventuels, de sorte qu'elles n'étaient pas « directement liées à l'exécution du contrat ».

Décision de la Cour suprême du Canada

La majorité de la CSC confirme la décision de la juge de première instance selon laquelle Baycrest a contrevenu à l'obligation d'exécution honnête en amenant faussement Callow à croire que le contrat hivernal ne serait pas résilié.

Le juge Kasirer, qui a rédigé la décision majoritaire, a exprimé un désaccord avec la Cour d'appel sur deux questions principales : (i) la conduite trompeuse de Baycrest portait-elle sur des questions directement liées à l'exécution du contrat hivernal? (ii) la conduite de Baycrest équivalait-elle à de la malhonnêteté au sens où il faut l'entendre dans le cadre de l'obligation d'exécution honnête?

Question 1 : lien direct

La majorité de la CSC convient avec la Cour d'appel que seule la malhonnêteté directement liée à l'exécution du contrat constitue un manquement à l'obligation d'exécution honnête. Toutefois, contrairement à la Cour d'appel, la majorité pense qu'il y avait un lien direct entre la malhonnêteté de Baycrest et l'exécution du contrat hivernal en cours. Selon la majorité, la tromperie active de Baycrest envers Callow à propos de son intention de recourir à la clause de résiliation crée un lien suffisant entre la malhonnêteté et l'exécution contractuelle pour constituer un manquement à l'obligation d'honnêteté.

La majorité convient avec l'avocat de Callow que la décision de la CSC dans Bhasin permet d'établir que l'examen judiciaire de l'obligation d'exécution honnête de la common law doit s'appuyer sur la jurisprudence de droit civil du Québec concernant la théorie de l'abus des droits contractuels. Certains des premiers commentaires de doctrine à propos de l'arrêt Callow portaient essentiellement sur les vastes répercussions de cet aspect de la décision, qui a été expressément rejeté par les trois juges aux motifs concordants, d'après lesquels l'obligation d'exécution honnête pouvait être analysée de manière plus conventionnelle dans le cadre du concept de déclaration inexacte frauduleuse existant en common law.

Question 2 : la malhonnêteté à l'aune de l'obligation d'exécution honnête

La CSC aborde ensuite la question de la norme d'honnêteté à laquelle Baycrest devait se conformer, selon toute attente, dans son recours à la clause de résiliation du contrat hivernal.

La CSC confirme que l'obligation d'honnêteté n'est pas assimilable à une obligation de divulgation ou de loyauté, c'est-à-dire que Baycrest n'était pas tenue de fournir des renseignements supplémentaires concernant la résiliation ou de renoncer à l'avantage que le contrat lui conférait (le droit de résiliation unilatérale du contrat moyennant un préavis de 10 jours).

En outre, la CSC reconnaît que Baycrest n'a pas « carrément menti », puisqu'elle n'a pas jamais dit à Callow que le contrat hivernal serait renouvelé. Toutefois, la CSC pense que Baycrest a induit Callow en erreur au moyen d'une série de « communications actives » : premièrement, les représentants de Baycrest ont affirmé des choses qui ont amené Callow à croire que Baycrest était contente du travail fourni et que le contrat hivernal serait probablement renouvelé; deuxièmement, Baycrest a accepté le travail « gratis » de Callow, en sachant que ce travail était offert afin de l'inciter à renouveler le contrat, de sorte qu'elle laissait entendre à Callow qu'il y avait bon espoir que le contrat soit renouvelé.

La décision de la CSC sur ce point précise que le manquement à l'obligation d'honnêteté peut être moins grave qu'un « mensonge éhonté ». Même si la décision est éminemment factuelle et tributaire des circonstances, les « demi-vérités, les omissions et même le silence » peuvent équivaloir à un manquement à l'obligation d'honnêteté en matière d'exécution contractuelle.

Compte tenu des faits de l'espèce – à savoir que Baycrest est demeurée silencieuse à propos de sa décision de résiliation, tout en sachant que Callow avait tiré une conclusion erronée de sa conduite – la CSC considère que Baycrest a manqué à son obligation d'exécution honnête et que Callow doit obtenir des dommages-intérêts « fondés sur l'attente », c'est-à-dire qu'elle doit être replacée dans la position où elle se serait trouvée en l'absence de manquement à l'obligation. Bien que les trois juges aux motifs concordants aient favorisé une attribution plus modeste de « dommages-intérêts fondés sur la confiance », la majorité a décidé de rétablir l'attribution de dommages-intérêts d'environ 80 000 $ fondée sur les attentes de la juge de première instance.

À venir

Une autre affaire potentiellement importante qui concerne la bonne foi dans les contrats, Greater Vancouver Sewerage and Drainage District v. Wastech Ltd, 2019 BCCA 66, a été plaidée devant la CSC simultanément à l'affaire Callow. Lorsqu'elle sera publiée, cette décision de la CSC pourrait enrichir la doctrine.

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