L'autorité de réglementation prudentielle du Québec publie une ligne directrice sur la gestion des risques liés aux changements climatiques

L'Autorité des marchés financiers (l'« Autorité des marchés financiers »), l'autorité de réglementation prudentielle du Québec, a publié son projet de ligne directrice sur la gestion des risques liés aux changements climatiques (la « ligne directrice ») pour consultation publique le 30 novembre 2023. Un nombre croissant d'autorités de réglementation financière prudentielle canadiennes fournissent des lignes directrices aux institutions financières sur les risques liés aux changements climatiques. L'AMF est l'une des dernières autorités à publier une ligne directrice sur ce sujet. L'objectif de la ligne directrice est de renforcer la résilience des institutions financières québécoises et du secteur financier dans son ensemble face à l'accroissement des risques liés aux changements climatiques et à l'incertitude liée à ces changements et à ces risques. Les commentaires sur la ligne directrice peuvent être soumis à consultation-en-cours@lautorite.qc.ca jusqu'au 30 janvier 2024.

La ligne directrice s'applique aux assureurs agréés, aux coopératives de services financiers et aux caisses de crédit, aux sociétés de fiducie autorisées et aux autres institutions de dépôts autorisées, peu importe leur taille, leur nature, leur complexité ou leur profil de risque. Ces institutions sont censées prendre en compte les risques liés au climat dans leurs processus de gestion des risques, notamment en adoptant des approches prospectives du risque climatique qui sont globales, intégrées et fondées sur des données et des analyses empiriques fiables.

La ligne directrice prend en considération les recommandations globales en matière de divulgation du Groupe de travail sur l'information financière relative aux changements climatiques (GTIFCC)1 du Conseil de stabilité financière (CSF). Lors de l'élaboration de la ligne directrice, l'AMF a également examiné les recommandations de l'Association internationale des contrôleurs d'assurance et de la Banque des règlements internationaux concernant la gestion des risques liés au climat.2

L'autorité de réglementation financière prudentielle fédérale canadienne, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), a publié la ligne directrice B-15, Gestion des risques climatiques (« ligne directrice B-15 du BSIF  ») en mars 2023. Voir notre publication sur la ligne directrice B-15 du BSIF ici. La ligne directrice présente des principes et un cadre similaires à celui de la ligne directrice B-15 du BSIF en ce sens que toutes deux sont alignées sur le GTIFCC. 

Toutefois, contrairement à la ligne directrice B-15 du BSIF, la ligne directrice de l'AMF contient des indications précises et détaillées sur le traitement équitable des clients en ce qui a trait à l'incidence du risque climatique sur la conception des produits, le processus de souscription, la commercialisation des produits, la publicité relative aux produits et l'information destinée aux clients. Une autre différence notable par rapport à la ligne directrice B-15 du BSIF est que la ligne directrice de l'AMF contient beaucoup moins de détails que celle du BSIF et, contrairement à la ligne directrice B-15 du BSIF, elle ne prévoit pas de délais variables en fonction des revenus et des actifs des institutions financières du Québec pour adopter des cadres de gestion des risques climatiques ou publier de l'information sur le climat. 

La ligne directrice repose sur un certain nombre d'attentes auxquelles, selon l'AMF, les institutions financières devraient répondre pour gérer efficacement leurs risques climatiques. L'AMF distingue plusieurs catégories d'attentes de la manière suivante :

1. Attentes en matière de gouvernance

1.1 Rôle et responsabilités du conseil d'administration

1.2 Rôle et responsabilités de la haute direction

1.3 Stratégie

2. Attentes en matière de gestion intégrée des risques

2.1 Identification et évaluation

2.2 Atténuation des risques

2.3 Suivi des risques et rapports

3. Attentes en matière de scénarios climatiques et de simulations de crise

4. Attentes en matière de suffisance du capital et des liquidités

5. Attentes en matière de traitement équitable des clients

5.1 Conception de produits

5.2 Processus de souscription

5.3 Commercialisation des produits

5.4 Publicité relative aux produits

5.5 Information destinée au client

6. Attentes en matière de communication d'informations financières sur les risques liés aux changements climatiques

6.1 Émissions de GES, mesures et cibles

Les attentes de l'AMF

1. Attentes en matière de gouvernance

Les membres du conseil d'administration et de la haute direction ont le devoir de prendre en compte les risques liés aux changements climatiques auxquels font face leurs institutions financières, et ils devraient avoir des rôles et des responsabilités clairement définis pour assurer l'exécution de cette obligation. On attend aussi plus particulièrement de la haute direction qu'elle intègre les risques climatiques dans les fonctions de gestion existantes de l'entreprise (par exemple, la surveillance, le cadre de gestion de l'appétit pour le risque, les contrôles internes et l'identification des problèmes et des opportunités).

Le conseil d'administration est censé surveiller les objectifs et les cibles, aborder les enjeux liés aux risques climatiques et veiller à ce que ces risques soient pris en compte par des livrables internes clés (comme les budgets, les plans d'action ou les politiques de gestion des risques). De plus, le conseil doit veiller à ce que les personnes qui gèrent les risques liés aux changements climatiques contribuent à chacune des trois lignes de défense de la société : la gestion, la gestion des risques et la conformité et l'audit interne. Enfin, à un niveau individuel, le conseil d'administration devrait veiller à ce que ses membres acquièrent un niveau de connaissances et d'expertise sur la gestion des risques liés aux changements climatiques et à ce que la rémunération versée au conseil d'administration, à la haute direction et à d'autres postes clés, reflète le travail et les connaissances des personnes en matière de risque climatique.

L'AMF souligne l'importance d'élaborer des stratégies d'affaires pour faire face aux incidences des changements climatiques et assurer la transition vers une économie sobre en carbone. Les principaux principes de cette stratégie comprennent : l'intégration de l'évaluation des risques liés aux changements climatiques lors de la détermination des cibles de capitalisation à court, moyen et long terme et lors de l'examen de la durée de vie utile des actifs et des infrastructures, et la mise en œuvre de plans de transition vers une économie sobre en carbone. Toutes ces stratégies d'affaires devraient être appuyées par des informations, des méthodes et des mesures saines partagées avec les investisseurs et d'autres parties prenantes.

2. Attentes en matière de gestion intégrée des risques

S'appuyant sur ses attentes en matière de gouvernance, l'AMF attend des institutions financières qu'elles adoptent des stratégies, des politiques et des procédures pour gérer efficacement leurs risques liés au climat. Ce faisant, les institutions financières devraient avoir des stratégies, des politiques et des procédures pour identifier, évaluer et gérer leurs actifs et passifs plus risqués d'une manière qui soit compatible avec leur appétit pour le risque. De plus, les institutions financières devraient maintenir un plan d'atténuation des risques liés aux changements climatiques et gérer leurs risques physiques et de transition au moyen de la surveillance et de la communication de cibles internes.

3. Attentes en matière de scénarios climatiques et de simulations de crise

L'AMF attend des institutions financières qu'elles utilisent régulièrement les analyses de scénarios climatiques dans le cadre de leurs simulations de crise pour orienter la planification stratégique et la gestion des risques. Cet exercice contribue à une compréhension approfondie de l'incidence des risques liés aux changements climatiques sur les institutions financières en évaluant comment une institution gérerait plusieurs scénarios climatiques futurs plausibles au cours de différentes périodes. Parmi les sources reconnues de scénarios climatiques figurent l'Agence internationale de l'énergie, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat  et le Réseau pour le verdissement du système financier. La ligne directrice prévoit qu'une institution financière devrait utiliser au moins un scénario pour lequel le réchauffement se limite au niveau indiqué dans le plus récent accord international sur les changements climatiques, actuellement fixé à 1,5oC au-dessus des niveaux préindustriels selon l'Accord de Paris de 2015.

4. Attentes en matière de suffisance du capital et des liquidités

L'AMF attend des institutions financières qu'elles détiennent suffisamment de capital pour payer les coûts relatifs à leurs expositions aux risques liés aux changements climatiques. Le fait d'assurer la disponibilité de ces fonds implique l'intégration des risques liés aux changements climatiques au processus interne d'évaluation de l'adéquation des fonds propres ou au processus d'évaluation interne des risques et de la solvabilité de l'institution financière, habituellement appelés le dispositif ORSA (Own Risk Solvency Assessment) et ICAAP (Internal Capital Adequacy Assessment Process) pour les institutions de dépôts. On attend également des institutions financières qu'elles intègrent une gamme d'événements de crise climatiques graves propres à l'institution financière et à l'échelle de son marché lorsqu'elles évaluent la suffisance de leur capital et de leurs liquidités.

5. Attentes en matière de traitement équitable des clients

L'AMF estime qu'il est important que les clients des institutions financières soient sensibilisés sur la fréquence accrue des événements climatiques extrêmes et sur les conséquences des risques physiques et de transition générés par les changements climatiques. En mettant l'accent sur la conduite sur le marché et le traitement équitable des clients, la ligne directrice renferme des attentes additionnelles importantes que l'on ne retrouve pas dans la ligne directrice B-15 du BSIF. L'AMF attend d'une institution financière qu'elle considère le traitement équitable des clients dans le cycle de vie de ses produits dans la perspective des risques liés aux changements climatiques, et qu'elle accorde une attention particulière aux besoins et aux intérêts des clients, notamment en ce qui a trait à la conception de produits, au processus de souscription, à la commercialisation de produits, à la publicité relative aux produits et à l'information destinée aux clients.

Ces attentes s'appliquent également à l'institution financière lorsqu'un intermédiaire est responsable de distribuer le produit de l'institution financière. Par exemple, dans le cadre du processus d'approbation des produits, la compagnie d'assurance devrait s'assurer que ses produits couvrent les catastrophes naturelles, comme les inondations et les incendies de forêt, qui sont adaptées aux besoins des clients et reflètent ces besoins.

En ce qui concerne le cycle de vie du produit, tout d'abord, la conception du produit devrait reposer sur les besoins et les intérêts des clients, tout en étant adaptée à l'évolution des risques liés aux changements climatiques. Ce faisant, le produit ne devrait pas exploiter les biais des consommateurs et devrait comprendre de la documentation tenant compte de la littératie financière du groupe de clients ciblés. Deuxièmement, la commercialisation des produits devrait être effectuée par des personnes formées pour comprendre les caractéristiques des produits qui ont trait aux changements climatiques et aux événements climatiques violents, et leur incidence sur les groupes de clients ciblés. Troisièmement, la publicité relative aux produits doit être claire, exacte et non trompeuse en ce qui concerne les risques liés aux changements climatiques qui sont associés au produit.

L'AMF encourage également les institutions financières à s'impliquer davantage dans l'orientation des clients vers une meilleure connaissance de leur tolérance au risque individuelle et une meilleure compréhension des qualités des produits. L'AMF s'attend à ce que l'information destinée aux clients relativement aux risques liés aux changements climatiques soit transmise avant, au moment et après l'achat d'un produit financier. Cette approche est contextuelle et variera en fonction des connaissances financières du client. Elle impliquera des explications détaillées de la part des institutions financières et de leurs intermédiaires vendeurs afin de permettre aux clients de comprendre le produit et de déterminer s'il répond à leurs besoins et correspond à leur tolérance face aux risques climatiques. L'information concernant les risques liés aux changements climatiques destinée aux clients après l'achat d'un produit devrait leur être transmise en temps opportun et leur permettre de déterminer si le produit qu'ils détiennent continue de répondre à leurs besoins et intérêts.

Les sociétés d'assurance devraient examiner et mettre à jour régulièrement leur processus de souscription pour formaliser et appuyer les facteurs de risque liés aux changements climatiques et les critères utilisés. Lorsqu'une compagnie d'assurance prévoit de modifier ou de retirer un produit du marché, elle devrait déterminer si cela entraînera un préjudice prévisible pour ses clients. Le cas échéant, les sociétés d'assurance devraient prendre des mesures pour enquêter sur ce préjudice, par exemple en s'abstenant de retirer abruptement le produit du marché ou en fournissant de l'aide aux clients afin de trouver d'autres produits alternatifs.

6. Attentes en matière de communication d'informations financières sur les risques liés aux changements climatiques

L'AMF attend des institutions financières qu'elles divulguent certains éléments de leur gestion des risques liés aux changements climatiques, comme leur gouvernance, les scénarios climatiques et les simulations de crise en lien avec les changements climatiques. Le but est double : renforcer la confiance du public dans le système financier québécois et veiller à ce que le public soit informé des risques de l'institution qui peuvent le toucher. Les institutions financières peuvent déterminer le type de rapport à utiliser pour communiquer l'information, qu'il s'agisse d'un rapport aux actionnaires ou d'un rapport distinct.

L'AMF propose cinq principes de communication de l'information que les institutions doivent suivre pour communiquer efficacement l'information sur les risques climatiques :

  1. Fournir des renseignements pertinents et complets concernant l'incidence des risques et des possibilités occasionnés par les changements climatiques à propos des marchés, des activités, de la stratégie, des états financiers et les autres activités commerciales pertinentes de l'institution financière.
  2. Les renseignements communiqués devraient être compréhensibles pour le grand public tout en étant suffisamment détaillés pour servir les parties intéressées plus averties.
  3. Les renseignements communiqués devraient être fiables, vérifiables et objectifs afin que l'institution financière garde une attitude neutre dans ses communications.
  4. Les renseignements communiqués devraient être appropriés en fonction de la taille, de la nature et de la complexité de l'institution financière.
  5. Les renseignements devraient être communiqués de façon uniforme, pour permettre aux parties intéressées de suivre et de comprendre les actions de l'institution financière et la façon dont l'institution est touchée par les risques liés aux changements climatiques. Cette fréquence de la communication devrait être annuelle au minimum et elle devrait être rendue publique au plus tard 180 jours après la fin de l'année financière.

6.1 Émissions de GES, mesures et cibles

L'AMF accorde une importance particulière à la nécessité de surveiller et de divulguer les émissions de gaz à effet de serre (« GES »). L'institution financière est censée respecter et rendre disponible l'information liée au calcul de ses émissions de GES des champs d'application 13 et 24 en termes absolus conformément au Protocole des GES : A Corporate Accounting and Reporting Standard.

Étant donné que le calcul des émissions5 de GES du champ d'application 3 en termes absolus peut être plus laborieux et peut exiger l'obtention d'informations auprès de diverses parties intéressées, l'AMF recommande aux institutions financières d'amorcer les travaux pour calculer ces émissions et d'établir un calendrier des échéanciers permettant d'effectuer ce calcul.

La divulgation du champ d'application 3 pourrait nécessiter d'obtenir de l'information de diverses parties intéressées. Dans ce contexte, la ligne directrice suggère que l'institution financière indique la proportion de ses activités qui font l'objet d'une divulgation de champ d'application 3 et les moyens que l'institution compte prendre afin de renforcer son niveau de divulgation. Si la norme de calcul utilisée par l'institution financière pour les émissions de GES du champ d'application 3 n'est pas la norme du Protocole des GES Corporate Value Chain (Scope 3) accounting and Reporting Standard, l'institution devrait expliquer en quoi la norme utilisée est comparable. Les émissions de GES et les paramètres associés devraient être fournis pour les périodes historiques afin de permettre l'analyse des tendances et les progrès effectués, le cas échéant. Les institutions financières devraient également divulguer les méthodologies qu'elles utilisent pour calculer les émissions de GES et les paramètres et décrire leurs principaux objectifs liés aux climats, que ce soit en ce qui a trait aux émissions de GES, à l'utilisation de l'eau, à l'utilisation de l'énergie ou à d'autres facteurs.

Dans la définition des cibles, la ligne directrice recommande aux institutions financières de considérer ce qui suit :

  • la base de méthode de calcul de la cible (absolue ou en intensité);
  • le temps d'implantation des cibles;
  • l'année de base sur laquelle les progrès seront mesurés; et
  • les indicateurs clés de performance utilisés pour mesurer les progrès.

Footnotes

1. Le CSF s'est dissous en octobre 2023 et a demandé à l'IFRS Foundation, qui a publié de nouvelles normes S1 General Requirements for Disclosure of Sustainability-Related Financial Information et S2 Climate-Related Disclosures en juin 2023, de reprendre la surveillance de la divulgation de l'information liée au climat. Voir notre publication sur S1 et S2 ici. L'AMF précise que les normes S1 et S2 de l'ISSB pourraient être prises en considération par l'AMF à une date ultérieure, auquel cas la ligne directrice sera mise à jour.

2. Voir International Association of Insurance Supervisors, Application Paper on the Supervision of Climate-related risks in the Insurance Sector, mai 2021; Banque des règlements internationaux, Principles for the effective management and supervision of climate-related financial risks, juin 2022

3. Les émissions de GES du champ d'application 1 sont des émissions directes de GES "provenant de sources qui sont détenues ou contrôlées par la société, par exemple, les émissions provenant de la combustion dans des chaudières, des fournaises, des véhicules, etc. appartenant ou contrôlés par la société; les émissions provenant de la production chimique dans des équipements de traitement détenus ou contrôlés" (Protocole des GES).

4. Les émissions de GES du champ d'application 2 sont des émissions indirectes de GES "provenant de la production d'électricité achetée consommée par la société" (Protocole des GES).

5. Les émissions de GES du champ d'application 3 sont "toutes les autres émissions indirectes [...] qui sont une conséquence des activités de la société, mais proviennent de sources qui ne sont pas détenues ou contrôlées par la société. Certaines activités relevant du champ d'application 3 sont l'extraction et la production de matières achetées; le transport de combustibles achetés; et l'utilisation de produits et services vendus" (Protocole des GES).

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