Dans une ère où l'opinion semble parfois être privilégiée au détriment de l'information, il est opportun de rappeler les possibles répercussions de simples commentaires par un employé relativement à sa relation d'emploi. En effet, les employés demeurent assujettis à une obligation de loyauté envers leur employeur et toute critique envers ce dernier peut constituer un manquement susceptible de sanction disciplinaire.

À cet effet, l'affaire Syndicat des chargées et chargés de cours de l'Université de Sherbrooke (SCCCUS) et Université de Sherbrooke (Denis Bernard), est particulièrement intéressante en ce qu'elle précise que la critique peut aller au-delà de la simple opinion protégée par la liberté d'expression et constituer un manque de professionnalisme et de loyauté.

La balance entre la liberté d'expression et l'obligation de loyauté prend d'autant plus d'ampleur dans le contexte des réseaux sociaux. L'affaire Syndicat démocratique des salarié(e)s de la résidence St-Jude et La Résidence St-Jude (9210-9719 Québec inc.) (Vickyan Tardif)i rappelle à ce titre que les commentaires publiés sur les réseaux sociaux deviennent publics de ce simple fait et que les employés devraient ainsi réfléchir avant d'exposer leur linge sale en public.

L'affaire Université de Sherbrooke

Dans cette affaire, le Tribunal d'arbitrage était saisi d'un grief contestant une sanction imposée au plaignant, un chargé de cours, suite aux critiques formulées par ce dernier contre le professeur titulaire ayant élaboré le contenu pédagogique d'un nouveau cours ainsi que contre la direction.

Effectivement, lors du premier cours donné par le plaignant, ce dernier a ouvertement critiqué le plan de cours préparé par son collègue et plus particulièrement le choix du matériel académique, un livre en anglais sans équivalent en français. Suite à certaines plaintes formulées par les étudiants, le plaignant a été convoqué par la direction sur cette question et a été réprimandé pour ses commentaires. Lors des cours suivants, le plaignant a pourtant continué à exprimer ses réticences par rapport au contenu pédagogique, critiquant non seulement le travail de son collègue, mais également le choix de l'Université de lui imposer un ouvrage en anglais. Il aurait notamment qualifié le travail de son collègue comme étant « inachevé » et « bâclé ».

L'employeur a qualifié le comportement du plaignant de manque de professionnalisme et de loyauté. Conséquemment, l'employeur a imposé une suspension équivalente à deux classes, sans traitement, au plaignant.

Le Syndicat a cependant contesté cette mesure par voie de grief, alléguant que la liberté d'expression garantissait au plaignant le droit d'exprimer ses opinions. Le Syndicat a notamment mis de l'avant l'importance pour un chargé de cours de pouvoir exprimer son opinion au nom de la liberté académique. Il est à noter que la convention collective prévoyait expressément le droit d'un chargé de cours d'exprimer ses opinions.

Cependant, de l'avis du Tribunal d'arbitrage, la liberté d'expression ne peut être considérée comme absolue et ne permet pas de faire exception à l'obligation de loyauté d'un employé envers son employeur. En l'espèce, selon l'arbitre Maureen Flynn, les critiques formulées ne relevaient pas de l'opinion personnelle protégée par la liberté d'expression ou la liberté académique, mais bien d'un refus de la part du plaignant de se soumettre à une directive professionnelle.

Le Tribunal d'arbitrage a ainsi qualifié ces gestes de manque de loyauté et de professionnalisme, nuisant à la crédibilité et à l'autorité du professeur et de la direction. Par conséquent, l'arbitre a conclu que les gestes du plaignant n'étaient pas compatibles avec l'exécution fidèle et loyale de son travail et étaient susceptibles de sanction. Le grief a donc été rejeté.

L'affaire Résidence St-Jude

En l'instance, le Tribunal d'arbitrage était saisi d'un grief contestant le congédiement de la plaignante, une infirmière auxiliaire dans une résidence pour personnes âgées, suite aux propos énoncés concernant ses conditions de travail, sur la page Facebook de l'une de ses anciennes collègues.

Les commentaires de la plaignante critiquaient vertement le climat de travail au sein de la Résidence. Notamment, la plaignante avait publié des commentaires à l'effet que les conditions étaient « l'Enfer » depuis quelques temps et dénonçant les abus de pouvoir effectués par les cadres. La plaignante a également dénoncé le comportement et la gestion du directeur de la Résidence, en le qualifiant de « criss de négatif » qui « fait plus de mal que de bien » et démontrant « comment il est insensible et intimidateur ».

Après avoir pris connaissance de ces commentaires, le directeur de l'établissement a congédié la plaignante, considérant que la teneur de ses propos était préjudiciable à la réputation de la Résidence et des employés-cadres et pouvait nuire au milieu de travail. Les commentaires émis étaient ainsi contraires aux obligations de loyauté prévues au Code civil du Québec et au Code d'éthique de l'employeur, interdisant l'utilisation des réseaux sociaux par les employés pour « parler de la Résidence ou se disputer entre eux ».

La plaignante s'est défendue en alléguant qu'elle croyait que ses commentaires étaient privés et confidentiels. De l'avis du Tribunal d'arbitrage, les écrits sur les réseaux sociaux n'étaient pas privés, mais publics, car en les publiant sur Facebook, l'auteur en perdait le contrôle et une multitude de personnes pouvait dès lors y avoir accès. Par conséquent, la seule croyance que ces commentaires demeuraient privés ne pouvait excuser les propos de la plaignante.

Le Tribunal d'arbitrage conclut que, bien que toute personne bénéficie de la liberté d'expression, il demeure qu'un employé doit respecter ses obligations de respect et de loyauté envers son employeur. Or, selon le Tribunal d'arbitrage, les termes utilisés étaient d'une étonnante virulence et une sanction était par conséquent justifiée.

Selon le Tribunal, il s'agissait d'un manque de jugement et d'une grossière erreur, sans toutefois pour autant qu'il n'y ait un bris irrémédiable du lien de confiance en raison de certains facteurs atténuants. Effectivement, à ce titre, l'arbitre a retenu l'absence de préméditation, la croyance que les commentaires étaient privés ainsi que le retrait rapide des commentaires et les excuses, bien que tardives, de la plaignante. De plus, l'arbitre a jugé que l'absence de preuve quant aux dommages ou à l'impact des commentaires sur l'entreprise constituait un facteur atténuant. L'arbitre a ainsi annulé le congédiement pour le substituer par une suspension de sept mois, sans traitement.

Conclusions

L'obligation de loyauté, de civilité et de professionnalisme de l'employé requiert de ce dernier qu'il s'abstienne d'entretenir des critiques irrévérencieuses envers son employeur, particulièrement sur les réseaux sociaux, sous peine de sanction. Par conséquent, un employeur peut être justifié de sanctionner un employé en raison de propos portant préjudice à la réputation de l'entreprise ou de son personnel.

Ceci étant dit, il appert de la jurisprudence arbitrale que chaque affaire demeure un cas d'espèce nécessitant une approche individualiste afin d'assurer un équilibre entre la liberté d'expression et l'obligation de loyauté de l'employé.

Footnote

i 2018 QCTA 593.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.