À peine deux mois après l'annonce d'une série de modifications importantes à la Loi sur la concurrence (la « Loi ») dans le cadre du budget 2022 du gouvernement fédéral du Canada, la Loi d'exécution du budget de 2022 (la « LEB ») a reçu la sanction royale. Comme il l'a fait ces dernières années, le gouvernement a accéléré le processus législatif pour faire adopter la LEB (un projet de loi omnibus couvrant un éventail d'objectifs) avant le congé estival du Parlement, ce qui signifie que bon nombre de changements sont dès à présent en vigueur.

Le texte législatif proposé de la LEB a reçu l'aval des deux Chambres du Parlement, sans modification. Notre précédente mise à jour comprend un résumé complet des principaux changements. En voici un aperçu à titre de rappel :

  • La criminalisation de certaines ententes d'achats entre employeurs, à savoir les accords de non-débauchage et de fixation des salaires, bien qu'il ne soit pas clair dans quelle mesure cette modification s'appliquera aux ententes visant des travailleurs autonomes et des sous-traitants. Cette modification entrera en vigueur en juin 2023;
  • L'augmentation considérable des sanctions pécuniaires pénales et civiles à l'égard des infractions liées au complot criminel, à l'abus de position dominante et aux pratiques commerciales trompeuses, ainsi que l'élargissement de l'accès des parties privées au Tribunal de la concurrence pour les affaires d'abus de position dominante;
  • La clarification du cadre analytique décrit dans la Loi à l'égard de l'abus de position dominante, de l'examen des fusions et des collaborations entre concurrents afin de renforcer l'application de la Loi dans les marchés numériques;
  • L'introduction d'une disposition anti-évitement pour les fusions délibérément structurées de manière à contourner l'avis préalable en principe requis.

Contrairement aux réformes précédentes de la Loi, il n'y a eu aucune consultation publique au préalable, le gouvernement fédéral estimant que les changements ne font que corriger des lacunes non controversées et harmoniser le régime canadien et les régimes d'autres pays. Pourtant, il s'agit en réalité des modifications les plus importantes depuis la réforme en profondeur de la Loi en 2009. En outre, la LEB contient des ambiguïtés fondamentales qui auraient pu bénéficier de véritables consultations avec le monde des affaires, les membres du Barreau et d'autres parties prenantes, et auraient mérité d'être débattues en profondeur dans le cadre du processus législatif.

Principales conséquences pour les entreprises exerçant leurs activités au Canada

  • Les accords de fixation des salaires et de non-débauchage seront criminalisés, mais un moratoire de 12 mois est prévu afin que les entreprises qui exercent leurs activités au Canada aient le temps de réviser leurs pratiques d'emploi et de les modifier au besoin pour éviter d'éventuelles enquêtes criminelles à compter de juillet 2023. En raison du libellé ambigu de la LEB, le Bureau de la concurrence (le «Bureau ») devra aussi préciser comment il entend appliquer cette nouvelle disposition. À titre d'exemple, l'interdiction s'applique à toutes les ententes entre employeurs qui touchent les « conditions d'emploi », un terme si vaste qu'il englobe presque tous les types de collaboration (potentiellement bénéfiques pour la concurrence) entre employeurs.
  • Plusieurs publications officielles du Bureau devront être substantiellement révisées à la lumière de ces changements, notamment les Lignes directrices sur la collaboration entre concurrents, le document Fusionnements lignes directrices pour l'application de la loi et les Lignes directrices sur l'abus de position dominante. Le Bureau devra par exemple préciser comment les accords criminels de fixation des salaires et de non-débauchage interdits seront traités aux termes de ses Programmes d'immunité et de clémence. Le Bureau a signalé son intention de collaborer avec les intervenants pour intégrer ces modifications à ses lignes directrices en matière d'application de la Loi, et a annoncé des séances d'information publiques en ligne au cours des semaines à venir afin de fournir de l'information sur les changements. Ces initiatives devraient quelque peu atténuer l'incertitude réglementaire découlant de la vitesse et du contenu du processus de réforme législative. En date d'aujourd'hui, le Guide des modifications apportées en 2022à laLoi sur la concurrence publié par le Bureau pour préciser la nature des réformes de la LEB est avare d'information sur la façon dont le Bureau a l'intention d'appliquer ces nouvelles dispositions de la Loi.
  • Comme l'accès privé a été élargi pour permettre à des tiers de déposer des plaintes pour abus de position dominante devant le Tribunal de la concurrence (le «Tribunal »), le Bureau devra aussi détailler dans quelles circonstances il cherchera à intervenir dans de telles affaires. En 2005, le Bureau a publié un Bulletin d'information sur l'accès privé au Tribunal de la concurrence qui explique aux parties privées potentielles le rôle du Bureau dans une affaire visée par les dispositions sur l'accès privé. L'ajout de l'abus de position dominante à la liste des actions privées qu'il est possible d'intenter devant le Tribunal pourrait nécessiter la révision de ce cadre.

En raison de ce flou analytique, les entreprises devraient profiter des prochains mois pour évaluer l'état de leurs programmes de conformité et leurs pratiques commerciales au Canada. Puisque le gouvernement a nettement augmenté les ressources financières du Bureau, il faut s'attendre à ce que ce dernier fasse appliquer la Loi avec davantage de fermeté, inspiré par la démarche d'application stricte du droit en place dans d'autres pays.

En outre, la LEB a été qualifiée d'« étape préliminaire » dans la modernisation du régime de concurrence du Canada. Selon certaines sources, la prochaine phase de la réforme (qui devrait heureusement inclure des consultations publiques avant le processus législatif) pourrait survenir à l'été ou à l'automne 2022. La portée exacte de ces futurs changements, dont la possible révocation partielle ou complète de la défense basée sur les gains d'efficience prévue dans le droit canadien, sera donc sans doute dictée par l'évolution des débats avec les intervenants. Il s'agira d'une étape cruciale d'un processus qui façonnera vraisemblablement l'application du droit de la concurrence au Canada pour la prochaine décennie, voire plus longtemps.

Pour plus de renseignements, veuillez consulter notre groupe du droit de la concurrence/antitrust et de l'investissement étranger.

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