Entre les services d'avocats et les sociétés de conseil, qui peut pratiquer le conseil juridique et quelles sont les prérogatives de chacun ?

Le métier d'avocat fait partie de ces professions règlementées qui jouissent d'un monopole d'exercice. La loi du 10 août 1991 sur la profession d'avocat, telle que modifiée (la « Loi »), a créé un monopole de la consultation juridique pour les avocats au Luxembourg.

Face à ce monopole, y-a-t-il encore une place pour le conseil juridique par des non professionnels du droit ?

La concurrence sur le marché de la consultation juridique entre avocats et autres acteurs de l'économie luxembourgeoise (juristes d'entreprises et de banques, fiduciaires, expert-comptables, réviseurs d'entreprises, Big4 et autres cabinets pluridisciplinaires anglo-saxons) ne date pas d'hier.

Les commentateurs du projet de loi1 sur la profession d'avocats avaient déjà soulevé le problème. Le débat est revenu sur le devant de la scène médiatique avec la plainte déposée en 2012 par le Conseil de l'Ordre des avocats luxembourgeois contre KPMG qui décidait de créer un département de conseil juridique2 et communiquait sur cette création directement auprès de ses clients et via son site web.

Le principe posé par la Loi est le suivant : « Nul ne peut, directement ou par personne interposée, donner, à titre habituel et contre rémunération, des consultations juridiques, ou rédiger pour autrui des actes sous seing privé, s'il n'est autorisé, aux termes de la présente loi, à exercer la profession d'avocat »3.

Le monopole couvre donc les « consultations juridiques » données « à titre habituel et contre rémunération ». Les consultations occasionnelles ou encore celles à titre gracieux ne tomberaient donc pas dans le champ d'application de la Loi.

Le législateur justifiait la création de ce monopole par le souci « d'assurer la protection des justiciables à l'égard de ceux qui pratiqueraient la consultation en dehors de tout contrôle de qualification et de déontologie4 ».

Les contours de ce monopole ont été aménagés en prévoyant un certain nombre de dérogations5. La Loi prévoit, ainsi, que ne fait pas obstacle à ce monopole la faculté, notamment:

  • pour les personnes exerçant une autre activité professionnelle réglementée par la loi ou une profession dont l'accès et l'objet sont réglementés par la loi de donner des renseignements sur le droit applicable au Luxembourg relevant directement de leur activité ou profession et de rédiger des actes juridiques qui constituent l'accessoire nécessaire de la prestation fournie;
  • pour les juristes d'entreprises, exerçant leurs activités en exécution d'un contrat d'emploi au sein d'une entreprise, d'une société ou d'un groupe de sociétés, de donner tous les conseils et d'effectuer toutes les opérations d'ordre juridique nécessaires à l'activité et en rapport direct avec les activités de leur employeur.

La première catégorie d'exception concerne, notamment, les notaires, les réviseurs d'entreprise, les experts-comptables ou encore les fiduciaires offrant des services de domiciliation. 

Cette dérogation est restrictive quant à la nature des services juridiques autorisés (« donner des renseignements sur le droit applicable au Luxembourg ») et quant au lien devant nécessairement exister avec l'activité principale.

La consultation juridique, qui semble s'opposer au simple « renseignement »,  n'est définie par aucun texte, bien qu'elle constitue la pierre angulaire de la problématique qui nous occupe.

La législation française en matière de monopole des avocats est très proche de la législation luxembourgeoise6 et en pareille absence de définition, le Conseil national des barreaux français avait proposé d'insérer dans la loi française du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, telle que modifiée, la définition suivante : "La consultation juridique consiste en une prestation intellectuelle personnalisée tendant, sur une question posée, à la fourniture d'un avis ou d'un conseil fondé sur l'application d'une règle de droit en vue, notamment, d'une éventuelle prise de décision".

Les dictionnaires et lexiques juridiques définissent encore la consultation juridique comme un avis ou conseil donné par un professionnel du droit habilité par la loi sur une situation qui soulève des difficultés juridiques ainsi que sur la (ou les) voie(s) possible(s) pour les résoudre.

Par opposition, le renseignement ou information juridique peut se définir comme une simple mise à disposition de données juridiques à caractère général dans un domaine plus ou moins étendu7.

La Cour d'appel de Paris8 a décidé ainsi que dès lors que sont concernées des prestations personnalisées, « bien qu'intervenant en amont des services d'un avocat, [et qui] ne se bornent pas à la diffusion d'une simple information juridique de type documentaire mais qui tendent à analyser une situation juridique et en résoudre les difficultés quel qu'en soit leur niveau de complexité et à concourir directement à la prise de décision par le client », ces prestations sont à qualifier de consultations juridiques relevant du domaine protégé de l'avocat.

La limite entre « renseignement » ou « information générale » et « consultation » ou « conseil juridique » peut s'avérer très ténue en pratique et avoir de lourdes conséquences pour des professionnels non avocats qui pratiquent la consultation juridique, en particulier en matière de droit des sociétés et en droit fiscal.  

Ainsi, un réviseur d'entreprises ou un expert-comptable ne serait pas autorisé à conseiller leurs clients sur leur situation fiscale et proposer des solutions fiscales adaptées à leur situation, bien que le conseil fiscal soit le cSur même de leur métier. Ils devraient se contenter de donner des « renseignements sur la loi applicable » sans s'aventurer vers un conseil particulier et renvoyer systématiquement leur client vers un avocat pour obtenir une consultation personnalisée. Concernant ensuite les actes juridiques que les professionnels de la première catégorie sont autorisés à rédiger, ceux-là doivent constituer l' « accessoire nécessaire de la prestation fournie  ». En l'absence de précision dans la loi, que faut-il entendre par « accessoire nécessaire » ? Ainsi, est-ce que l'expert-comptable est autorisé à prendre en charge la constitution des sociétés dont il établit les comptes ou encore d'autres actes touchant à la vie de la société (dissolution, contrat de location-gérance, augmentation/réduction de capital, changement de dirigeant, transfert de siège social), et de façon plus générale, le secrétariat juridique de ces sociétés ?9 Est-ce que ces actes peuvent être considérés comme constituant « l'accessoire nécessaire » de l'activité de ces professionnels du chiffre?

Les contrôleurs légaux des comptes ainsi que les cabinets d'audit sont, par ailleurs, soumis aux dispositions communautaires qui, au titre de la garantie d'indépendance de leurs fonctions, encadrent voire interdisent à ces professions la fourniture de certains services autres que d'audit10.

La nécessaire interprétation des dispositions légales expose les professionnels visés à une relative incertitude juridique sur le bien-fondé ou non de leur intervention en ce domaine, ce qui devrait les amener à interpréter la loi de manière plutôt restrictive que large.

Finalement, les juristes d'entreprises se voient autorisés à « donner tous les conseils et d'effectuer toutes les opérations d'ordre juridique nécessaires à l'activité et en rapport direct avec les activités de leur employeur »11. La loi ne précise cependant pas ce que recouvre la notion de conseils ou opérations « nécessaires à l'activité et en rapport direct » à l'activité principale de leur employeur. Par exemple, qu'en est-il d'un conseil en investissement donné à un client qui inclut nécessairement la considération d'impacts juridiques et fiscaux ?

Une seule certitude demeure : la profession d'avocat est seule autorisée, à titre principal, à donner des consultations de droit, quel qu'en soit la forme.

Les autres professions visées ne peuvent aborder le conseil juridique qu'à titre accessoire, dans un cadre légal aux contours incertains, avec le risque d'empiéter sur le domaine réservé à l'avocat. Les non avocats sont donc prévenus, surtout au vu du fait que la Loi prévoit des sanctions pénales attachées à la violation du monopole de l'avocat.

Le domaine du conseil juridique a connu encore une évolution particulière, notamment en France, au travers des sites de conseils en ligne, dont la légalité face au monopole des avocats fait débat devant les tribunaux français12.

En parallèle, un autre phénomène ne doit pas être négligé, celui du développement du marché européen qui va faciliter l'entrée sur le marché de nouveaux professionnels du conseil au nom de la libre prestation des services, professionnels qui, hors des frontières, ne sont soumis à aucun monopole de la consultation.

Footnotes

1. Projet de loi n°3273.

2.A notre connaissance l'instruction est toujours en cours.

3.Article 2 (2) de la Loi.

4.Projet de loi n°3273 du 16.01.1989, page 15.

5.Article 2 (3) de la Loi.

6.Notons qu'il n'existe par contre pas de monopole du conseil juridique pour les avocats en Belgique.

7.L'article 3 de la Loi précise que la Loi « ne fait obstacle à la diffusion en matière juridique de renseignements et d'informations à caractère documentaire ».

8.Cour d'appel de Paris, 18 septembre 2013, n°10/25413, Recueil Dalloz 2013 p. 2232.

9.La Cour de Cassation française a eu l'occasion de se prononcer à plusieurs reprises au sujet de l'activité juridique d'un expert-comptable et son caractère accessoire, voir Cour de Cassation, ch. criminelle, 23 mars 1999, n°98-80271 ; Cour de Cassation, ch. criminelle, 13 mars 1996, n°94-86022 ; Cour de Cassation, ch. criminelle, 9 novembre 2004, n°02-12415.

10.Directive 2006/43/CE du 17 mai 2006, telle que modifiée, concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés (notamment considérant (11) et (33) et article 22), et le Règlement (UE) n°537/2014 du 16 avril 2014 relatif aux exigences spécifiques applicables au contrôle légal des comptes des entités d'intérêt public qui interdit aux contrôleurs légaux des comptes ainsi que les cabinets d'audit des entités d'intérêt public, entre autres, la fourniture de « services juridiques ayant trait à (i) la fourniture de conseils généraux, (ii) la négociation au nom de l'entité contrôlée ; et (iii) l'exercice d'un rôle de défenseur dans le cadre de la résolution d'un litige  » (notamment considérant(8), (9) et (10) et articles 4 et 5).

11.Projet de loi n°3273 (2) du 11.11.1991 - Avis de l'association des banques et banquiers (28.10.1988), page 51, qui cite à titre d'exemples d'avis ou informations juridiques donnés par les juristes de banque « la publication de brochures contenant des opinions de droit, la réponse circonstanciée au client s'inquiétant du devenir de son dépôt après son décès, l'avis d'un juriste interne demandé par un cocontractant en matière de contrats internationaux, le conseil en investissement incluant des considérations juridiques et fiscales ou l'interprétation de la relation contractuelle liant le client et la banque. Ce sont là autant d'avis juridiques écrits qui se placent pourtant dans la spécificité du métier de banquier ».

12.Voir notamment TGI Paris, 30e ch. correctionnelle, 13 mars 2014, n°13248000496 et 13248000544.

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