Quelques propos introductifs

La présente Newsletter de Monfrini Bitton Klein vise à offrir, de manière hebdomadaire, un tour d'horizon de la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral dans les principaux domaines d'activité de l'Etude, soit le droit pénal économique et le recouvrement d'actifs (asset recovery).

Sans prétendre à l'exhaustivité, seront reproduits ci-après les considérants consacrant le raisonnement juridique principal développé par notre Haute juridiction sur les thématiques suivantes : droit pénal économique, droit de procédure pénale, droit international privé et droit de la poursuite et de la faillite.

I. PROCÉDURE PÉNALE

TF 1B_420/20221 du 9 septembre 2022 | Composition irrégulière du tribunal – garantie d'indépendance

  • Le Recourant, prévenu de plusieurs infractions contre le patrimoine, a été placé en détention préventive par le Zwangsmassnahmengerichts du canton de Zurich. Il a contesté cette décision devant l'Obergericht zurichois, qui l'a confirmée. Dans le cadre de son recours devant le Tribunal fédéral, il critique la composition de l'Obergericht de Zurich et plaide le défaut d'indépendance. Dans ce sens, il relève que l'autorité cantonale de dernière instance qui a rendu la décision litigieuse était composée de trois juges : les deux premiers étaient des juges en chef suppléants (fonction exercée à titre accessoire) qui exerçaient en même temps la fonction de greffier (à titre principal) au sein de la même juridiction alors que le troisième était le Président de la chambre, juge en chef. Au vu de leur fonction respective, le Recourant soutient que les juges suppléants (et greffiers) seraient directement subordonnés au Président de la chambre, le juge en chef, et seraient ainsi soumis à ses instructions, ce qui ne serait pas compatible avec l'exigence d'un tribunal impartial (consid. 5.1).
  • Laissée jusqu'ici expressément ouverte, le Tribunal fédéral doit trancher la question suivante : est-ce que la désignation d'un greffier de la chambre de jugement comme juge suppléant (au sein de cette même chambre) constitue une violation de l'art. 30 al. 1 Cst. et de l'art. 6 ch. 1 CEDH ? (consid. 5.3).
  • Notre Haute juridiction a tout d'abord constaté que les juges en chef suppléants étaient assimilés juridiquement aux membres ordinaires de l'Obergericht de Zurich et n'étaient donc pas formellement soumis à des instructions dans l'exercice de leur fonction judiciaire. Toutefois, il a relevé qu'ils se trouvaient dans un rapport de subordination formel vis-à-vis du juge en chef dans le cadre de leur activité (principale) de greffier exercée en parallèle, ce que le fait que les greffières et greffiers soient (directement) subordonnés à la greffière en chef au sein de l'organisation judiciaire n'était pas de nature à modifier. Cette problématique était ensuite renforcée par le fait que, selon le droit cantonal zurichois, le Président de la chambre détermine la composition du tribunal et qu'il lui appartient donc d'apprécier, conformément à ses obligations, quand et à quel titre il fait appel aux membres de sa chambre qui exercent à la fois les fonctions de greffier et de juge (consid. 5.3.5).
  • Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral a retenu qu'il existait une hiérarchie formelle (non contestée) qui créait à tout le moins l'apparence d'une hiérarchie informelle, susceptible de porter atteinte à l'indépendance judiciaire interne des personnes désignées comme juges suppléants. Ceci était renforcé par le fait que cette apparence de manque d'indépendance résultait des conditions d'organisation choisies par le canton et qu'elle pouvait et devait donc aussi être évitée par des mesures appropriées relevant du droit de l'organisation (consid. 5.3.5).
  • Partant, le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion suivante : la désignation d'un greffier de la chambre de jugement comme juge suppléant (dans cette même chambre) viole le droit à un tribunal indépendant selon l'art. 30 al. 1 Cst. et l'art. 6 ch. 1 CEDH. Ce droit est de nature formelle, de sorte que sa violation entraîne l'admission du recours et l'annulation de la décision attaquée, indépendamment du bien-fondé matériel du recours. Contrairement à l'avis du Recourant, la décision ne saurait être considérée comme nulle (consid. 5.4).

TF 6B_866/2021 du 15 août 2022 | Non-entrée en matière – droit d'être entendu

  • A la suite de l'inexécution du contrat passé avec le Recourant par la société E., celui-ci a mis la société en demeure et déposé plainte pénale à son encontre pour escroquerie, subsidiairement abus de confiance. Durant les investigations policières, la société E. a été déclarée en faillite. Le Recourant a adressé au Ministère public une réquisition des moyens de preuve complémentaires en date du 30 janvier 2020. Bien qu'ayant reçu le 3 mars 2020 les documents requis concernant la faillite de la société E., le Ministère public ne les a pas transmis au Recourant et a rendu une ordonnance de non-entrée en matière le 11 mars suivant. Le Recourant attaque l'ordonnance de non-entrée en matière du Ministère public par devant le Tribunal fédéral en invoquant la violation de son droit d'être entendu.
  • La cour cantonale a considéré qu'en requérant de l'Office des poursuites et faillites le dépôt du dossier concernant la faillite de la société E., en application de l'art. 194 CPP, le Ministère public avait matériellement ouvert une instruction, de sorte qu'il aurait dû rendre une ordonnance de classement au sens de l'art. 319 CPP et non une ordonnance de non-entrée en matière au sens de l'art. 310 CPP. Elle a toutefois jugé que ce motif ne pouvait conduire à l'annulation de l'ordonnance en cause, dès lors que le Recourant n'avait subi aucun préjudice dans ce contexte et que la violation de son droit d'être entendu pouvait être réparée (consid. 2.3).
  • Le Tribunal fédéral n'a pas suivi l'avis de la cour cantonale : il a estimé qu'il ne ressortait ni de la décision attaquée, ni du dossier de la cause, que le dossier de faillite, comportant des documents comptables dont le Recourant avait requis la production, lui aurait été communiqué en lui ménageant la possibilité de se déterminer durant le bref laps de temps écoulé entre la production du dossier par l'office, le 3 mars 2020, et la notification de l'ordonnance de non-entrée en matière le 11 mars suivant. Au regard de ces éléments et au vu de cet enchaînement, il était indispensable, pour sauvegarder son droit d'être entendu, que le Recourant puisse avoir connaissance et s'exprimer sur les pièces en question avant que le Ministère public ne rende sa décision (consid. 2.3).
  • Partant, le Tribunal fédéral a considéré que le Recourant avait subi un préjudice du fait qu'il n'ait pas été tenu compte de l'ouverture matérielle de l'instruction liée à la production du dossier en cause. Cette situation a empêché, au détriment du Recourant, qu'il soit fait application de l'art. 318 CPP (consid. 2.3).
  • Ce vice n'étant pas réparable nonobstant le pouvoir de cognition dont disposait la cour cantonale, il s'ensuit que le grief de violation du droit d'être entendu s'avère fondé (consid. 2.3).
  • Le recours est donc admis, l'arrêt entrepris annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente (consid. 3).

TF 6B_215/2022 du 25 août 2022 | Préjudice irréparable du Ministère public (art. 93 al. 1 let. a LTF) – récusation

  • Dans les faits, plusieurs procédures pénales en lien avec une banque ainsi que certains de ses employés ont été ouvertes par un Procureur ou confiées à ce dernier. Un verdict de culpabilité a été rendu contre les prévenus (Intimés) par Bezirksgericht de Zurich. Certains prévenus, employés de la banque, ont déposé une demande de récusation à l'encontre du Procureur. Cette demande a été classée et le Tribunal fédéral n'est pas entré en matière sur le recours contre ce classement.
  • L'Obergericht de Zurich a annulé les jugements de culpabilité rendus à l'encontre des Intimés, considérant que les preuves administrées étaient inexploitables en raison de la partialité du Procureur en charge. Elle a renvoyé la cause à l'instance précédente pour nouvelle décision. Le Ministère public zurichois a déposé un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral contre cette dernière décision.
  • Tout d'abord se pose la question de savoir si une décision de renvoi à l'autorité précédente peut faire l'objet d'un recours auprès du Tribunal fédéral, l'art. 93 al. 1 let. a LTF requérant un préjudice irréparable (consid. 1.3.2).
  • In casu, le Tribunal fédéral a admis la présence d'un préjudice irréparable. Son argumentation se fonde sur le fait que l'Obergericht de Zurich, en considérant que l'ensemble des preuves administrées par le Ministère public était inexploitable et en revoyant l'affaire pour nouvelle décision au Bezirksgericht pour cette raison, ne laissait en réalité pas d'autre choix à ce dernier que de renvoyer à son tour l'affaire au Ministère public pour une nouvelle administration des preuves. Ce faisant, le Ministère public aurait dû déclarer inexploitables toutes les preuves, privant ainsi l'accusation de tout fondement. Par conséquent, le Tribunal fédéral retient que le Ministère public subirait un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (consid. 1.4.2).
  • Ensuite, concernant la partialité du Procureur dénoncée par les Intimés, ces derniers estimaient que le Procureur devait se récuser pour diverses raisons. Premièrement, il avait transmis une plainte pénale visant la banque à cette dernière pour qu'elle se détermine. Les Intimés avaient argué que cette transmission risquait de conduire à la destruction ou à la falsification de preuves. Deuxièmement, le Procureur aurait traité la plainte pénale contre l'un des employés plus rapidement que celle déposée à l'encontre de la banque (consid. 3.1).
  • A ces deux arguments le Ministère public avait répondu, tout d'abord, que la transmission de la plainte pénale ne faisait courir aucun risque au bon déroulement de la procédure du fait que la banque savait déjà être l'objet d'une plainte. Ensuite, il avait avancé que les deux plaintes pénales visaient des situations qui n'étaient pas comparables et une différence dans le traitement de celles-ci se justifiait (consid. 3.5).
  • Partant, le Tribunal fédéral nie l'existence de motifs de récusation et admet l'exploitabilité des preuves administrées par le Procureur (consid.3.6).

TF 6B_477/2022 du 25 août 2022 | Escroquerie (art. 146 CP) – exemption de peine (art. 52 CP)

  • Le Recourant a été condamné à une peine pécuniaire et une amende pour escroquerie (art. 146 CP) pour avoir touché des indemnités de chômage indues en procédant à de fausses déclarations. Selon le Recourant, le fait qu'il avait rapidement remboursé les montants indus, que sa faute était légère, que le montant était relativement faible (CHF 3'489.-) et qu'il avait soi-disant reçu cet argent par inattention, justifiait une exemption de peine (consid. 1.1).
  • Quant à l'autorité de recours, elle a estimé que le Recourant avait sciemment fourni des informations erronées et que les abus envers les caisses de pension devaient être punis en raison d'un intérêt public prépondérant (consid. 1.2).
  • Le Tribunal fédéral donne raison à l'instance précédente et confirme qu'il y a un intérêt public fondamental au maintien de l'utilisation conforme au but des fonds de l'Etat. Pour cette raison, il n'est pas arbitraire de condamner à une peine une personne ayant abusé de ce système, l'exemption de peine étant dans cette hypothèse exclue (consid. 3.2).

II. DROIT PÉNAL ÉCONOMIQUE

TF 6B_710/2022 du 31 août 2022 | Abus de confiance qualifié (art. 138 ch. 2 CP)

  • L'art. 138 ch. 2 CP vise à englober des groupes d'auteurs qui jouissent d'une confiance accrue. En ce qui concerne la notion de gérant de fortune professionnel, le Tribunal fédéral a retenu qu'une personne peut également gérer des biens à titre professionnel si elle exerce par ailleurs d'autres activités dans une mesure importante (consid. 2.1).
  • En 2008, le Tribunal fédéral s'était penché sur le cas d'un fiduciaire qui s'était approprié CHF 1'560'000.- lesquels lui avaient été remis en vue de l'obtention d'un crédit important auprès d'une banque pour être conservés et ensuite transmis. Il avait retenu que les fiduciaires avec des exigences de confiance accrues faisaient partie du groupe d'auteurs visé par l'art. 138 ch. 2 CP (consid. 2.1).
  • Dans le cas d'espèce, il ressort des faits que le Recourant est actif dans le domaine fiduciaire. Il est responsable de la comptabilité, des déclarations d'impôts, des contrôles comptables, des révisions et d'autres travaux administratifs. Il s'occupe également en partie du trafic des paiements pour les clients. Lors de l'audience d'appel, il a indiqué à ce sujet qu'il ne proposait en principe pas de gestion de fortune ni de conseil en assurance et qu'il était rare qu'on lui confie des fonds de tiers à titre fiduciaire. L'instance inférieure en a conclu que le Recourant n'était pas un gestionnaire de fortune professionnel au sens propre du terme. Toutefois, elle a relevé que l'Intimé, entre autres, aurait majoritairement qualifié le Recourant de fiduciaire et lui faisait confiance en tant que professionnel (consid. 2.2).
  • Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral a considéré que le Recourant s'était vu confier une somme d'argent considérable, parce qu'il jouissait d'une grande confiance en raison de son activité professionnelle. L'Intimé aurait eu recours aux services du Recourant précisément parce qu'il lui faisait confiance en raison de ses connaissances professionnelles en tant que fiduciaire. Partant, en tant que l'Intimé a désigné le Recourant comme son gestionnaire de fortune, il devait être considéré comme tel (consid. 2.2).

TF 6B_289/2022 du 24 août 2022 | Escroquerie (art. 146 CP) – faux dans les titres (art. 251 CP)

  • Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a considéré que le fait pour un potentiel acquéreur d'assurer à son vendeur qu'il ou sa société allait acquérir le bien immobilier pour un montant déterminé alors même qu'il n'aurait jamais disposé des moyens financiers suffisants et qu'il n'avait aucune volonté de s'exécuter peut être constitutif d'une escroquerie au sens de l'art. 146 CP (consid. 5). Il a également confirmé que le fait de passer sous la forme authentique un contrat qui ne correspondait pas à la volonté de son cocontractant était constitutif d'un faux dans les titres (consid. 6.).

III. DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

TF 5A_1015/2021 du 4 août 2022 | Refus de reconnaissance d'un jugement étranger en raison de l'identité des parties et de l'objet (art. 27 al. 2 let. c LDIP)

  • Il peut y avoir identité d'objet, conduisant au refus de reconnaissance d'une décision étrangère, entre les conclusions civiles, introduites en Suisse, déduites par adhésion à la procédure pénale tendant à la réparation d'un dommage découlant d'une infraction et une action en responsabilité civile à l'étranger (consid. 6.2.2).

IV. DROIT DE LA POURSUITE ET DE LA FAILLITE

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Footnote

1. Destiné à publication

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