Thomas Grjebine, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), constate que le modèle économique européen est fondé sur un financement de l'économie par les banques (le crédit), ce qui le différencie du modèle de financement existant aux Etats-Unis reposant sur les marchés (émission d'actions ou d'obligations). A titre d'illustration, il confirme que le crédit bancaire représente moins d'un cinquième du financement total de l'économie aux Etats-Unis contre plus de 50 % dans la zone euro. Il note d'ailleurs que le financement par les marchés est une tradition ancienne aux Etats-Unis. La part des obligations représentait déjà 54 % de la dette des entreprises dans les années 1950.

Si, d'après les études récentes de l'histoire économique, il n'est pas avéré qu'un système financier reposant sur les marchés serait plus favorable à la croissance à long terme qu'un modèle reposant sur les banques, on pourra constater que l'organisation du système financier peut avoir un impact important lors des phases de reprise économique, notamment suite à des crises bancaires. Toujours d'après Thomas Grjebine, lorsque les banques sont défaillantes, l'existence d'un marché obligataire permet en effet aux entreprises de trouver une source de financement alternative au crédit bancaire. Ceci peut permettre aux entreprises d'investir de nouveau et donc aux économies de repartir plus rapidement1.

Certaines études récentes soulignent en effet que l'économie américaine a retrouvé plus rapidement les chemins de la croissance, après la récession de 2008-2009 grâce à son système financier qui lui a notamment permis de substituer du financement obligataire au financement bancaire2. Du fait de la crise, les banques étaient en grande difficulté. L'existence d'un marché obligataire développé a permis aux entreprises américaines de trouver facilement une source de financement alternative au financement bancaire défaillant.

Sans doute fort de ces constats, Jean-Claude Juncker, nouveau président de la Commission Européenne (« CE ») depuis le 1er novembre 2014, a déclaré devant le Parlement Européen le 15 juillet 2014, alors qu'il était candidat à la présidence de la CE : « je suis d'avis que nous assortissions les nouvelles règles bancaires européennes d'une Union des Marchés de Capitaux (« UMC »). Pour améliorer le financement de notre économie, nous devrions développer et intégrer davantage les marchés de capitaux. Cela pourrait réduire les coûts de financement, notamment pour les petites et moyennes (« PME »), et contribuer à réduire notre très forte dépendance en matière de financement bancaire. Cela permettrait aussi de renforcer l'attractivité de l'Europe en matière d'investissements ».

La mise en oeuvre de ce projet d'UMC a été depuis confiée au commissaire Jonathan Hill, qui a présenté, le 18 février 2015, un livre vert intitulé « Construire l'union des marchés de capitaux », lequel en donne une présentation incontestablement séduisante : « l'union des marchés des capitaux devrait permettre à l'Union européenne de progresser vers une situation dans laquelle, entre autres exemples, les PME pourront obtenir des financements aussi facilement que les grandes entreprises ; il y aura convergence, au niveau de l'Union européenne, des coûts d'investissement et des possibilités d'accès aux produits d'investissement ; il sera de plus en plus simple d'obtenir des financements sur les marchés de capitaux ; et ceux qui voudront se financer dans d'autres Etats membres ne se heurteront plus à des obstacles juridiques ou prudentiels injustifiés ».

D'après la CE, les objectifs de l'UMC sont donc les suivants :

  • Mettre en place un système financier plus diversifié en complétant le financement bancaire par des marchés des capitaux développés et approfondis.
  • Débloquer les capitaux actuellement gelés dans toute l'Europe et les mettre au service de l'économie, afin d'offrir un plus grand choix d'investissements aux épargnants et de financements à moindre coût aux entreprises.
  • Mettre en place un véritable marché unique des capitaux dans l'Union Européenne (« UE »), permettant aux investisseurs de placer librement leurs fonds à l'étranger et aux entreprises de mobiliser les fonds dont elles ont besoin auprès d'un large éventail de sources, quel que soit leur lieu d'implantation »3.

Néanmoins, le livre vert4 insiste sur le fait « qu'une mesure unique ne suffira pas à mettre en place une UMC. Il faudra une série de mesures qui, prises séparément, pourront être modestes, mais dont l'effet cumulé sera significatif ». Entendu par la commission des finances et la commission des affaires européennes, le commissaire Jonathan Hill avait également souligné que «l'UMC est un projet de long terme. Ce sera le cumul de plusieurs mesures concrètes »5.

Ainsi que l'a résumé Bruno Bézard, directeur général du Trésor, entendu par la commission des finances du Sénat le 11 mars 2015, « l'UMC est une initiative européenne très positive, bien que son contenu soit encore flou », même si quelques mesures ont déjà été annoncées6. Afin de préparer la position de la France, le ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, a d'ailleurs demandé à Fabrice Demarigny de lui faire des recommandations7.

L'UMC est donc l'une des priorités de la CE. Sa réalisation s'étendra sur 5 ans, à partir de 2015. Elle a notamment pour objet de développer dans l'UE le financement non bancaire de l'économie européenne et notamment des PME dans un contexte où les crédits bancaires peinent semble-t-il à soutenir l'activité.

Si l'ambition n'est pas nouvelle, puisque la réalisation du marché unique de capital a déjà fait l'objet de plusieurs initiatives, elle suscite néanmoins autant d'attentes de la part des acteurs financiers et des entreprises que d'interrogations.

Cette étude abordera trois thèmes : (I) L'UMC est-elle une initiative politique visant à développer le marché unique des capitaux ? (II) Les contraintes pesant sur les banques favorisent-elles le développement du financement par les marchés de capitaux ? (III) Enfin, en guise d'UMC, ne va-t-on pas vers une Union des Financement de l'Investissement ?

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Footnotes

1 Le financement obligataire accélère-t-il les reprises ? La Lettre du CEPII, N°351, février 2015, Thomas Grjebine, Urszula Szczerbowicz, Fabien Tripier

2 IMF Working Parpers 15/148. What slice of the pie? The corporate bond market boom in emerging economies, Diana Ayala, Milan Nedeljkovic and Christian Saborowski, July 2015

3 http://ec.europa.eu/finance/capital-markets-union/index_fr.htm

4 Dans son livre vert publié le 18 février 2015, l'exécutif européen a recensé un ensemble de 32 priorités d'actions et 5 objectifs concrets : faciliter l'accès des PME aux marchés de capitaux, élargir l'éventail de leurs investisseurs, relancer le marché de la titrisation, stimuler l'investissement de long terme et développer les placements privés. Ces axes se déclinent en deux consultations parallèles : l'une sur la révision de la directive prospectus, l'autre sur un cadre européen pour la titrisation

5 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20150518/fin.html#toc6

6 Proposition de Règlement du Parlement Européen et du Conseil établissant des règles communes en matière de titrisation simples, transparentes et standardisées et modifiant les directives 2009/65/CE, 2009/138/CE et 2011/61/UE et les Règlements (CE) n°1060/2009 et (UE) n°648/2012

7 Fabrice Demarigny, 25 recommandations pour une union des marchés de capitaux axée sur l'investissement et le financement, rapport pour le ministre des finances et des comptes publics, mai 2015  

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