EDITORIAL

AMAZING GRACE

Le droit de grâce que vient d'exercer le Président de la République à l'égard de Mme Sauvage est étrange à plus d'un titre. Sans que l'on porte ici un quelconque jugement sur le bien fondé de la décision, il faut d'abord relever que le débat qui l'a précédée, consistant à opposer les droits des femmes et le droit pénal, était plus que surréaliste. Il suffit de remplacer « femmes » par « hommes » (ce que la parité exige) pour s'en apercevoir. On verra donc si, un jour, un homme battu pourra bénéficier de la même clémence après une semblable incartade à la légitime défense. Ensuite, reprocher au secrétariat d'Etat aux droits des femmes de ne pas s'être engagé dans le soutien du recours en grâce n'avait pas davantage de sens. Entre la justice et le Président, cette administration n'avait aucun rôle à jouer. Il est vrai que, de nos jours, on est habitué à voir des ministres donner des conseils publics au Chef de l'Etat, mais quand on rencontre un responsable ministériel respectueux des institutions, on ne peut manquer de l'approuver. Enfin, la composante la plus étonnante du droit de grâce présidentiel est la mise à l'écart de la justice. En effet, quoiqu'en dise le communiqué officiel, il s'agit bien, pour le chef de l'exécutif, de se substituer à la justice. Pas complètement, puisque le crime demeure ; pas totalement, puisque l'intégralité de la peine n'est pas effacée. Mais tout de même, il s'agit bien de corriger la justice. D'ailleurs, quand autrefois le Président refusait les recours en grâce alors que la peine de mort avait été prononcée, il décidait « de laisser la justice suivre son cours » (autrement dit : Couic !). A contrario, lorsque le Président accorde sa grâce, il décide nécessairement que la justice ne doit pas suivre son cours. La survivance de ce vieux pouvoir monarchique est étrange, d'autant que, paradoxalement, il est devenu plus discrétionnaire encore avec l'interdiction des grâces collectives intervenue en 2008. Les années 90 avaient vu des flopées de libérations anticipées décidées par les présidents Mitterrand puis Chirac dans la ferveur du 14 juillet et pour la gestion optimisée de la surpopulation carcérale. Maintenant que la grâce est redevenue strictement individuelle, le poids des circonstances est devenu essentiel. Mais là aussi, on est troublé : imagine-t-on une pétition influencer un jury de cour d'assises ? Le pétitionnaire aurait sûrement quelques comptes à rendre. Envisage-t-on des parlementaires de tout bord se liguer pour faire pencher le fléau de la balance ? Ou bien une campagne de presse gigantesque à la veille d'un délibéré ? Pas davantage. Mais dans le cadre du recours en grâce, par contre, tout est possible. De telles manoeuvres sont quelquefois légitimes : il n'y aurait sans doute pas eu de grâce puis de réhabilitation du Capitaine Dreyfus sans campagne de presse. Mais il s'agissait d'une erreur judiciaire découlant de faits inexacts et frauduleusement constitués. Rien de tel ici.
C'était la semaine de la justice et de la grâce. Peu de temps avant la décision présidentielle, la Garde des Sceaux quittait la place Vendôme en vélo. Mais là, c'était seulement un instant de grâce.

SOURCES

JURISPRUDENCE

Contentieux - office du juge du référé précontractuel. A L'occasion d'un référé précontractuel contre un marché passé par la communauté intercommunale des villes solidaires, la société évincée saisit le juge des référés administratif tribunal administratif de la Réunion d'un référé précontractuel et soulève un moyen relatif à l'erreur d'appréciation du pouvoir adjudicateur au regard du critère de « cohérence entre la décomposition du prix global et forfaitaire et la note méthodologique du candidat ». Le juge de première instance annule la procédure sur ce fondement en retenant que le pouvoir adjudicateur avait « apporté des corrections injustifiées au décompte des emplois que la société entendait affecter à l'exécution du marché » pour apprécier défavorablement l'offre de la requérante. Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation, rappelle qu'il n'appartient pas au juge des référés de « se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres » mais qu'il lui incombe « lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats ». Au cas d'espèce, il relève que le juge des référés ne s'est pas borné à vérifier que pouvoir adjudicateur n'avait pas dénaturé le contenu de l'offre de la société, mais s'est prononcé sur l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur la valeur de cette offre et il annule l'ordonnance attaquée (CE, 20 janv. 2016, Société Derichebourg Polyurbaine, n° 394133, fiché B au recueil Lebon).

Redevance d'occupation du domaine public. Mme B... est débouté par le tribunal administratif de Nice de sa demande tendant à l'annulation des stipulations de la convention d'occupation du domaine public conclue avec la commune de Nice relatives au calcul de la redevance due. La Cour administrative d'appel de Marseille confirme le jugement en rappelant, d'une part, que le juge du contrat saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat « peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité » et, d'autre part, que la clause fixant la redevance due à raison de l'occupation du domaine public revêt « un caractère déterminant pour les parties à la convention, est indivisible du reste du contrat et ne saurait être annulée de façon isolée. » (CAA Marseille, 12 janvier 2016, Mme B., n° 14MA00644).

Exigence de loyauté des relations contractuelles. Le cabinet Christian Noël Conseils a mis en relation le centre hospitalier de Bourges avec un acheteur de chaudières mais suite à l'opération de vente avec l'acheteur le centre hospitalier a refusé de régler la note d'honoraires du cabinet pour son activité d'intermédiation. Suite à sa condamnation en première instance elle interjette appel et soutient qu'aucun contrat n'a pu être valablement conclu avec le cabinet Noël Conseils. La Cour administrative d'appel rappelle  que « lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel. » Elle relève ensuite qu'un courrier du cabinet Christian Noël Conseils présentait une offre précise et ferme au centre hospitalier, qu'un contrat avait bien été conclu et elle rejette l'appel du centre hospitalier (CAA Nantes, 22 décembre 2015, centre hospitalier de Bourges, n° 14NT00289).

PARLEMENT

Projet de loi pour une République numérique. Les députés ont adopté le 26 janvier 2016, en première lecture, le projet de loi pour une République numérique. Au titre de ce texte, on peut noter que les administrations de plus de 250 salariés devront rendre spontanément publics leurs documents et leurs données sur internet et qu'il sera établi une liste noire des administrations refusant de communiquer des documents administratifs malgré l'avis favorable de la CADA.

GOUVERNEMENT

Relations des collectivités territoriales avec l'Etat.  Le décret n° 2016-19 du 14 janvier 2016 facilite la saisine du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) par les collectivités territoriales. Chaque collectivité dispose désormais d'un droit individuel à saisir le Conseil d'une demande qui devra être motivée et comporter l'indication de la norme dont l'évaluation est demandée. La collectivité pourra également formuler des propositions de réforme à l'occasion de cette saisine.

Obligations des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre. Le décret n° 2016-27 du 19 janvier 2016 renforce les obligations des maîtres d'ouvrage et des donneurs d'ordre faisant appel aux services de prestataires établis hors de France et détachant des salariés en imposant l'établissement d'une déclaration préalable à ce détachement. Il renforce également leur responsabilité en matière de paiement des salariés.

PRATIQUE

BIBLIOGRAPHIE

M. Ubaud-Bergeron, Droit des contrats administratifs, LexisNexis 2015, 483 p., 38 €

Le Manuel que le Professeur Ubaud-Bergeron a fait paraître en fin d'année dernière vient utilement compléter la boîte à outils des praticiens des contrats publics. La matière est si foisonnante qu'il est régulièrement nécessaire de revenir à l'essentiel et de consulter la doctrine – la vraie, celle qui voit clair. Nos vieux grimoires, que nous continuons à consulter avec respect en veillant à ce que leurs pages jaunies ne restent pas trop longtemps exposées à la lumière du jour, sont utilement complétées depuis une quinzaine d'années environ, par les ouvrages d'universitaires prenant en compte non seulement les espèces à l'origine des théories mais aussi et surtout les applications concrètes de leurs écrits. L'ouvrage de Mme Ubaud-Bergeron est de ceux-là : il est clair et il va à l'essentiel sans sacrifier pour autant la rigueur du propos. Divisé en quatre parties logiques (définitions / passation / exécution / contentieux), il comporte des développements relativement courts, annoncés par des titres « noyés », illustrés par des extraits d'arrêts ou de textes, enrichis de brèves mais précises « discussions » sur les sujets d'actualité (conventions domaniales et commande publique, déontologie de l'achat public, etc.) ou les questions qui structurent la matière depuis les origines (déséquilibre du contrat administratif, police administrative et contrat, etc.). En fin de volume, trois index (alphabétique, jurisprudence, discussions) complètent la table des matières pour permettre un accès rapide au sujet recherché. On l'aura compris, cet ouvrage est un nouveau « must have » du praticien des contrats publics. Ph. D.

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