MALTRAITANCES 

Même quand on ne se fait guère d'illusions sur la nature humaine, on ne peut manquer d'être choqué par les nouveaux cas de maltraitance envers des personnes âgées commises par des jeunes déterminés à prouver que l'indignité n'attend pas le nombre des années (la bêtise non plus, d'ailleurs, puisque les vidéos postées par leurs soins sur les réseaux sociaux les trahissent). L'actualité met régulièrement en lumière des affaires comme celle du Château de Louche (son nom seul eût suffi à alerter) où des octogénaires ont fait l'objet de traitement dégradants.

Mais il n'y a pas que la province qui soit touchée par ce fléau. Dans le même temps, à Paris, un autre château recevait un autre octogénaire venu remettre un rapport sur la réforme du code du travail. Ce document préconisait l'ajout d'un chapitre liminaire de 61 articles à un texte dont, peu de temps auparavant, il dénonçait l'hypertrophie. Il précisait aussi que, plutôt que formuler des propositions, il avait préféré travailler, avec quelques autres, « à droit constant », terme généralement réservé à la seule codification et non à la réflexion. Enfin, oubliant sans doute qu'il avait été professeur de droit, il ajoutait sans rire que l'on faciliterait le travail d'interprétation des scribes en leur permettant de confronter les nouveaux principes généraux, d'une part, et les dispositions du code, d'autre part. Dans une litote lumineuse, il affirmait que la « complexité croissante du droit du travail [n'était] pas nécessairement un facteur d'efficacité ». Pourtant, son comité « ne [s'était] pas cru autorisé, à regret parfois, à proposer de nouvelles dispositions » - on peut le comprendre –, ni même – et c'est plus surprenant –, « à formuler des suggestions ». Des cinq rapports rendus ces six derniers mois sur le droit du travail (Terra Nova, Institut Montaigne, CESE, Combrexelle), et qui tous ont donné lieu à controverses, celui-ci a immédiatement suscité l'enthousiasme du gouvernement puisque « il appartiendra à la commission de refondation du code du travail », dans les deux ans qui viennent, de formuler des propositions de réforme.

Que s'est-il passé ? MM. Badinter et Lyon-Caen, il y a environ six mois, sur le même sujet, faisaient un diagnostic sans concession et esquissaient des pistes novatrices dans Le Travail et la Loi (Ed. Fayard).  Comment expliquer ce grand écart ? Peut-être par les termes mêmes de la lettre de mission du gouvernement qui étaient très restrictifs. Après la violence légitime de Weber, l'Etat exerce-t-il quelquefois une maltraitance institutionnelle ? On ne veut pas le croire.

SOURCES

Jurisprudence

Accès aux documents administratifs. A la suite des refus opposés par la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) à ses demandes de communication des données issues de deux études diligentées par la CNAMTS relatives au Mediator, la Société Les Laboratoires Servier a saisi la juridiction administrative sur le fondement de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 (dont l'essentiel des dispositions est aujourd'hui codifié dans le code des relations entre le public et l'administration) pour en obtenir la communication. Le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation contre le jugement du tribunal administratif ayant débouté la requérante, relève que les études dont la communication était demandée ont été produites dans le cadre de la mise en examen de la société et faisaient l'objet d'une expertise judiciaire. Il souligne que la circonstance « que la communication d'un document administratif soit de nature à affecter les intérêts d'une partie à une procédure juridictionnelle ou qu'un document ait été transmis à une juridiction dans le cadre d'une instance engagée devant elle ne fait pas obstacle à sa communication. » Néanmoins, il tempère cette affirmation en précisant que la personne chargée d'une mission de service public sollicitée pour la communication des documents doit vérifier « si leur communication risquerait d'empiéter sur les compétences et prérogatives d'une autorité judiciaire ou d'une juridiction, auxquelles il appartient seules, dans le cadre des procédures engagées devant elles et en vertu des principes et des textes qui leur sont applicables, d'assurer le respect des droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure ». En l'espèce, le Conseil d'Etat juge que la communication des études était de nature à porter atteinte au déroulement de la procédure juridictionnelle en cours et rejette le pourvoi de la société (CE, 30 décembre 2015, Société Les Laboratoires Servier, n°372230).

Marché public – formation du contrat. A l'issue d'une procédure de dialogue compétitif le centre hospitalier de Bastia avait conclu avec la société OBM Construction un marché de travaux publics ayant pour objet la construction d'un bâtiment. Postérieurement à l'attribution du marché à cette société, le centre hospitalier lui confiait, dans le cadre de la mise au point du marché, la réalisation de travaux supplémentaires consistant, d'une part, en la création d'un parking et, d'autre part, en la réalisation d'un bâtiment annexe. Une entreprise concurrente a alors introduit un recours en contestation de validité contractuelle en faisant valoir que cette mise au point du marché était illégale et que cette irrégularité entachait la procédure de passation d'une irrégularité de nature à entraîner l'annulation totale du marché dès lors qu'elle remettait en cause le choix de l'attributaire. En appel, la Cour relève que la mise au point était bien irrégulière mais souligne qu'elle était intervenue après le choix de l'attributaire et n'avait donc pas eu pour conséquence de remettre ce choix en cause. Elle confirme le jugement de première instance en tant qu'il annule les modifications apportées au contrat dans le cadre de la mise au point irrégulière mais rejette les conclusions de la requérante tendant à l'annulation totale du marché litigieux. (CAA Marseille, 28 décembre 2015, SARL EIA, n° 14MA03928).

Marché public – Capacités techniques et professionnelles. Les articles 47 et 48 de la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 autorisaient les opérateurs économiques à faire valoir les capacités économiques, financières et techniques d'autres entités pour justifier de leur aptitude à exécuter le marché (cette faculté leur est aujourd'hui offerte au titre de l'article 63 de la directive 2014/24/UE du 26 février 2014). Dans le cadre de la passation d'un marché public, un pouvoir adjudicateur letton imposait aux soumissionnaires, par le biais d'une clause du cahier des charges, de conclure un accord de partenariat ou un contrat de société avec les autres entrepreneurs dont ils faisaient valoir les capacités à l'appui de leur propre candidature. La Cour, saisi d'une question préjudicielle, juge que les articles précités « doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'un pouvoir adjudicateur puisse, dans le cadre du cahier des charges relatif à une procédure de passation d'un marché public, imposer à un soumissionnaire qui fait valoir les capacités d'autres entités l'obligation, avant la passation dudit marché, de conclure avec ces entités un accord de partenariat ou de créer avec celles-ci une société en nom collectif. » (CJUE, 14 janvier 2016, Ostas celtnieks SIA, aff. C-234/14).

PARLEMENT

Collectivités territoriales. Le Sénat a adopté le 12 janvier 2016 la proposition de loi constitutionnelle relative à la compensation de toute aggravation par la loi des charges et contraintes applicables aux collectivités territoriales. Cette proposition vise notamment à modifier l'article 39 de la constitution pour mettre en place un mécanisme de « gage » obligeant à compenser toute nouvelle charge ou contrainte pour les collectivités territoriales par la suppression d'une charge ou contrainte d'importance équivalente.

Marché public.  La DAJ a publié le 12 janvier 2016 un guide de l'achat public de prestations de communication élaboré par le groupe d'études des marchés Prestations et supports de communication. Ce guide a pour objectif de permettre aux acheteurs publics de choisir la procédure de mise en concurrence et la forme de marché la plus adaptée pour répondre au mieux aux besoins de communication.

PRATIQUE

 LES RECOURS CONTRE LES CONTRATS PRIVES SOUMIS A DES OBLIGATIONS DE PUBLICITE ET MISE EN CONCURRENCE

Au titre de l'ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005, certains contrats conclus à titre onéreux entre une personne morale de droit public ou privé avec des opérateurs économiques pour répondre à leurs besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services sont soumis à des obligations de publicité et mise en concurrence sans pour autant être qualifiés d'administratif en vertu de la loi ou des critères traditionnels de la jurisprudence administrative. Dès lors, le contentieux de ces contrats de droit privé relève de la juridiction judiciaire (TC, 2 avril 2012, Société Atexo, n° 3831). Ces marchés obéissant néanmoins aux Directives « Marchés Publics », ils peuvent donner lieu à des recours spécifiques qui ne sont pas ouverts pour les contrats de droit privé ordinaires. Les recours en référé précontractuel et contractuel « judiciaires » ont été créés par l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 et sont régis par les articles 1441-1 à 1441-3 du code de procédure civile et L. 211-14, R. 213-5-1 et D. 211-10-2 du code de l'organisation judiciaire. Aux termes de ces textes, le candidat évincé peut saisir le président du tribunal de grande instance dont le siège et le ressort sont fixés par une annexe au code de l'organisation judiciaire. Il rendra une ordonnance en la forme des référés qui sera passible d'un recours en cassation dans les quinze jours de sa notification. Ces référés constituent l'exact pendant de leur homologue administratif. Ainsi le référé précontractuel est ouvert avant la conclusion du contrat litigieux dont la signature ne peut intervenir qu'à compter d'un délai de seize ou onze jours de la décision d'attribution du contrat (en fonction du support de cette dernière : papier ou électronique). Le référé contractuel, quant à lui, n'est ouvert qu'à compter de la conclusion du contrat et sous réserve que le requérant n'ait pas intenté un référé précontractuel. La jurisprudence de la Cour de cassation s'est fortement inspirée de celle du Conseil d'Etat et les référés administratifs et judiciaires suivent donc, pour l'essentiel, un régime identique tant en matière de moyens invocables que de pouvoirs du juge pour sanctionner les éventuelles illégalités entachant la procédure de passation. Cette convergence des deux jurisprudences n'a cependant pas été étendue aux recours au fond. En effet, si la jurisprudence administrative a développé le recours en contestation de validité contractuelle au profit des candidats évincés pour leur permettre de contester au fond la validité du contrat et d'assortir sa sanction d'une demande indemnitaire, son homologue judiciaire demeure moins prolixe en la matière. Pourtant, un arrêt du 16 janvier 2013 de la première chambre civile de la Cour de Cassation (Civ. 1ère, 16 janv. 2013, n° 11-27.837) laisser penser qu'il est envisageable pour un candidat évincé d'engager un recours pour demander l'annulation du contrat sur le fondement de l'article 1108 du code civil. La violation d'une obligation de publicité et de mise en concurrence pourrait en effet s'analyser comme une méconnaissance d'une règle d'ordre public économique entachant le consentement de la personne soumise à une telle obligation et le candidat évincé, justifiant d'un intérêt légitime à agir, pourrait l'invoquer pour demander la nullité du contrat litigieux. De même, l'article 1382 du code civil pourrait servir de fondement à une action en réparation du préjudice que causerait l'éviction fautive d'un candidat. Laurent Bonnard

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.