JURIDIQUEMENT CROUSTILLANT

La COP 21 s'est achevée samedi sur un succès si l'on en juge par les images de liesse collective et les commentaires journalistiques, tous centrés sur la joie d'en avoir fini et pas du tout sur le texte. Devant les récriminations de quelques esprits chagrins – du genre jamais contents – le ministre des affaires étrangères, président de la conférence, a donné quelques assurances et a notamment répété, comme il l'avait fait quelques semaines auparavant, que l'accord était « juridiquement contraignant ». Ces mots ont un sens précis et clair pour le commun des mortels, pas seulement pour le commun des juristes : la contrainte consiste à forcer quelqu'un à agir contre sa volonté, la contrainte suppose des sanctions en cas de violation de la norme. M. Cornu, dans son inoxydable Vocabulaire Juridique (Quadrige / PUF) en propose plusieurs déclinaisons dont celle-ci : « L'ensemble des voies et moyens de droit offerts et garantis par l'État en vue de l'exécution (au besoin forcée) des obligations et du respect des droits. » Les contribuables, par exemple, savent ce que « juridiquement contraignant » veut dire. Or l'Accord de Paris, contrairement au Protocole de Kyoto, ne comporte pas de sanctions. On pourrait ne pas s'arrêter à ce détail, ce que font d'ailleurs des juristes émérites, pour soutenir que l'accord « met une telle pression » sur les États parties à la conférence qu'il y aurait là comme une sorte d'équivalence à la contrainte juridique. Peut-être, et on reconnait que « comportant une équivalence à la contrainte juridique » n'est pas une expression très marketing ce qui pourrait expliquer le raccourci saisissant de « juridiquement contraignant ». La pression existe, c'est indéniable, mais elle résulte davantage de la dynamique collective des conférenciers que de l'accord lui-même. Là encore, inutile d'être expert en droit pour distinguer le présent ou le futur (contraignants) du conditionnel (non contraignant). Or, dans le texte final en version anglaise, les « should » ont remplacé les « shall » dans les passages les plus sensibles, notamment la première phrase de l'article 4.4. Nous sommes en mesure, pour nos lecteurs, de dévoiler l'évolution des corrections successives de ce texte récupérées dans les corbeilles recyclables de la conférence :

Developed country Parties shall should shall should shall should continue taking the lead by undertaking economy-wide absolute emission reduction targets.

Juridiquement alternant, accommodant, boitillant, captivant, consolant, emballant... Les participes présents ne manquaient pas pour la conférence de presse. Mais contraignant...

SOURCES

Jurisprudence

Convention d'occupation du domaine public et recours « Tarn-et-Garonne ». Le CE juge que tout tiers à une convention d'occupation du domaine public conclue sur le fondement de l'article L46 du code des postes et télécommunications électroniques, susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses, est recevable à former, devant le juge du contrat, un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Il a alors précisé que « lorsqu'une autorité gestionnaire du domaine public non routier décide de donner accès à ce domaine à des exploitants de réseaux de communications électroniques, mais choisit de limiter le nombre de conventions simultanément conclues à cet effet, la légalité de ce choix ainsi que celle du choix des cocontractants et celle du refus simultanément opposé à un autre exploitant de réseaux de communications électroniques ne peuvent être contestées, par ce dernier, que par un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ; que le candidat évincé n'est, dès lors, pas recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre la décision par laquelle le gestionnaire du domaine public n'a pas retenu sa candidature ». Ainsi, le choix du titulaire d'une convention d'occupation du domaine public telle que celle envisage en l'espèce ne peut être contesté que par la voie d'un recours "Tarn-et-Garonne" (CE, 2 décembre 2015, Ecole centrale de Lyon, n°386979).

Changement de nature d'un contrat administratif et compétence juridictionnelle. Gaz de France, alors EPIC, avait attribué en 2001 un contrat pour la construction d'un terminal méthanier. En 2005, GDF devenue société anonyme avait cédé le contrat à l'une de ses filiales par avenant. Une clause compromissoire prévoyait que tout différend relatif au contrat serait tranché définitivement suivant le règlement de conciliation et d'arbitrage de la chambre de commerce et d'industrie internationale. Un différend étant survenu, la filiale de GDF a demandé au CE l'annulation de la sentence rendue par le tribunal de la Cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce internationale. Le CE, après avoir rappelé les règles de compétence a estimé que les travaux mis à la charge du groupement par le contrat litigieux, qui avaient ainsi pour but de permettre à GDF de satisfaire à ces obligations, étaient, à la date de conclusion du contrat, réalisés pour le compte d'une personne publique, dans un but d'intérêt général, et présentaient, en conséquence, le caractère de travaux publics. Par suite, à la date de sa conclusion, le contrat litigieux présentait le caractère d'un contrat administratif ressortissant à la compétence de la juridiction administrative. Toutefois, l'avenant conclu pour réaliser la cession du contrat à sa filiale prévoyait que cette cession présentait un caractère rétroactif et substituait cette société à GDF en qualité de maître d'ouvrage dès la date de signature du contrat. Pour le CE, la question se posait de savoir si une telle clause avait pu avoir régulièrement pour effet de modifier la nature du contrat, initialement de droit administratif, en le transformant en contrat de droit privé dès la date de sa conclusion. Il a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de déterminer si l'action de la filiale relevait bien de la compétence du juge administratif (CE, 3 décembre 2015, Société Fosmax, n°388806).

Responsabilité quasi délictuelle du sous-traitant à l'égard du maitre de l'ouvrage. Revirement. Après avoir réceptionnés sans réserve des travaux relatifs à la couverture du toboggan de sa piscine, la commune de Bihorel avait constaté des désordres apparus 4 mois après, conduisant le maître d'ouvrage à rechercher la responsabilité des participants à l'opération. La CAA avait annulé le jugement condamnant solidairement les titulaires au titre de la garantie décennale et avait confirmé le rejet des conclusions dirigées contre le sous-traitant sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle. La commune de Bihorel s'est pourvue en cassation contre cet arrêt. Le Conseil d'État a ouvert une nouvelle action à la personne publique : « il lui est [toutefois] loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs ». Toutefois le maître d'ouvrage ne saurait, à cette occasion, « se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles » ni « rechercher la responsabilité de participants à l'opération de construction pour des désordres apparus après la réception de l'ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination » alors qu'il se place sur le terrain quasi délictuel (CE, 7 décembre 2015, Commune de Bihorel, n°380419, sera publié au Recueil).

Droit de l'Union européenne et fin d'un contrat de gestion de services publics. Une entreprise publique espagnole qui avait externalisé la gestion du service public de manutention d'unités de transport intermodal en la confiant à une société a par la suite décidé de ne pas proroger le contrat. Elle a à cette occasion refusé d'être subrogée dans les droits et obligations de cette dernière à l'égard de son personnel. Un des employés que la société avait alors licencié a contesté son licenciement devant les juridictions nationales. Dans le cadre de ce litige, le juge espagnol a posé une question préjudicielle à la CJUE l'amenant à se prononcer sur le point de savoir si la situation de l'espèce relevait ou non du champ d'application de l'article 1er §1 de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001 relative au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises. La CJUE a établi que tel était le cas puisque l'article 1er, paragraphe 1, de ladite directive, devait être interprété en ce sens que « relève du champ d'application de cette directive une situation dans laquelle une entreprise publique, en charge d'une activité économique de manutention d'unités de transport intermodal, confie, par un contrat de gestion de services publics, l'exploitation de cette activité à une autre entreprise, en mettant à disposition de cette dernière les infrastructures et les équipements nécessaires dont elle est propriétaire, puis décide de mettre fin à ce contrat sans reprendre le personnel de cette dernière entreprise, au motif que, désormais, elle exploite elle-même ladite activité avec son propre personnel » (CJUE, 26 novembre 2015, aff. C-509/14).

Gouvernement

Relation avec l'Administration. Le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique a présenté une ordonnance relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l'administration, sur l'application d'une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur. Est notamment instauré un mécanisme de pré-décision par lequel une société exploitante, installée sur le domaine public de l'État, pourra demander à l'administration de lui indiquer si, au vu des éléments fournis, elle accordera l'agrément à un potentiel repreneur pour la durée de validité du titre restant à courir. Elle entrera en vigueur au 1er janvier 2016 (Conseil des ministres du 9 décembre 2015).

Environnement. Le régime applicable aux installations classées pour la protection de l'environnement soumise à déclaration et enregistrement a été simplifié par un décret paru au JO le 11 décembre (Décret n°2015-1614 du 9 décembre 2015 modifiant et simplifiant le régime des installations classées pour la protection de l'environnement et relatif à la prévention des risqué).

PRATIQUE

l'emploi de la Signature Électronique en Matière de Marchés Publics

L'arrêté du 15 juin 2012 relatif à la signature électronique dans les marchés publics fournit le mode d'emploi de la signature dématérialisée pour les acteurs des procédures de passation et d'exécution des marchés publics. La fiabilité du procédé de signature électronique est présumée jusqu'à preuve contraire lorsque ce procédé met en Suvre une signature électronique sécurisée, établie grâce à un dispositif de création de signature électronique et que la vérification de cette signature repose sur l'utilisation d'un certificat électronique qualifié (article 2 du décret n°2001-272 du 30 mars 2001 pris pour l'application de l'article 1316-4 du code civil et relatif à la signature électronique). Aux termes de l'article 1er de l'arrêté, les documents de marchés publics, concernés sont ceux transmis électroniquement et pour lesquels une signature est requise. Il peut donc s'agir aussi bien d'un acte d'engagement que d'un formulaire, par exemple. Il n'y a pas de restriction particulière prévue quant aux documents pouvant faire l'objet d'une telle signature : il s'agit des documents qui auraient été signés de manière manuscrite. Si le document en cause ne nécessite pas de signature il peut être transmis électroniquement et sans signature électronique. La personne qui signe les documents par signature électronique est la personne qui les auraient signés si la transmission du document n'avait pas été dématérialisée. La signature électronique a la même valeur que la signature manuscrite, contrairement a une signature manuscrite scannée qui n'a pas valeur d'original, elle permet l'identification du signataire. Les certificats de signature acceptés sont prévus à l'article 2 de l'arrêté. Avec le document signé, le signataire doit transmettre un mode d'emploi permettant de procéder aux vérifications nécessaires et qui doit notamment comprendre la procédure permettant la vérification de la validité de la signature et l'adresse du site internet du référencement du prestataire par le pays d'établissement (à défaut les données publiques relatives au certificat du signataire comportant la liste de révocation et le certificat du prestataire de services de certification électronique émetteur). L'arrêté établit également que, pour apposer sa signature, le signataire utilise l'outil de signature de son choix. Ainsi l'acheteur ne peut-il pas obliger à l'utilisation de l'outil de la plateforme mais il doit toujours être en mesure de vérifier la validité de la signature gratuitement. L'ordonnance n°2005-1516 du 8 décembre 2005 prévoit, en ce qui concerne la vérification de conformité du certificat de signature, que le niveau de sécurité requis est déterminé au préalable par la personne publique, parmi les niveaux prévus par le référentiel général de sécurité (RGS). La vérification techniques des certificats de signature électronique et de la signature elle-même font partie des fonctionnalités du profil de l'acheteur public mais sont pas réalisées directement par la personne publique, contrairement à la vérification de l'identité du signataire et de sa capacité à engager l'entreprise.

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