L'action en contrefaçon permet au titulaire d'un droit d'auteur d'obtenir une indemnisation en cas de violation de ses droits1. En principe, cette action indemnitaire doit pouvoir être exercée quels que soient les faits à l'origine de la contrefaçon. Or, l'articulation de cette action avec les actions indemnitaires relevant du régime général de la responsabilité civile a longtemps interrogé.

Vers une indépendance de l'action en contrefaçon par rapport aux actions en responsabilité civile ?

Traditionnellement, lorsque les parties à un litige sont liées par un contrat et que le dommage subi par la victime découle d'un manquement contractuel, l'action en réparation doit être exercée sur le fondement de la responsabilité contractuelle2. L'indemnisation que la victime pourra obtenir sera par conséquent limitée au dommage prévisible au moment de la conclusion du contrat3.

En revanche, en l'absence de contrat liant les parties au litige, l'action en responsabilité exercée par la victime sera qualifiée de délictuelle4. Si l'action est fondée, le demandeur à l'action pourra obtenir la réparation intégrale de son préjudice, qu'il ait été prévisible ou non.

Tout comme l'action en contrefaçon, les actions en responsabilité civile ont une vocation indemnitaire. D'ailleurs, la loi rapproche expressément l'action en contrefaçon de la responsabilité civile5.

Toutefois, l'action en contrefaçon a été tantôt qualifiée de contractuelle, par exemple lorsque la contrefaçon était intervenue en violation des dispositions d'un contrat de licence, et tantôt été qualifiée de délictuelle, lorsque la contrefaçon est intervenue en dehors de tout cadre contractuel6.

S'est donc posée la question de savoir si l'existence d'un contrat de licence consenti par le titulaire du droit d'auteur était de nature à exclure la possibilité d'exercer l'action en contrefaçon. C'est en tous cas la question préjudicielle posée par la Cour d'appel de Paris à la Cour de Justice de l'Union européenne en octobre 20167. En l'espèce, le licencié n'avait pas respecté les termes du contrat de licence et avait modifié le logiciel protégé.

En décembre 2019, le juge européen tranche en indiquant que la violation d'une clause d'un contrat de licence constitue une atteinte à un droit de propriété intellectuelle au sens de la Directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle8. Le titulaire lésé doit ainsi pouvoir bénéficier des garanties mises en place par cette directive, et ce indépendamment du régime de responsabilité applicable.

Faisant écho à la jurisprudence européenne, la Cour de cassation prend position en octobre 20229 en estimant que l'application du principe de non-cumul des responsabilités ne doit pas priver la victime des actes contrefaisants des garanties mises en place par le droit de l'Union européenne. Ainsi, même lorsque la contrefaçon résulte de la violation des termes d'un contrat de licence, le titulaire de droit est fondé à agir en contrefaçon.

C'est dans cette même lignée que s'inscrit l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 8 décembre 202310. À cette occasion, la cour précise que les principes régissant la réparation des préjudices s'appliquant en matière contractuelle auraient pour conséquence de priver le titulaire du droit d'auteur des garanties prévues par les articles 7 (possibilité d'exercer une saisie contrefaçon) et 13 (principe d'adéquation du montant des dommages-intérêts) la Directive 2004/48.

Ainsi, le titulaire d'un droit de propriété intellectuelle devrait toujours être recevable à agir en contrefaçon, qu'il ait ou non concédé une licence au défendeur à l'instance.

La mise en Suvre conjointe ou subsidiaire d'une action en concurrence déloyale ?

Afin d'obtenir une indemnisation de son préjudice sur le fondement de l'action en contrefaçon, il appartiendra au demandeur de démontrer que son Suvre est originale et qu'il est titulaire du droit d'auteur se rattachant à cette Suvre.

Dans certains cas, le titulaire lésé pourrait envisager de doubler son action en contrefaçon d'une action en concurrence déloyale, laquelle relève de la matière délictuelle11. Cette dernière permet de sanctionner les agissements qui seraient contraires à la loyauté du commerce (tels que le dénigrement, la confusion, la désorganisation de l'entreprise) ou bien les agissements parasitaires (définis comme le fait pour une entreprise de tirer profit de manière illégitime des efforts et de la réputation d'une autre entreprise).

Toutefois, la mise en Suvre conjointe d'une action en concurrence déloyale suppose de démontrer une faute distincte de l'acte de contrefaçon12. L'acte déloyal ne peut être regardé comme étant l'accessoire de l'acte de contrefaçon mais doit en être détachable.

Par exemple, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le fait de commercialiser des produits contrefaits ne constitue pas une faute distincte caractérisant un acte de concurrence déloyale13.

En revanche, le titulaire lésé peut mettre en Suvre une action en contrefaçon et solliciter, alternativement et pour les mêmes faits, une indemnisation sur le fondement de la concurrence déloyale dans l'hypothèse où les conditions de l'action en contrefaçon seraient considérées comme n'étant pas réunies14.

En particulier, si le demandeur ne parvient pas à démontrer l'originalité de son Suvre, mais qu'il parvient à démontrer les investissements réalisés pour la développer et le fait que ces investissements auraient été indument appropriés, il pourra solliciter une indemnisation au titre de ces agissements parasitaires.

Ainsi, l'action en concurrence déloyale constitue a minima un complément utile de l'action en contrefaçon. Elle permet, dans certaines circonstances, à la victime d'un acte prétendument contrefaisant d'obtenir :

  • soit une indemnisation complémentaire, lorsqu'il existe une faute détachable de la contrefaçon ;
  • soit une indemnisation minimale lorsque l'Suvre litigieuse ne serait pas considérée comme étant protégée par le droit d'auteur.

Footnotes

1. Articles L. 111-1 et suivants et L. 332-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle

2. Article 1231-1 du Code civil

3. Article 1231-3 du Code civil

4. Article 1240 du Code civil

5. Par exemple l'article 716-4 du code de la propriété intellectuelle en droit des marques : « toute atteinte portée (à un droit de propriété intellectuelle) constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur ».

6. Voir par exemple : Cass. 1re civ., 20 sept. 2017, n° 16-20.148

7. Cour d'appel de Paris, pôle 5 – ch. 1, 16 octobre 2018

8. CJUE 18 déc. 2019, IT Development SAS contre Free Mobile SAS, aff. C-666/18, D. 2020. 12.

9. Cass., 1ère Civ., 5 octobre 2022, n° 21-15.386, publié au bulletin.

10. Cour d'appel de Paris – Pôle 5 – Chambre 2 – 8 décembre 2023 – n°21/19696

11. Article 1240 du Code civil

12. Com. 10 déc. 2013, no 11-19.872

13. Cass, 24 octobre 2018 n°16-23.214

14. Com 14 novembre 2018, n°16-25.692 et 16-28.091

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