Dans le paysage français du contentieux de brevet, il est classique que la validité d'un brevet européen soit contestée devant plusieurs juridictions et que des mesures d'interdiction provisoire soient décidées alors que des procédures contentieuses devant l'OEB (opposition ou recours) sont pendantes. La décision de l'OEB pouvant conduire à la révocation du brevet en cause dans tous les pays désignés, la pertinence des procédures devant l'OEB est régulièrement examinée par les magistrats français1.

L'affaire dite « valsartan amlodipine »2 en est une bonne illustration. Alors qu'une procédure d'opposition était pendante à l'OEB, une société générique assigne en nullité en France le titulaire du brevet européen, puis lance son produit générique. Le titulaire réplique par une assignation en contrefaçon, puis demande devant le juge de la mise en état des mesures d'interdiction provisoire. Avant que l'incident ne soit plaidé en France, la division d'opposition avait maintenu le brevet en première instance. Le magistrat avait été informé qu'un recours était formé devant l'OEB, des arguments du recours, et du fait que la procédure devant l'OEB était accélérée.

Le magistrat français a estimé, après examen détaillé, que tous les motifs de nullité soulevés devaient être rejetés. Cette interprétation s'inscrit dans la lignée des décisions rendues précédemment3 selon lesquelles si l'OEB, en opposition, a estimé un brevet valable, le juge saisi d'une demande d'interdiction provisoire va également considérer le brevet valable.

Cette interprétation est sujette à caution car les chambres de recours n'ont pas nécessairement tendance à confirmer les décisions des divisions d'opposition. Par exemple, la chambre de recours 3.3.1 (qui est celle du cas valsartan amlodipine) n'a confirmé en 2018 que 28% des décisions de la division d'opposition qui avaient maintenu le brevet tel que délivré. Il est donc étonnant que les décisions des divisions d'opposition aient une influence si importante et notamment dans le cas d'interdictions provisoires.

Dans l'affaire « valsartan amlodipine », le magistrat français a prononcé des mesures provisoires : il a notamment ordonné le paiement de dommages et intérêts à titre de provision (environ dix millions d'euros), la cessation de la commercialisation sous 48 heures, ainsi que la production de documents comptables. En raison d'un accord amiable, la procédure au fond s'est terminée.

Toutefois, cette affaire pose la question de la légitimité du prononcé de mesures provisoires aussi sévères, surtout lorsqu'une décision de recours est attendue dans les prochains mois. Et pour cause, après le prononcé de mesures d'interdiction hors du commun en France et largement relayées4 la chambre de recours a estimé que le brevet n'était pas valide.

Une certaine prudence devrait donc être de rigueur.

Les solutions pourraient être multiples : la juridiction saisie pourrait s'associer à la requête en accélération de la procédure, les chambres de recours accélérant les procédures de manière très poussée lorsque ces demandes émanent de juridictions nationales5. Le magistrat pourrait également ordonner des mesures provisoires uniquement si le temps nécessaire à l'OEB pour rendre sa décision définitive est particulièrement lointaine (par exemple : plus d'un an).

Pour le contrefacteur allégué, l'interdiction est une sanction extrêmement contraignante : un éventuel appel ne sera pas décidé avant 9 à 12 mois. Elle est donc subordonnée à une durée de procédure difficilement compatible avec la vie du marché, et de façon concomitante à une éventuelle stratégie dilatoire du breveté pour retarder l'arrêt d'appel.

Cet inconvénient majeur devrait conduire les magistrats à ordonner le paiement de garanties importantes pour éviter une situation ubuesque.

Le même argument interprété différemment

L'analyse des motifs ayant conduit les différentes instances à leurs décisions est également intéressante. Les trois décisions (division d'opposition à l'OEB, juge de la mise en état en France, chambre de recours à l'OEB) sont axées autour du même argument : un document donné devait-il ou non être considéré comme état de la technique le plus proche.  La revendication protégeait une combinaison de valsartan et d'amlodipine « en une dose unitaire » (un seul comprimé). L'indication thérapeutique mentionnée dans le brevet est l'hypertension. L'état de la technique sur lequel le débat s'est porté était un compte-rendu d'essai clinique dans lequel les patients hypertendus recevaient soit du valsartan, soit de l'amlodipine. Ceux dont la tension n'était pas satisfaisante recevaient de l'amlodipine supplémentaire : certains patients ont donc reçu à la fois du valsartan et de l'amlodipine. La question en débat était de savoir si cet état de la technique pouvait servir d'état de la technique le plus proche.

Selon le breveté, les patients ayant reçu la combinaison l'avaient reçue uniquement pour des raisons éthiques (ne pas laisser un patient sans traitement), pas pour vérifier l'efficacité de la combinaison, ni pour traiter les patients au moyen de la combinaison. Selon les parties demandant la nullité, des patients hypertendus avaient reçu la combinaison, qui avait semblée efficace : le document pouvait donc servir d'état de la technique le plus proche.

La division d'opposition estime que les résultats d'efficacité pour les patients ayant reçu la combinaison n'étant pas individualisés, et le but de l'étude étant de comparer la monothérapie valsartan à la monothérapie amlodipine, le document ne peut pas servir d'état de la technique le plus proche. La division d'opposition estime le brevet valable.

Le magistrat français estime que l'administration de la combinaison n'a pas pour but de traiter les patients, mais a pour but d'éviter aux patients de rester avec un traitement inefficace. Il conclue que les contestations sur la validité du brevet ne sont pas sérieuses.

La chambre de recours rappelle que l'état de la technique le plus proche est celui ayant le même but et ayant le plus de caractéristiques techniques en commun que les revendications. Dans le cas des revendications d'indication médicale ultérieure, le but de l'invention doit être le traitement de la condition médicale (hypertension). La chambre rappelle ensuite que le fait que ce document ne vise pas le traitement de l'hypertension avec la combinaison n'est pas pertinent. En effet, la combinaison, même si elle a été donnée pour des raisons éthiques, a néanmoins été donnée dans le but de traiter les patients hypertendus.

Le brevet est révoqué pour défaut d'activité inventive.

Footnotes

1 Exemple de décisions ayant ordonné un sursis :

- TGI Paris, 28 octobre 2016, DSM c. Novozymes, « kluveromyces », RG n° 15/01377

- TGI Paris, 5 décembre 2014, Eurofeedback c. Dermeo, RG n° 12/06214

2 TGI Paris, 13 octobre 2016, Teva c. Novartis, RG n° 16/15196, « valsartan amlodipine », brevet EP 2 322 174

3 Exemples de décisions ou d'ordonnances ayant suivi la décision de l'OEB :

- TGI Paris, 31 janvier 2019, Bamford Excavators c. Manitou, RG n° 17/06462

- TGI Paris, 6 décembre 2018, Teva c.  Novartis, « valsartan », RG n° 16/15196

- Cour de cassation chambre commerciale, 22 novembre 2016, Decathlon c. Time Sport, RG n° 1516647

- TGI Paris, 5 décembre 2014, Eurofeedback c. Dermeo, RG n° 12/06214

- CA Paris, 10 janvier 2014, Neil c. Pierre Fabre, « nicotine », RG n° 12/14361

4 Tant dans le monde du contentieux des brevets (eplaw, pharmaIPcircle... ) que dans le monde pharmaceutique (Le moniteur des pharmacies, le pharmacien de France, le quotidien du pharmacien, Celtipharm...)

5 Communiqué OEB 17.03.2008, JO 2008, 221, point 2 ; Art 10(4) du nouveau règlement des chambres de recours

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