Le 6 mai dernier, dans l’affaire Godin et al. c. L’Aréna des Canadiens inc. et al.[i], l’honorable juge Chantal Lamarche, j.c.s., a rendu une décision rejetant l’autorisation d’exercer une action collective visant à réclamer, pour le compte des employés rémunérés sur une base annuelle, le paiement des heures supplémentaires en vertu de la Loi sur les normes du travail (la « LNT »).

D’intérêt pour tous les employeurs du Québec, la Cour supérieure (la « Cour ») confirme dans cette décision la jurisprudence à l’effet que l’existence d’un salaire horaire habituel constitue une condition d’application à la rémunération majorée des heures supplémentaires prévue à l’article 55 de la LNT.

Le contexte

La demanderesse était coordonnatrice principale à la rédaction au sein de L’Aréna des Canadiens. À ce titre, elle avait notamment comme tâches la rédaction d’articles et la réalisation d’entrevues sur l’équipe de hockey des Canadiens de Montréal. Pour accomplir ces tâches, elle devait suivre l’équipe au Québec, au Canada et aux États-Unis lors des matchs et pratiques, et ce, en dehors des heures d’ouverture de bureau.

Le demandeur était quant à lui gestionnaire de comptes au sein de L’Aréna du Rocket et s’occupait de la promotion et de la vente de billets de saison, de loges et autres forfaits pour les matchs de l’équipe de hockey du Rocket de Laval. Pour ce faire, il devait être présent lors des matchs de l’équipe de hockey du Rocket, en dehors des heures d’ouverture de bureau.

En vertu de leur contrat de travail respectif, les deux demandeurs étaient rémunérés sur une base annuelle et avaient un horaire de travail déterminé en fonction des besoins de leur poste respectif. Compte tenu de l’horaire variable des demandeurs, les défenderesses leur octroyaient des congés déterminés en fonction de leur participation aux matchs et autres activités connexes.

L’action collective

Les demandeurs ont déposé une demande d’autorisation pour exercer une action collective pour le compte de tous les salariés rémunérés sur une base annuelle (à l’exception des cadres) qui ont travaillé pour les défenderesses au moins une semaine de plus de 40 heures au cours de l’année précédant le dépôt de la demande, afin de réclamer la rémunération des heures supplémentaires et leur majoration en vertu de la LNT.

La Cour s’est notamment penchée sur les causes d’action suivantes :

«   La rémunération dun salarié établie sur une base annuelle ne permet pas à un employeur de se soustraire aux dispositions de la LNT sur la rémunération majorée pour le Surtemps, et subsidiairement;

  Le contrôle des heures de travail des demandeurs exercé par les défenderesses permet d’établir un taux horaire habituel pour les fins du calcul de la rémunération majorée du Surtemps. »

Pour autoriser l’action collective, la Cour devait déterminer si la demande répondait aux critères de l’article 575 du Code de procédure civile (le « CPC »). En l’instance, l’honorable juge Lamarche a rejeté la demande d’autorisation sur la base des critères prévus aux paragraphes 575(2) et 575(3) du CPC, soit les critères de la cause défendable et de la composition du groupe.

L’absence de cause défendable

Le second critère prévu à l’article 575 du CPC est satisfait lorsque les « faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées », soit lorsqu’il existe une cause défendable. Le fardeau des demandeurs est peu élevé à cet égard.

La Cour rappelle ensuite le principe selon lequel une pure question de droit doit être tranchée dès cette étape.

La première cause d’action avancée par les demandeurs visait à rejeter l’interprétation de l’article 55 de la LNT faite par les tribunaux, au motif que l’interprétation retenue n’était pas compatible avec l’objet et les autres dispositions de la LNT.

D’emblée, la Cour souligne que la jurisprudence des tribunaux inférieurs est unanime à l’effet que l’article 55 de la LNT ne trouve pas application dans le cas d’un salarié rémunéré sur la base d’un salaire annuel. Cette jurisprudence confirme cependant que le salaire annuel ne peut être simplement factice, c’est-à-dire que le salarié ne doit pas être dans les faits rémunéré en fonction du nombre d’heures travaillées.

La Cour adhère à cette jurisprudence à la lumière de sa propre interprétation des dispositions en question. En effet, la Cour confirme que l’utilisation par le législateur des termes « salaire horaire habituel » à l’article 55 de la LNT ne peut être simplement ignoré. De l’avis de la Cour, les termes utilisés sont clairs et indiquent qu’un salaire horaire habituel est requis pour donner lieu à la rémunération majorée des heures supplémentaires. Une telle expression s’entend dans son sens usuel comme une rémunération variant en fonction des heures travaillées. Or, le salaire annuel quant à lui n’est pas tributaire du nombre d’heures travaillées.

De plus, une telle interprétation est cohérente avec les autres dispositions de la LNT. En effet, la Cour retient que les articles 52 à 54 de la LNT servent uniquement au calcul des heures supplémentaires et qu’ils ne sauraient écarter la condition d’application prévue à l’article 55 de la LNT, soit l’existence d’un salaire horaire habituel.

Enfin, la Cour rappelle que bien que l’objectif premier de la LNT soit la protection des salariés, le législateur a concilié de tels intérêts avec les préoccupations économiques sous-jacentes des employeurs. En effet, la LNT n’impose pas la rémunération horaire comme mode de rémunération obligatoire. Le mode de rémunération est à la discrétion des parties et chaque mode de rémunération a ses propres spécificités.

La Cour conclut donc que l’emploi des termes « salaire horaire habituel » à l’article 55 de la LNT pris dans leur contexte et en fonction de l’objet de la loi vise bel et bien les salariés rémunérés sur une base horaire uniquement. La cause d’action des demandeurs s’appuyant sur l’application de l’article 55 de la LNT aux salariés rémunérés sur une base annuelle ne constitue donc pas une cause défendable selon la Cour.

La seconde cause d’action avancée par les demandeurs était à l’effet que le contrôle exercé par les défenderesses sur les heures de travail de leurs salariés permettait de calculer un salaire horaire habituel.

La Cour est d’avis que les allégations des demandeurs ne démontrent pas un contrôle sur l’horaire de travail permettant d’établir un salaire horaire habituel en fonction du nombre d’heures travaillées. La Cour ajoute que les demandeurs reconnaissent que les heures sont établies en fonction des besoins du poste et varient de semaine en semaine, alors que leur paie demeure identique, peu importe le nombre d’heures travaillées.

La Cour conclut donc que les allégations ne supportent pas les conclusions recherchées.

La composition du groupe et la particularité des rapports individuels de travail

Le critère prévu à l’article 575(3) du CPC, à l’effet que la composition du groupe doit rendre difficile ou peu pratique les règles du mandat d’ester en justice ou de la jonction d’instance n’est également pas satisfait selon l’honorable juge Lamarche.

La Cour suit à ce titre les enseignements de l’arrêt Lachance c. Cleyn Tinker inc.[ii], où il avait été déterminé que ce critère n’était pas satisfait dans le cadre d’une demande d’autorisation d’exercer une action collective réclamant le préavis de licenciement d’anciens employés, car les membres potentiels étaient facilement identifiables.

Plus encore, la Cour considère que les allégations de possibles représailles, d’anonymat et du rapport disproportionné entre les montants réclamés et les coûts d’un recours individuel sont sans fondement. Au contraire, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et la sécurité du travail (la « CNESST ») peut entreprendre un recours sans frais pour le compte des salariés et dispose de pouvoirs d’enquête très étendus afin d’assurer le respect de la LNT. Un tel recours est également plus efficace et entendu d’urgence.

La Cour conclut que la composition du groupe ne satisfait pas au critère de l’article 575(3) de la LNT au vu des allégations des demandeurs, surtout compte tenu du rôle et des pouvoirs de la CNESST. La Cour ajoute à cet égard que le principe de la proportionnalité et de la saine administration de la justice milite en défaveur de l’autorisation de l’action collective.

Conclusions

Dès le stade de l’autorisation, l’honorable juge Lamarche a tranché une importante question de droit afin d’éviter qu’une action collective fondée sur un syllogisme juridique erroné ne soit autorisée. Cette décision confirme et clarifie l’interprétation donnée à l’article 55 de la LNT par les tribunaux, selon laquelle le salaire horaire habituel constitue une condition d’application à la rémunération des heures supplémentaires, afin d’éviter de donner une portée excessive à l’article 55 de la LNT et imposer un mode de rémunération obligatoire aux employeurs.

Contrairement à la tendance prédominante des dernières années de confiner l’étape de l’autorisation de l’action collective à une simple formalité, cette décision rappelle plutôt que l’action collective demeure une procédure extraordinaire qui n’est pas toujours appropriée, notamment en matière de rapports individuels de travail. La décision confirme également que l’action collective n’est pas le véhicule procédural privilégié pour faire respecter les droits des salariés, compte tenu des pouvoirs dévolus à la CNESST en la matière.

Les demandeurs ont trente (30) jours pour en appeler de la décision, le cas échéant.

Footnote

[i] 2019 QCCS 1678.

[ii] 2006 QCCA 1612.

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