Le 6 mars dernier, la Cour suprême a reconnu qu'un directeur général de la Commission des services d'aide juridique du Nouveau-Brunswick (la  Commission ) suspendu indéfiniment avec salaire avait été victime d'un congédiement déguisé et avait droit à des dommages-intérêts équivalant à son salaire pour le reste de la durée de son contrat de travail, soit environ 33 mois, soit un montant de 485,100$.

Bien que la décision vise un employé du Nouveau-Brunswick, les enseignements de la Cour suprême dans cette affaire nous semblent tout de même pertinents et transposables aux employeurs du Québec et des autres provinces canadiennes.

FAITS

À mi-mandat, au printemps 2009, les relations entre les parties s'étaient détériorées et c'est ainsi que la Commission et Monsieur Potter avaient entrepris de négocier la fin d'emploi du salarié en échange d'une indemnité de départ. Un peu plus tard, en octobre 2009, Monsieur Potter avait dû prendre congé pour des raisons de santé. Son congé fut prolongé jusqu'au 18 janvier 2010. Alors que les négociations n'avaient toujours pas donné fruit, le conseil d'administration de la Commission (le  conseil) décida, sans toutefois en informer Monsieur Potter, que si les négociations quant à la fin d'emploi de Monsieur Potter n'aboutissaient pas avant le 11 janvier 2010, il demanderait au lieutenant-gouverneur en conseil de révoquer la nomination de Monsieur Potter pour motif valable.

De fait, le 11 janvier 2010, la présidente du conseil transmis au ministre de la justice, à l'insu de Monsieur Potter, une lettre recommandant son congédiement pour motif valable. Le même jour, le conseiller juridique de la Commission avisa le salarié de ne pas rentrer au travail jusqu'à ce que de nouvelles directives lui soient données. En réponse, le conseiller juridique de Monsieur Potter demanda des clarifications, mais n'en reçu aucune. À ce moment, Monsieur Potter ignorait toujours l'existence de la lettre du conseil recommandant son congédiement pour motif valable.

Finalement, le 9 mars 2010, soit huit semaines après avoir reçu la directive de ne pas rentrer au travail et sept semaines après la date prévue de son retour au travail, Monsieur Potter intenta une action pour congédiement déguisé. En guise de réponse, la Commission considéra que Monsieur Potter avait démissionné de son poste et a cessé le versement de son salaire et de ses avantages sociaux à compter du 9 mars 2010. En réponse, le conseiller juridique de Monsieur Potter a répliqué le jour même en précisant que Monsieur Potter n'avait pas démissionné de quelque charge ou fonction que ce soit.

Le juge de première instance ainsi que la Cour d'appel ont tous deux donné raison à la Commission et ont refusé de reconnaître que Monsieur Potter avait fait l'objet d'un congédiement déguisé.

DÉCISION

La Cour Suprême renverse finalement la décision rendue par les juges d'instances inférieures.

De l'avis de la Cour Suprême, Monsieur Potter a été congédié de manière déguisée et ce, compte tenu de la durée indéfinie de la suspension administrative de Monsieur Potter, de l'omission de la Commission d'agir de bonne foi en ne lui communiquant pas ses motifs et de l'intention dissimulée de la Commission de le congédier.

Fait intéressant, la Cour Suprême explique que lorsqu'il y a une suspension administrative, le fardeau de prouver le congédiement qui repose normalement sur le salarié est renversé et il appartient plutôt à l'employeur de démontrer que la suspension est raisonnable et justifiée. Si l'employeur échoue dans cette preuve, la violation d'une condition essentielle de la relation d'emploi est alors établie. Le fardeau de preuve retourne alors du côté du salarié qui doit démontrer qu'une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que lui aurait considéré que cette violation est suffisamment grave pour constituer une répudiation du contrat de travail, soit une modification substantielle des conditions essentielles du contrat de travail (arrêt Farber).

Dans ses motifs rendus par le juge Wagner, la Cour Suprême rappelle qu'un congédiement déguisé peut revêtir deux formes : celle d'un seul acte unilatéral qui emporte la violation d'une condition essentielle ou celle d'une série d'actes qui, considérés ensemble, démontrent l'intention de l'employeur de ne plus être lié par le contrat.

En l'espèce, la Cour Suprême juge que la suspension n'était pas raisonnable et justifiée. Il était question ici d'une suspension administrative fondée sur des éléments intrinsèques au salarié et non pas à des éléments extrinsèques, comme des difficultés financières de l'entreprise, le manque de travail, des changements technologiques ou une restructuration de l'entreprise. Il n'était pas non plus question d'une suspension disciplinaire.

D'abord, la Cour Suprême considère que la Commission ne pouvait prétendre avoir un pouvoir contractuel, exprès ou tacite, de suspendre Monsieur Potter pour les raisons administratives invoquées, soit afin de faciliter la négociation d'une indemnité de départ.

Pour établir qu'une suspension est justifiée par de véritables motifs commerciaux ou organisationnels, les tribunaux doivent s'attarder à l'existence de motifs organisationnels légitimes, la bonne foi de l'employeur, la durée de la suspension et le maintien de la rémunération ou sa cessation. La Cour Suprême considère qu'il faut également un minimum de communication avec le salarié. Or, en l'espèce, aucune raison n'a été donnée à Monsieur Potter. De plus, la Commission a caché au salarié son intention de le congédier et par le fait même, a manqué à son obligation de bonne foi. Au surplus, la suspension était d'une durée indéfinie. La Commission suggère que l'objectif derrière la suspension était de favoriser la conclusion d'un accord quant à la question de l'indemnité de départ de Monsieur Potter. Toutefois, compte tenu des démarches qu'elle a entreprises parallèlement pour congédier le salarié, cet objectif ne peut être retenu.

Comme la Commission n'a pas réussi à prouver que la suspension était raisonnable et justifiée, il appartenait donc à Monsieur Potter de satisfaire à la seconde exigence, c'est-à-dire déterminer si, au moment de la suspension, une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que lui aurait considéré qu'il s'agissait d'une modification substantielle de ses conditions essentielles de travail.

À la lumière des circonstances particulières de l'espèce, la Cour Suprême conclut qu'il était raisonnable que Monsieur Potter voit dans sa suspension une modification substantielle de son contrat de travail :

  • il était suspendu indéfiniment et aucune raison n'était invoquée;
  • la suspension s'appliquait jusqu'à ce que la Commission lui donne de nouvelles directives;
  • lorsque son conseiller juridique a demandé des éclaircissements sur les directives de la Commission, cette dernière a persisté dans son refus de justifier la mesure.

De l'avis de la Cour Suprême, ces faits mis ensemble suffisent pour que Monsieur Potter s'acquitte de son fardeau de preuve.

Un autre point intéressant de cette décision se retrouve dans les motifs exprimés par le juge Cromwell (à l'opinion duquel souscrit la juge en chef McLachlin). Alors que l'avis de la majorité des juges (contenu dans les motifs du juge Wagner) est qu'il ne faut pas considérer, au moment de la suspension, certains faits révélés au procès par la Commission, soit que la Commission entendait mettre fin à l'emploi de Monsieur Potter avant l'expiration de son contrat, le juge Cromwell, pour sa part, considère que cette preuve est tout à fait pertinente. Le juge Cromwell considère que la partie non fautive (ici, Monsieur Potter) qui allègue la répudiation d'un contrat peut invoquer des éléments qui existaient bel et bien au moment de la répudiation alléguée, mais qui lui sont alors inconnus. Ainsi, selon le juge Cromwell, Monsieur Potter peut se fonder sur le comportement qu'a eu la Commission avant qu'il intente son action pour congédiement déguisé aux fins d'établir sa preuve à l'audience et ce, même si ce comportement lui était, au moment de la répudiation, inconnu. La lettre de la Commission adressée au ministre de la Justice et recommandant le congédiement de Monsieur Potter fait clairement ressortir que la Commission n'entendait plus être liée par le contrat de travail avec Monsieur Potter et cette preuve est pertinente puisque cela constitue l'un des éléments dont le tribunal devait tenir compte pour décider si la suspension constituait bel et bien un congédiement déguisé dans les circonstances de l'espèce.

CONCLUSION

Cette décision est particulièrement intéressante puisqu'elle rappelle aux employeurs l'importance de bien gérer les mesures administratives prises à l'égard des employés afin d'éviter que ces mesures soient jugées déraisonnables et entraînent par le fait même des conséquences non désirées pour l'employeur.

La Cour Suprême reconnaît que le pouvoir d'un employeur de suspendre un employé pour des motifs administratifs en raison d'actes reprochés à l'employé fait partie intégrante de tout contrat de travail. La Cour Suprême constate toutefois que ce pouvoir tacite est limité et doit être exercé selon les conditions suivantes :

  1. la mesure prise doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'entreprise;
  2. la bonne foi et le devoir d'agir équitablement doivent guider l'employeur dans sa décision d'imposer une suspension administrative;
  3. l'interruption provisoire de la prestation de l'employé doit être prévue pour une durée relativement courte, déterminée ou déterminable, faute de quoi elle se distinguerait mal d'une résiliation ou d'un congédiement;
  4. la suspension est en principe imposée avec solde, sous réserve de cas exceptionnels qui ne se posent pas en l'espèce.

Ainsi, avant d'imposer une suspension administrative, un employeur devrait toujours se demander si cette mesure est prise de bonne foi dans le but de protéger un intérêt organisationnel légitime et qu'elle inflige le moins de conséquences possible au salarié quant à la durée de la suspension. 

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