La Cour d'appel s'est récemment prononcée sur la compétence internationale des tribunaux québécois de se saisir d'un litige à la lumière de l'article 3148, par. 3 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») dans le cadre d'un différend sur l'interprétation d'un contrat prévoyant l'exercice de droits de reprise de portefeuilles d'assurance par une partie1.

Résumé des faits ayant donné lieu au litige

Les parties, deux assureurs, avaient plusieurs ententes de rétrocession dans le domaine de la réassurance (ensemble l'« Entente  »). L'Appelante était une société étrangère basée aux Bahamas sans véritables opérations au Canada, alors que l'Intimée était basée à Montréal avec des opérations à Montréal.

L'Entente prévoit que l'Appelante partage une partie du risque réassuré par l'Intimée en contrepartie d'une portion des primes versées par les assurés en lien avec deux portefeuilles. L'Entente prévoyait également une clause de non-concurrence prohibant l'Appelante d'entrer directement dans le marché de la réassurance au Canada sans un avis à l'Intimée dans un délai de 12 mois avant cette entrée. Dans le cadre de l'Entente, l'Appelante s'est prévalue de la clause qui lui permettait de transmettre un avis à l'Intimée afin d'entrer dans le marché canadien comme réassureur.

À la suite de cette entrée sur le marché canadien, les parties négocient et conviennent d'un Amendement to the General Agreement (l'« Amendement  »), lequel comporte une clause de renonciation à l'obligation de non-concurrence de l'Entente assortie de certaines conditions.

Cet Amendement prévoit également que l'Intimée peut exercer des droits de reprise de la totalité ou d'une partie des portefeuilles cédés suivant certaines modalités prévues à une annexe de l'Amendement, notamment le choix des hypothèses permettant de calculer les valeurs de reprise des portefeuilles rétrocédés. En cas de défaut des parties de convenir d'une valeur, l'Amendement prévoit la soumission du calcul à un actuaire indépendant.

Ni l'Amendement, ni l'Entente ne contenaient de disposition d'élection de for, mais ils prévoyaient l'application du droit québécois.

L'Intimée a transmis à l'Appelante des avis d'exercice de ses droits de reprise. Les parties ne s'entendent ni sur la légalité des avis d'exercice, ni sur la valeur des droits de reprise. Ils soumettent donc le calcul de la valeur de reprise à une actuaire indépendante.

L'Intimée intente également une action en jugement déclaratoire par laquelle elle demande à la Cour supérieure de déclarer qu'elle a validement exercé ses droits de reprise à l'égard des deux portefeuilles, conformément à l'Amendement et à son annexe. En réponse, l'Appelante soulève alors l'absence de compétence des tribunaux québécois.

La décision de première instance en Cour supérieure

La Cour supérieure rejette l'argument de l'absence de compétence des tribunaux québécois. Le juge de première instance détermine que l'article 3148, par. 3 s'applique en l'espèce et assoit la compétence de la Cour supérieure :

3148. Dans les actions personnelles à caractère patrimonial, les autorités québécoises sont compétentes dans les cas suivants :

[...]

3° Une faute a été commise au Québec, un préjudice y a été subi, un fait dommageable s'y est produit ou l'une des obligations découlant d'un contrat devait y être exécutée;2

Analysant les allégations factuelles dans la demande introductive d'instance, le juge reconnaît que l'Intimée a son siège social à Montréal, que les portefeuilles d'assurance visés par l'Amendement visent des contrats d'assurance vie sur les résidents du Québec, que l'Amendement a été conclu au siège social de Montréal, et qu'elle subit un préjudice au Québec dû au fait que l'Appelante refuse de verser les débours encourus. Ces facteurs suffisent, selon le juge, pour fonder la compétence des tribunaux québécois.

Le juge rejette également les autres motifs invoqués par l'Appelante pour justifier l'absence de compétence des tribunaux québécois. Il conclut ainsi que, contrairement aux prétentions de l'Appelante, l'Amendement et l'Entente ne forment qu'un seul et même contrat, que les obligations en vertu de ce contrat doivent être exécutées au Québec et que cela suffit également pour établir la compétence des tribunaux québécois.

En dépit du fait qu'il conclut que les obligations contractuelles suffisent à asseoir la compétence des tribunaux québécois, le juge de première instance examine également la question du préjudice économique. Citant l'affaire Infineon Technologies AG c. Option Consommateurs3 de la Cour suprême, il conclut que le préjudice purement économique n'est pas exclu selon l'article 3148, par. 3 C.c.Q. s'il a été essentiellement subi au Québec.

Le juge de première instance donne ainsi raison à l'Intimée et la Cour supérieure s'arroge compétence sur le litige. L'Appelante sollicite une permission d'appeler devant la Cour d'appel.

La décision de la Cour d'appel

La Cour d'appel conclut que le juge de première instance n'a pas erré et déboute l'Appelante au motif que les obligations contractuelles de l'Appelante devaient effectivement être exécutées au Québec et que l'Intimée a subi un préjudice économique au Québec emportant ainsi l'application de l'article 3148, par. 3 C.c.Q.

D'une part, répondant à l'argument de l'Appelante selon lequel l'obligation de non-concurrence ait été éteinte par l'Amendement et que son exécution ne puisse pas fonder la compétence des autorités québécoises, la Cour rappelle que la renonciation à l'obligation de non-concurrence par l'Intimée dans l'Amendement était assujettie à des conditions, dont le fait pour l'Appelante de faire preuve de bonne foi et de diligence, et de mettre les efforts requis afin de permettre l'exercice des droits de reprise.

Selon la Cour d'appel, c'est précisément un manquement à son obligation de bonne foi et de diligence qui lui est reproché4. L'Amendement prévoit d'ailleurs la nullité de la renonciation si l'Appelante ne respecte pas cette obligation. Ainsi, l'obligation de non-concurrence n'a pas été éteinte et devait donc être exécutée au Québec, comme le soutient l'Intimée et comme le juge de première instance l'avait déterminé.

D'autre part, la Cour d'appel confirme le raisonnement du juge de première instance qui avait situé l'exécution de l'obligation d'information et d'envoi des avis de reprise au siège social de l'Intimée. La Cour, suivant l'analyse de la Cour suprême dans Air Canada c. McDonell Douglas5 indique que l'obligation d'informer de l'Appelante, en l'absence de stipulations à cet effet dans l'Amendement, devait être exécutée au Québec, puisque le siège social de l'Intimée s'y situe.

Sur la question du préjudice économique, la Cour d'appel s'appuie sur les arrêts Spar Aerospace ltée c. American Mobile Satellite Corp.6, et Infineon de la Cour suprême et la jurisprudence subséquente de la Cour d'appel pour retenir une interprétation large de l'article 3148, par. 3. En effet, en l'espèce, bien que la seule conclusion du contrat au Québec ne permette pas nécessairement de fonder la compétence des tribunaux québécois, la survenance d'un préjudice purement économique au Québec est suffisante.

La Cour rejette la thèse de l'Appelante selon laquelle le préjudice aurait été subi à l'extérieur du Québec et aurait seulement été comptabilisé au Québec. Au contraire, et comme l'a conclu le juge de première instance, le préjudice invoqué par l'Intimée comprend non seulement le fait d'être privé du versement des valeurs de reprise, mais également les difficultés de gestion des portefeuilles qui lui incombe à la suite du refus de l'Appelante de lui verser les montants dus. Il comprend, en outre, les débours encourus pour l'embauche d'une actuaire.

La Cour rejette ainsi l'appel et confirme la compétence des tribunaux québécois pour entendre la demande introductive d'instance en jugement déclaratoire de l'Intimée.

Impact de la décision de la Cour d'appel

La décision de la Cour d'appel est d'intérêt puisqu'elle confirme l'interprétation large qui a été donnée à l'article 3148, par. 3 C.c.Q. qui sert à fonder la compétence internationale des tribunaux québécois.

En effet, depuis l'arrêt Regenair7 de la Cour d'appel qui avait précédé l'arrêt Spar de la Cour suprême, les tribunaux ont oscillé entre une interprétation restrictive et une interprétation large de la compétence des tribunaux québécois en vertu de l'article 3148, par. 3 C.c.Q. En l'espèce, la Cour d'appel adopte une interprétation large et généreuse de deux des trois critères de l'alinéa 3, c'est-à-dire respectivement le lieu d'exécution de l'obligation et la suffisance du préjudice purement économique comme préjudice au sens de cet alinéa.

Mentionnons cependant que les parties pourront, dans une certaine mesure, exclure cette interprétation généreuse de l'article 3148, par. 3 C.c.Q. en adoptant des dispositions expresses dans leur contrat, notamment sur le lieu d'exécution des obligations qui y sont prévues. Cet arrêt démontre également l'importance de prévoir une clause d'élection de for dans un contrat, surtout lorsque ce dernier prévoit déjà le droit applicable.

Footnotes

1 Optimum Réassurance inc. c. Partner Reinsurance Company Ltd., 2019 QCCS 3184 [Jugement].

2 Article 3148, par. 3 C.c.Q

3  Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600 [Infineon].

4 Jugement, para. 53.

5 Air Canada c. McDonnell Douglas Corp., [1989] 1 R.C.S. 1554 [Air Canada].

6 Spar Aerospace ltée c. American Mobile Satellite Corp., 2002 CSC 78, [2002] 4 R.C.S. 205 [Spar].

7  Quebecor Printing Memphis Inc. c. Regenair Inc., [2001] R.J.Q. 966, J.E. 2001-958 (C.A.) [Regenair].

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