Dans l'arrêt récent Municipalité de Piedmont c. Uniroc Construction inc.1, la Cour d'appel du Québec conclut qu'un donneur d'ouvrage public devait impérativement rejeter une soumission dont les prix unitaires avaient été débalancés, réitérant ainsi le principe d'équilibre et d'égalité devant prévaloir entre les différents soumissionnaires. 

Les faits

La Municipalité de Piedmont (« Piedmont  ») lance un appel d'offres public dans le cadre d'un projet de remplacement de conduites d'aqueduc. 

Les documents d'appel d'offres de Piedmont commandent aux soumissionnaires d'inclure à leur bordereau un prix unitaire pour l'excavation de roc sur une quantité estimée par les professionnels à 8 700 mètres cubes. Soulignons que ces documents interdisent aux soumissionnaires de « débalancer » leur soumission. 

Uniroc Construction inc. (« Uniroc ») considère que cette quantité a été surévaluée par les professionnels de Piedmont, et choisit par conséquent de présenter un prix unitaire largement inférieur, en apparence, à la valeur du marché. 

Pour pallier à cette différence sans affecter le prix global de sa soumission, Uniroc ajoute un montant additionnel d'environ 100$ au prix d'autres items prévus au bordereau dont le paiement lui est assuré, à l'opposition des quantités d'excavation de roc qu'elle estime surévaluées2

Autrement dit, le prix de sa soumission ne s'en trouvera pas plus élevé, mais elle aura davantage de chances d'en recevoir le plein prix nonobstant le crédit qui, autrement, reviendrait au maître de l'ouvrage suite à l'excavation de roc inférieure à la quantité estimée aux documents d'appel d'offres. 

Bien que la soumission déposée par Uniroc s'avère la plus basse, Piedmont la rejette en soulevant essentiellement : 

  • que le prix unitaire déposé pour l'excavation du roc n'est pas représentatif du coût réel des travaux de dynamitage et d'excavation requis; et 
  • que le coût prévu pour la pose de conduites d'aqueduc dépasse quant à lui l'estimation préliminaire y afférente. 

En somme, Piedmont découvre le pot aux roses : la soumission est tout simplement débalancée. 

Mécontente, Uniroc introduit un recours pour sa perte de profits estimés contre Piedmont et ses professionnels. 

La Cour supérieure lui donne raison, sous réserve d'un rajustement des dommages réclamés. 

La Cour d'appel du Québec conclut toutefois que la première juge a commis une erreur justifiant le renversement du jugement en faveur de Piedmont. 

La décision de la Cour d'appel

La Cour réitère que le maintien de l'équilibre entre les soumissionnaires est l'un des principes directeurs en matière d'adjudication de contrats publics. 

Afin d'éviter de voir sa soumission rejetée systématiquement par le maître de l'ouvrage, tout soumissionnaire doit déposer une offre conforme dépourvue d'irrégularité majeure, définie comme une non-conformité affectant les objectifs fondamentaux et l'intégrité du processus d'adjudication des soumissions, dont l'équilibre entre les soumissionnaires3. L'irrégularité ne doit en outre pas avoir d'effet sur le prix de la soumission; elle ne doit pas avoir rompu l'équilibre entre les soumissionnaires. 

Or, la Cour d'appel conclut en l'espèce que la proportionnalité des prix unitaires est une exigence essentielle qui permet la comparaison entre les soumissions et qui affecte le prix et l'égalité entre les soumissionnaires. 

En estimant à 1 $ le prix d'excavation par mètre cube, Uniroc vient affecter l'équilibre avec les autres soumissionnaires. Sa soumission devait conséquemment être rejetée, sans aucune discrétion de la part de Piedmont malgré la clause prévue à cet effet aux documents d'appel d'offres. 

Conclusion

Si l'estimation en période d'appel d'offres demeure un exercice stratégique important de la part des soumissionnaires, ceux-ci demeurent néanmoins soumis, sous peine de rejet sans discrétion du donneur d'ouvrage, de se conformer aux balises et contraintes impératives visant à assurer le respect des principes d'égalité et d'équité y afférents. 

Les professionnels doivent être plus stricts dans l'analyse des soumissions et s'attarder à la justesse des prix unitaires afin de déterminer s'ils sont raisonnables ou non, conformes au marché ou non, mais plus spécifiquement s'il y a un débalancement qui pourrait affecter l'équilibre entre les soumissionnaires.

Footnotes

Municipalité de Piedmont c. Uniroc Construction inc., 2020 QCCA 329.

2  De cette façon, et sans affecter ses chances d'adjudication du contrat, elle s'assure d'être payée à la pleine valeur de sa soumission (ayant déplacé l'item unitaire vers un autre item unitaire) alors qu'elle aurait autrement reçu une valeur potentiellement inférieure en cas d'écart négatif de la quantité estimée. Autrement dit, Uniroc a tout à gagner si l'évaluation du volume de roc à excaver a réellement été surévaluée.

R.P.M. Tech inc. c. Gaspé (Ville), J.E. 2004-1072.

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