L'affaire Gentec  v. Nuheara est l'une des rares décisions canadiennes aux enjeux élevés en matière de marques de commerce à se rendre à procès et à entraîner l'invalidation d'une marque de commerce enregistrée en raison de l'absence de caractère distinctif. La marque de commerce IQ de Gentec a été jugée non distinctive à la lumière d'un dossier exhaustif démontrant comment le terme « IQ » en est venu à être employé comme raccourci pour désigner les produits électroniques grand public « intelligents » au Canada.

La décision Gentec  pourra servir de guide quant aux principes de droit relatifs au caractère distinctif et les questions connexes en matière de litiges et de stratégie commerciale de marques. La décision porte, entre autres, sur le rôle des sondages auprès des consommateurs dans le cadre de litiges relatifs aux marques de commerce, sur l'importance des déclarations faites auprès de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC ») dans le cadre d'une demande d'enregistrement de marque et sur l'utilisation d'éléments de preuve provenant du marché et des médias en vue de démontrer l'absence de caractère distinctif.

Contexte : Gentec  v. Nuheara

La partie défenderesse, Nuheara, est une entreprise australienne qui fabrique les écouteurs intelligents sans fil (disponible uniquement en anglais) (hearables), maintes fois récompensés (disponible uniquement en anglais) et connus sous le nom d'IQbuds. La technologie exclusive de ces écouteurs-boutons intelligents permet non seulement aux utilisateurs d'écouter de la musique et d'autres types de fichiers audio, mais également de mieux entendre. La partie demanderesse, Gentec, vend une vaste gamme de produits électroniques grand public sous la marque IQ, y compris des écouteurs-boutons. Or, les écouteurs de Gentec ne présentent pas les caractéristiques et fonctionnalités uniques des écouteurs plus sophistiqués (et plus chers) de Nuheara.

Gentec a allégué que l'emploi par Nuheara de la marque de commerce IQbuds prêtait à confusion avec l'enregistrement de la marque IQ de Gentec (qui visait notamment les écouteurs). Nuheara a nié toute confusion et a également cherché à faire radier la marque IQ de Gentec du registre des marques de commerce en raison d'une absence de caractère distinctif.

La Cour fédérale a donné raison à Nuheara et a radié l'enregistrement de la marque IQ de Gentec pour absence de caractère distinctif. La Cour fédérale a également conclu que même si l'enregistrement avait été valide, il n'y avait pas de risque de confusion.

Fasken a représenté avec succès Nuheara dans le cadre de cette affaire.

Principaux points à retenir pour les propriétaires de marques de commerce et ceux qui les contestent

Le concept de « caractère distinctif » est le pilier central du droit des marques de commerce; c'est ce qui permet à une marque de commerce d'indiquer que des produits ou services proviennent d'une seule et même entreprise. Une marque n'a aucun caractère distinctif si elle ne permet pas de remplir cette fonction et n'a par conséquent droit à aucune protection juridique.

En l'espèce, Nuheara a fait valoir que « IQ » n'était pas la marque d'un produit électronique d'une entreprise particulière, mais plutôt un raccourci utilisé par les spécialistes du marketing pour souligner qu'un produit est un produit « intelligent ». Nuheara a invoqué les éléments de preuve suivants pour démontrer l'absence de caractère distinctif de la marque IQ de Gentec :

  • Une preuve démontrant que des dizaines d'entreprises tierces vendant des produits électroniques grand public ont intégré le terme « IQ » dans leur marque pour désigner la version intelligente de leurs produits (par exemple, si une entreprise vendait des « widgets » sous la marque ACME, l'ACME IQ serait la version « intelligente » de ce produit).
  • Une preuve démontrant que des centaines de marques enregistrées et de noms commerciaux contiennent le terme « IQ », notamment dans le domaine de l'électronique grand public.
  • Une preuve démontrant que l'emploi du terme « IQ » dans les médias comme synonyme de produits intelligents était devenu répandu (p. ex. « Les distinctions 2019 pour produits de maison intelligente... tout ce dont vous avez besoin pour augmenter le QI [en anglais : IQ] de votre maison cette saison »).
  • Les aveux de Gentec faits auprès de l'OPIC dans le cadre de la demande d'enregistrement de sa marque IQ en 2007 et 2008.
  • Le fait que Gentec n'ait pas veillé à protéger ses droits de marque au Canada, ce qui a conduit à l'entrée continue de nouvelles marques utilisant « IQ » sur le marché canadien, y compris des marques de casques d'écoute, d'écouteurs-boutons et d'autres écouteurs intelligents.

Un témoin expert a analysé ces données et a conclu que le terme « IQ » était désormais utilisé comme raccourci pour désigner un « produit intelligent » par les consommateurs canadiens. Par conséquent, le terme IQ, lorsqu'il est utilisé seul et indépendamment de tout autre élément de marque, n'a aucune fonction de marque. Gentec a déposé une contre-expertise contestant cette conclusion et soutenant que seul un sondage auprès des consommateurs pouvait démontrer l'absence de caractère distinctif.

La Cour fédérale a confirmé la position de Nuheara. La Cour a d'abord statué que les sondages ne sont pas nécessaires pour établir le caractère distinctif (ou l'absence de caractère distinctif) d'une marque. La Cour a ensuite examiné le large éventail d'éléments de preuve fournis par Nuheara et a conclu que ces derniers appuyaient une seule conclusion, à savoir que le terme IQ n'était pas distinctif en ce qui a trait aux produits électroniques grand public. En l'absence de caractère distinctif, le terme IQ n'avait donc pas de fonction de marque, et la radiation de l'enregistrement a été ordonnée.

Les propriétaires de marques devraient prendre connaissance de cette décision, car elle confirme, d'une part, que les éléments de preuve issus du marché et des médias sont suffisants pour démontrer l'absence de caractère distinctif d'une marque et, d'autre part, qu'il n'est pas nécessaire pour les contestataires de réaliser des sondages auprès des consommateurs. Ceci confirme la nécessité pour les propriétaires de marques de surveiller à la fois le marché et le registre des marques de commerce afin d'empêcher que l'adoption d'une marque par des tiers devienne répandue. Le défaut de Gentec de réagir rapidement à l'emploi du terme « IQ » par des tiers a été l'un des facteurs clés ayant permis à Nuheara de prouver l'absence de caractère distinctif de la marque IQ.

De plus, les propriétaires de marques doivent soigneusement réfléchir aux arguments qu'ils invoquent auprès de l'OPIC dans le cadre d'une demande d'enregistrement de marque de commerce, car ces arguments pourraient ultérieurement revenir hanter le propriétaire d'une marque. En l'espèce, Gentec avait admis dans une lettre à l'OPIC que les marques comprenant le terme IQ étaient largement employées au Canada, et ce, dans le but de minimiser la portée d'une marque comprenant le terme « IQ » qui avait été citée par l'examinateur de l'OPIC à l'encontre de la marque IQ de Gentec. Cet argument a peut-être convaincu l'examinateur de marques, mais il a cependant créé un obstacle permanent à la pleine protection de la marque IQ, puisque Gentec était dorénavant réputée avoir déprécié le caractère distinctif de sa propre marque.

Quiconque souhaite contester une marque en espérant reproduire le succès de Nuheara a également des leçons importantes à retenir de cette affaire. L'affaire Gentec v. Nuheara montre qu'en réunissant les éléments de preuve appropriés, il est possible d'obtenir la radiation de la marque d'un concurrent, et que ces éléments de preuve proviennent souvent de nombreuses sources différentes. Un sondage auprès des consommateurs n'est pas la seule voie menant à la radiation, et les entreprises doivent envisager toutes les possibilités quant aux sources des éléments de preuve lors de la préparation d'un procès. Dans le présent cas, la preuve de Nuheara comprenait des rapports d'experts, des déclarations sous serment d'enquêteurs, des revues de presse et les admissions faites par les agents de marque de Gentec auprès de l'OPIC. De plus, une grande partie des éléments de preuve issus des médias a été comparée aux données démontrant la diffusion ou la visibilité de ces médias au Canada. Une préparation minutieuse s'est avérée être la clé de la victoire de Nuheara lors du procès.

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