Dans la décision récente Denso Manufacturing Canada, Inc. c. Canada (Revenu national), 2020 CF 360, la Cour fédérale a jugé que le ministre du Revenu national (le « ministre ») avait agi raisonnablement dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en refusant la production tardive du choix effectué par deux sociétés canadiennes étroitement liées, Denso Manufacturing Canada, Inc. (« Denso Manufacturing ») et Denso Sales Canada, Inc. (« Denso Sales », désignée collectivement avec Denso Manufacturing, les « sociétés Denso »).

  • Un choix conjoint fait en vertu de l'article 156 de la Loi sur la taxe d'accise (Canada) (la « LTA ») présume que toute fourniture taxable entre des sociétés étroitement liées est effectuée sans contrepartie, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de percevoir la TPS/TVH sur les fournitures (le « choix prévu à l'article 156 »).
  • L'ignorance de la loi n'est pas une excuse valable pour la production tardive du choix prévu à l'article 156 et, si aucune explication n'est présentée démontrant que les parties n'ont pas fait preuve de négligence ou d'imprudence, le ministre peut exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser la production tardive.

Le contexte

Denso Manufacturing et Denso Sales sont des sociétés étroitement liées pour les besoins du choix prévu à l'article 156. Avant la prise d'effet de la modification de l'article 156 qui est entrée en vigueur 1er janvier 2015 (la « modification »)[1], les sociétés Denso s'étaient prévalues de l'article 156 en remplissant un formulaire GST25 et en le conservant dans leurs dossiers. Cependant, aux termes de la modification législative, les parties ayant fait le choix prévu à l'article 156 devaient déposer le nouveau formulaire prescrit, le formulaire RC4616, avant le 1er janvier 2016 afin que le choix puisse continuer d'être en vigueur en 2015. Les sociétés Denso n'ont pas produit leur formulaire RC4616 en temps utile.

En janvier 2016, l'Agence du revenu du Canada (l'« ARC ») a examiné les déclarations de TPS/TVH des sociétés Denso de novembre et de décembre 2015 et a par la suite informé les sociétés Denso qu'elles ne respectaient pas les nouvelles exigences de productions prescrites par l'article 156 de la LTA.

Des discussions avec leur fiscaliste-conseil ont porté les sociétés Denso à croire que leur choix prévu à l'article 156 déjà exercé mais « non produit » englobait l'année 2015. Ainsi, le 22 février 2016, elles ont de nouveau exercé le choix prévu à l'article 156 en produisant le formulaire RC4616 et en indiquant le 1er janvier 2016 comme date d'entrée en vigueur (le « nouveau choix prévu à l'article 156 »). À cette date, l'ARC n'avait pas encore publié son énoncé de politique P-255 (daté du 22 juillet 2016 et dont la date d'entrée en vigueur est le 1er janvier 2015) (l'« énoncé de politique ») qui prévoit qu'une demande d'accepter la production tardive d'un choix prévu à l'article 156 est assujettie à la discrétion de l'ARC et doit fournir une explication claire (démontrant que le contribuable n'a pas fait preuve de négligence ou d'imprudence) de la raison pour laquelle le choix a été produit en retard.

Par la suite, lorsque l'ARC a mené une vérification des sociétés Denso pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2016, les sociétés Denso ont réalisé que le nouveau choix prévu à l'article 156 aurait dû être exercé avec prise d'effet le 1er janvier 2015. Pour tenter de corriger l'erreur, le 8 novembre 2017, les sociétés Denso ont transmis une lettre à l'ARC qui comprenait un formulaire RC4616 modifié indiquant le 1er janvier 2015 comme date d'entrée en vigueur du choix. Pour justifier la production tardive, les sociétés Denso ont laissé entendre que si l'ARC avait publié l'énoncé de politique avant février 2016, elles auraient produit le formulaire RC4616 en temps opportun. Dans une correspondance ultérieure avec l'ARC, les sociétés Denso ont par la suite soutenu qu'elles n'étaient pas au courant de la modification et qu'elles avaient été mal conseillées par leur fiscaliste-conseil.

L'ARC a refusé la demande de production tardive puisqu'elle a déterminé que les explications présentées ne démontrent pas que les sociétés Denso n'ont pas fait preuve de négligence ou d'imprudence en omettant de se conformer aux exigences relatives au choix prévu à l'article 156. Pour justifier sa décision, l'ARC a déclaré :

Il est impératif que la loi soit appliquée uniformément à tous les inscrits, et, en l'absence de circonstances extraordinaires valides, il serait injuste envers les inscrits qui ont fait preuve de prudence et qui n'ont pas été négligents dans leurs affaires de ne pas établir une nouvelle cotisation à l'égard des inscrits non conformes.

Par conséquent, le ministre a refusé de modifier le formulaire RC4616 des sociétés Denso pour changer au 1er janvier 2015 la date d'entrée en vigueur du choix. L'ARC a donc proposé, pour l'année civile 2015, un rajustement au titre de la TPS/TVH de 30 098 952,56 $ pour Denso Manufacturing et de 308 617,34 $ pour Denso Sales, avec intérêt dans les deux cas.

Les questions en litige

Comme l'a déclaré le juge Zinn, pour établir la validité de la défense des sociétés Denso, la Cour devait répondre aux questions suivantes :

  • Les sociétés Denso ont-elles bénéficié de l'équité procédurale?
  • La décision discrétionnaire de ne pas accepter le formulaire RC4616 produit tardivement était-elle raisonnable?

La décision

L'équité procédurale

Les sociétés Denso ont eu l'occasion de présenter des observations écrites au ministre. Bien que le ministre ait omis de divulguer tous les documents se rapportant à son processus décisionnel, la Cour a déterminé qu'aucune obligation en matière de divulgation ne devait être satisfaite avant qu'une décision ne soit rendue. Le ministre avait fourni aux sociétés Denso suffisamment de renseignements pour connaître les réserves de l'ARC et la preuve qu'elles devaient réfuter. La Cour a statué que le ministre avait agi équitablement.

Le caractère raisonnable de la décision

La Cour a établi que la décision de l'ARC était raisonnable compte tenu du raisonnement suivi par le ministre et du résultat final. Le formulaire RC4616 produit à l'origine en février 2016, pour l'année civile 2016, n'a pas été produit en retard. Le choix a plutôt été fait en temps opportun et devait entrer en vigueur le 1er janvier 2016. Les sociétés Denso n'ont fourni aucune preuve à la Cour suggérant que le formulaire devait englober l'année 2015.

De plus, le fait que les sociétés Denso n'aient pas eu connaissance de la modification n'excuse en rien la production tardive de leur choix. Le fait qu'elles aient contacté une firme de fiscalistes-conseils après la date limite pour le choix ne suffisait pas à démontrer qu'elles avaient pris des mesures raisonnables pour se conformer à l'article 156 de la LTA. Le ministre avait le pouvoir discrétionnaire d'accepter ou de refuser le choix produit tardivement, pouvoir qu'il a exercé adéquatement puisque les sociétés Denso n'ont pas été en mesure de démonter qu'elles n'ont pas été négligentes ou imprudentes.

Principales conclusions

  • La Cour a renforcé le pouvoir discrétionnaire du ministre d'accepter ou de refuser un choix prévu à l'article 156 produit tardivement, particulièrement dans les circonstances où le contribuable n'est pas en mesure de démontrer que ses actions n'ont pas été négligentes ou imprudentes.
  • L'ARC n'est pas tenue de divulguer tous les documents se rapportant à une décision faisant l'objet d'une révision administrative, mais doit plutôt fournir aux contribuables suffisamment de renseignements pour connaître les réserves de l'ARC et la preuve qu'ils doivent réfuter.
  • Les contribuables doivent se tenir au fait de l'évolution de leurs obligations fiscales. Le fait de se fier aux conseils d'une firme de fiscalistes-conseils « après la date limite » ne suffit pas à démontrer qu'un contribuable a pris « des mesures raisonnables pour se conformer à la LTA ». L'ARC est libre de déterminer que l'ignorance de la loi constitue de la négligence et de l'imprudence.
  • Comme le prévoit l'énoncé de politique : « Selon la discrétion d'accepter un choix ou une révocation produit en retard, les inscrits ne peuvent pas intentionnellement éviter leurs obligations légales aux termes de la [LTA], mais l'ARC peut étudier la possibilité d'accepter, au cas par cas, un choix ou une révocation produit en retard. » Sauf dans certaines circonstances extraordinaires, il est très probable qu'un choix prévu à l'article 156 produit tardivement soit refusé par l'ARC et que la demande de contrôle judiciaire de ce refus ne constitue qu'une vaine poursuite.

1. Voir la Loi nº 1 sur le plan d'action économique de 2014, LC 2014, ch. 20.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.