Dans une décision de 75 pages publiée le 29 juin 2020, le juge Manson s'est prononcé sur les récentes modifications au Règlement sur les médicaments brevetés (les « modifications ») et au Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés (le « CEPMB »). Il a déclaré que les modifications portant sur la déclaration obligatoire des rabais offerts à des tiers (p. ex. ceux compris dans les ententes d'inscription de médicaments entre les provinces et les fabricants de médicaments) outrepassent le cadre des compétences réglementaires de la CEPMB aux termes de la Loi sur les brevets. Par ailleurs, le juge a établi que la Loi sur les brevets autorisait l'ajout de nouveaux facteurs pharmacoéconomiques lors de l'examen des prix effectué par le CEPMB et qu'il autorisait la mise à jour de la liste des pays de comparaison, dont le prix des médicaments est utilisé comme référence par le CEPMB pour établir les prix au Canada.

Éléments à retenir

  • Le tribunal a conclu que les « prix excessifs » sont une forme d'abus qui est distincte des abus des droits de brevets prévus à l'article 65 de la Loi sur les brevets.
  • La Cour fédérale a confirmé que le CEPMB n'a pas le pouvoir d'établir les prix et que son rôle est de « protéger les consommateurs contre l'abus [de brevets] que constitue la tarification excessive. » [traduction]
  • La Cour fédérale a ajouté que la limite entre une mesure réglementaire acceptable ou inacceptable en matière de brevets se situe entre la notion de prévention des abus et celle du contrôle des prix.
  • La Cour fédérale a maintenu la validité des deux nouveaux facteurs économiques et l'actualisation de l'annexe des pays de comparaison, puisque ces modifications sont raisonnablement liées au mandat de réglementation du CEPMB.
  • Cependant, la déclaration obligatoire des rabais offerts à des tiers sur le prix ex-factory outrepasse la compétence du CEPMB.

Cette décision entre en vigueur immédiatement, même si un appel est interjeté. Le gouvernement fédéral pourrait obtenir un sursis d'application de la décision en attente du jugement sur permission d'appeler et du jugement d'appel sur le fond, mais un tel sursis est rarement accordé.

Effets pratiques

À première vue, il semblerait que l'élimination de l'exigence pour les titulaires de brevets de déclarer les rabais confidentiels offerts aux tiers pourrait avoir des conséquences importantes pour le CEPMB et les acteurs de l'industrie pharmaceutique, étant donné qu'en l'absence de ces renseignements, il devient difficile pour le CEPMB de mettre en application un aspect important du cadre réglementaire prévu par les modifications.

Selon le cadre des lignes directrices provisoires de 2020 publié le 19 juin dernier, les modifications permettraient au CEPMB de passer de la simple réglementation des prix à un cadre réglementaire à double approche : d'un côté, le CEPMB établirait un « prix courant maximum » et de l'autre, un « prix escompté maximum ».

Le prix courant maximum s'appliquerait à tous les médicaments brevetés et serait établi en fonction du prix médian des 11 pays de comparaison précisés dans les modifications.

Le prix escompté maximum (le « PEM ») s'appliquerait aux « médicaments dans la catégorie un » tel que définis dans les lignes directrices provisoires. Ces médicaments sont définis comme étant ceux dont le coût de traitement annuel est supérieur à 150 % du PIB (actuellement établi à 90 000 $) ou dont le marché est de plus de 50 millions de dollars annuellement. Le CEPMB décidera du PEM en s'appuyant sur des calculs complexes qui prennent en compte les deux nouveaux facteurs économiques, le profil pharmacoéconomique du produit et la taille totale du marché. Cette formule a été créée pour qu'en règle générale, le PEM soit toujours sous le prix courant maximum. Dans plusieurs cas, le PEM sera substantiellement inférieur au prix courant maximum, à tel point que le CEPMB a inclus dans son calcul un « plancher » quant aux rabais accordés pour s'assurer que les résultats ne soient pas démesurément bas.

Malgré son nom, le PEM n'est pas réellement un « prix » maximum; il est plutôt défini comme étant le revenu net reçu par le fabricant du médicament une fois que les rabais aux tiers ont été soustraits du prix courant. En pratique, le PEM est un mécanisme qui oblige les fabricants de médicaments à fournir des escomptes aux assureurs publics et privés afin de réduire leur revenu net sous le seuil autorisé du PEM.

Bien que cette manœuvre puisse sembler contre-intuitive, c'était l'effet recherché par les lignes directrices provisoires. Imaginons que le prix courant maximum d'un médicament soit de 10 $ en vertu des lignes directrices provisoires. Supposons ensuite que, suite à l'examen du profil pharmacoéconomique du produit, le CEPMB détermine que le PEM est de 7 $ (donc, un rabais de 30 %).

En parallèle, le titulaire du brevet entame des discussions confidentielles concernant des escomptes avec des tiers (des assureurs publics et privés). Ces négociations pourraient mener à la signature d'ententes d'inscription de médicament en vertu desquelles les titulaires de brevet conviennent d'accorder des rabais confidentiels.

Aux termes des lignes directrices provisoires de 2020, lorsque le titulaire du brevet déclare le prix moyen de ses ventes, cette déclaration tient compte des rabais confidentiels aux tiers (s'il y a lieu) payés aux assureurs. Dans l'exemple fictif ci-dessus, si le prix de vente moyen dépasse 7 $, il pourrait être considéré comme exorbitant. Par exemple, si le fabricant du médicament a négocié un rabais de 2 $ et qu'il déclare un prix de vente moyen de 8 $, il dépasse le PEM de 7 $ établi en vertu des lignes directrices provisoires de 2020.

Il reste à voir de quelle manière le CEPMB s'attend à ce que les titulaires de brevets rencontrent leurs obligations en matière de PEM, étant donné que dans suivant l'exemple fictif ci-haut, le fabricant du médicament serait contraint de renégocier ses ententes d'inscription de médicament pour offrir des rabais plus substantiels. De plus, il reste à voir les implications qu'aurait le rejet d'une soumission d'un fabricant dans le cadre d'un processus d'appel d'offresm dès lors que c'est grâce à cette soumission que le prix est conforme au PEM.

Dans certains cas, le rabais qui doit être proposé pour se conformer aux modifications du CEPMB sera en effet très élevé. Par exemple, les lignes directrices provisoires de 2020 exigent un rabais de 50 % (sans exception ni écart) pour tous les médicaments de catégorie un qui coûtent plus que 90 000 $ annuellement et qui n'ont pas subi une évaluation des technologies de la santé (une « ÉTS ») au Canada. Cette exigence aura une incidence dramatique sur les médicaments commercialisés sur le marché privé (ce sont généralement les seuls médicaments qui ne subissent pas d'ÉTS) Outre le rabais obligatoire de 50 %, la modification proposée aurait exigé des sociétés pharmaceutiques de conclure des ententes d'inscription de médicament avec des sociétés d'assurance privées. Autrement, il aurait été difficile d'atteindre le rabais de 50 % exigé par les lignes directrices provisoires de 2020. De plus, si les ventes de ce produit atteignent 50 millions de dollars, il aurait été vendu avec une réduction obligatoire supplémentaire pouvant atteindre 35 %.

Toutefois, ce qui est discuté ci-haut est devenu un débat de nature théorique, puisque la décision récente de la Cour fédérale a invalidé les modifications aux lignes directrices du CEPMB exigeant que les titulaires de brevets divulguent les rabais confidentiels consentis aux tiers.

Ceci signifie qu'en pratique, le CEPMB n'aura pas accès aux renseignements lui permettant d'établir la conformité d'un titulaire de brevet au prix d'escompte maximum, étant donné qu'il aura uniquement accès au prix ex-factory.

Or, la décision de la Cour fédérale va plus loin et affecte indirectement l'application des nouveaux facteurs économiques. Ceci est dû au fait qu'aux termes des lignes directrices provisoires de 2020, la seule raison d'être de ces facteurs est d'établir les PEM. Les nouveaux facteurs économiques n'ont aucun impact sur l'établissement du prix courant maximum. Il est donc difficile de prédire de quelle manière ces facteurs seront utilisés à l'avenir.

Par conséquent, lorsque la décision de la Cour fédérale est considérée dans le contexte des modifications et des lignes directrices provisoires de 2020, deux des trois composantes des modifications sont devenues sans objet. La déclaration obligatoire des rabais confidentiels a été annulée par la Cour fédérale et les facteurs économiques ne peuvent pas être utilisés de la manière envisagée dans les lignes directrices provisoires de 2020. Dans ce contexte, la seule partie des modifications qui reste en vigueur à l'heure actuelle est la modification apportée à l'annexe des pays de comparaison.

Il reste évidemment à voir de quelle manière réagira le CEPMB : verrons-nous apparaître une autre version des lignes directrices? Par exemple, le CEPMB choisira-t-il simplement d'abandonner l'utilisation des facteurs économiques, ou modifiera-t-il leur utilisation pour les utiliser afin d'établir les prix courants, les prix ex-factory (rabais déduits de la facture), ou les utilisera-t-il dans des situations exceptionnelles? La décision de la Cour fédérale sera-t-elle portée en appel, ce qui aurait le potentiel de modifier davantage le cadre juridique? Seul le temps nous le dira.

Originally published 17 July, 2020

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