Le 17 mars 2020, la Cour d'appel du Québec (la « Cour ») a rendu un arrêt important en matière de compensation « pré-post » et de dettes « non-libérables » en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « L.a.c.c. »), établissant que la créance d'une municipalité découlant d'une entente conclue dans le cadre du programme de remboursement volontaire (le « PRV ») en vertu de la Loi visant principalement la récupération de sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manSuvres dolosives dans le cadre de contrats publics (la « Loi 26 ») est une créance ordinaire dans le cadre de l'insolvabilité du cocontractant de la municipalité1. De ce fait, la municipalité ne peut opérer compensation entre une telle créance et les sommes qu'elle doit à cette même compagnie insolvable qui sont nées après le début du processus d'insolvabilité.

Le contexte

Le Groupe SM était une firme québécoise d'ingénierie, de gestion de projet et de consultation composée de plusieurs filiales et opérant dans une trentaine de pays. En novembre 2017, le Groupe SM conclu une entente de règlement confidentielle avec la Ville de Montréal (la « Ville ») dans le cadre du PRV en vertu de la Loi 26. Cette entente prévoit le paiement par le Groupe SM de plusieurs sommes échelonnées dans le temps à la Ville, à titre de « remboursement volontaire » (la « Créance PRV »). Il importe de noter que tant en vertu du PRV qu'en vertu de la Loi 26, un règlement conclu dans le cadre du PRV est fait « sans admission » et ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité ni une admission à l'effet que l'entreprise a commis une faute.

Au mois d'août 2018, un processus de restructuration sous la L.a.c.c. a été entamé à l'égard du Groupe SM et Restructuration Deloitte inc. fut nommée à titre de contrôleur (le « Contrôleur »). Au moment du prononcé de l'ordonnance initiale, le Groupe SM avait environ 700 employés et plusieurs centaines de contrats actifs.

Dès le début des procédures de restructuration, il fut établi qu'un processus de vente des actifs du Groupe SM devait être mis en place. Suite à des discussions commencées dès l'émission de l'ordonnance initiale, FNX-Innov inc. et des compagnies affiliées (l' « Acquéreur ») ont été identifiées comme des acquéreurs intéressés. La transaction de vente fut rapidement conclue et au mois de novembre 2018, la Cour a rendu une ordonnance de dévolution approuvant la transaction de vente des actifs du Groupe SM et prévoyait que les parties devaient revenir en cour à une date ultérieure afin d'autoriser la cession de plusieurs contrats du Groupe SM en faveur de l'Acquéreur.

Dans les jours qui ont suivi l'ordonnance de dévolution, plus de 1 739 contrats du Groupe SM ont été cédés à l'Acquéreur (les « Contrats »). Entre l'ordonnance initiale et la vente des actifs, Groupe SM avait effectué des travaux au bénéfice de la Ville dans le cadre des Contrats, que Groupe SM chiffrait à 825 892,20$. Cette créance du Groupe SM vis-à-vis la Ville a été cédée à l'Acquéreur dans le cadre de la cession des Contrats (la « Créance SM »).

De façon concomitante à l'approbation de la transaction avec l'Acquéreur, un paiement devient dû par le Groupe SM à la Ville à l'égard de la Créance PRV. Ce paiement ne fut pas fait par le Groupe SM. La Ville pris alors la position qu'elle n'avait pas à payer la Créance SM, au motif qu'une compensation légale (de plein droit) s'était opérée entre la Créance SM (dette post) et la Créance PRV (dette pré). Selon la Ville, les principes établis par la Cour d'appel dans Kitco2 à l'effet d'une compensation entre une dette pré et une dette post était impossible ne s'appliquaient pas à sa situation étant donné que la Créance SM ( dette post) constituait une dette non-libérable en vertu de l'article 19(2) d) L.a.c.c.

En plus de la Créance PRV (dette pré), la Ville opposait en compensation une deuxième créance due par le Groupe SM, celle-ci découlant d'une action qu'elle avait déposée après le début des procédures de restructuration à l'égard du Groupe SM et d'autres défendeurs où la Ville alléguait l'existence d'un stratagème de collusion dans le cadre de l'octroi d'un contrat pour l'installation de compteurs d'eau (la « Créance des compteurs d'eau »). Cette créance était exclue de la Créance PRV, et faisait l'objet d'une réclamation pendante devant les tribunaux.

Suite à cette prise de position de la Ville, le Contrôleur a déposé une demande en jugement déclaratoire afin de demander à la Cour supérieure de déclarer que la Ville ne pouvait opérer la compensation qu'elle invoquait et de lui ordonner de payer la Créance SM. La Ville a rétorqué en demandant plutôt une déclaration statuant que la compensation légale s'est opérée de plein droit entre les sommes qui lui étaient dues (la Créance PRV et la Créance des compteurs d'eau) et la Créance SM.

En première instance, la juge Corriveau a accueilli la demande du Contrôleur, rejetant ainsi les prétentions de la Ville3 et condamnant la Ville à payer la Créance SM. Toutefois, dans le cadre de son jugement, la juge Corriveau a statué que malgré le libellé de la Loi 26 et l'entente PRV, la Créance PRV constituait bel et bien une dette découlant d'une fraude au sens de l'article 19(2) L.a.c.c. ne pouvant être compromise par un plan d'arrangement sans l'approbation expresse de la Ville. Malgré tout, la cour affirma que malgré le caractère « non-libérable » de la Créance PRV, la compensation demandée par la Ville ne pouvait s'opérer entre une dette pré et une dette post.

La Ville a demandé et obtenu permission d'appeler du jugement de première instance.

À la Cour d'appel, la Ville a pris la position que la juge Corriveau a erré en droit en refusant de constater la compensation entre les sommes qui lui étaient dues (la Créance PRV et la Créance des compteurs d'eau) et la Créance SM.

Les parties intimées ont contesté la position de la Ville. Plus particulièrement, selon l'Aquéreur, bien que les conclusions de la Cour supérieure étaient bien fondées, la juge de première instance avait erré lorsqu'elle a qualifié la Créance PRV de dette « non-libérable » dans un contexte où cette créance découle d'une entente « sans admission » et où la Ville n'avait administré aucune preuve de fraude à l'encontre du Groupe SM dans le cadre des procédures d'insolvabilité.

La décision

Le 17 mars 2020, la Cour d'appel a rejeté les prétentions de la Ville, avalisant ainsi la position de l'Acquéreur. Dans un arrêt majoritaire, et rappelant les principes énoncés par la Cour d'appel dans l'arrêt Kitco, la Cour d'appel énonce à nouveau l'impossibilité d'opérer une compensation entre des dettes pré et post. De plus, la Cour d'appel a conclu que la Créance PRV n'était pas une dette visée par 19(2) L.a.c.c. contrairement aux prétentions de la Ville et de la Cour supérieure :

« [41] Enfin, l'entente confidentielle conclue entre la Ville et Groupe SM comporte des dispositions générales qui sont au même effet. Il y est notamment stipulé que : le fait de se prévaloir du programme ne constitue pas une reconnaissance de responsabilité ni une admission de commission d'une faute quelconque; les dispositions relatives à la quittance donnée par la ministre de la Justice ne prendront effet qu'au moment de l'encaissement complet du paiement; le paiement est fait sans admission ou reconnaissance de responsabilité; l'existence et le contenu de la transaction de même que les faits et circonstances l'entourant sont confidentiels.

[42] Compte tenu de ces dispositions et stipulations, la juge de première instance se trompe en concluant, comme elle le fait, que le fait d'adhérer au programme de remboursement permet d'inférer que Groupe SM a participé à une fraude et que la transaction conclue en vertu de la Loi 26 et du PRV confère à la Ville une réclamation se rapportant à une dette ou obligation résultant d'une fraude. Outre le fait que les discussions et documents de toute sorte échangés dans le cadre du programme, y compris la transaction intervenue, sont confidentiels, le fait de se prévaloir du PRV ne peut constituer une admission qu'une faute quelconque a été commise, encore moins une reconnaissance de responsabilité découlant d'une fraude.

(...)

[50] La créance PRV ne peut donc être qualifiée de frauduleuse. Elle constitue une créance ordinaire et est donc compromise selon le paragraphe 19(1) LACC. L'argumentaire échafaudé par la Ville ne résiste pas à l'analyse. Bien que cette détermination suffise pour rejeter ce moyen de l'appelante, j'ajouterai ceci au sujet de la prétention de compensation en matière de fraude.

[51] La juge de première instance a décidé, à bon droit, que même en présence d'une dette qui résulterait d'une fraude, les principes énoncés dans l'arrêt Kitco reçoivent application. La compensation ne peut donc s'opérer entre une dette de cette nature née avant des procédures en insolvabilité et une dette née après celles-ci.

[52] L'article 21 LACC doit recevoir une interprétation qui ne compromet pas l'objectif de restructuration recherché par la loi. Une interprétation qui ébranle le statu quo et fait douter de la suspension des recours individuels des créanciers pendant que l'on prépare un plan de restructuration en vue d'un arrangement constituerait une menace sérieuse à son fonctionnement ordonné et efficace. Le caractère non compromissoire d'une réclamation ne saurait faire échec au principe selon lequel les procédures d'exécution sont suspendues durant la restructuration, sauf si une ordonnance est rendue par le tribunal chargé de l'application de la LACC.

[53] Par ailleurs, il arrive que certains aspects de la réorganisation des entreprises de grande envergure concernent l'intérêt public. S'il est vrai que personne ne souhaite que la fraude demeure sans conséquence, cela ne justifie pas de mettre de côté les règles mises en place par la LACC. Ces règles imposent notamment de traiter les créanciers sur un pied d'égalité, sous réserve des priorités édictées par la loi. Or, la dette frauduleuse ne constitue pas une créance prioritaire, ce que le législateur aurait pu édicter s'il l'avait voulu. Adopter une interprétation étendue de la compensation en matière de créance frauduleuse aurait pour effet de conférer, en pratique, une priorité accrue et de brouiller les cartes considérablement. »

Quant à la Créance des compteurs d'eau, la Cour a affirmé que la compensation légale ne pouvait s'opérer à cet égard, cette créance n'étant ni certaine, ni liquide, ni exigible au moment du début des procédures d'insolvabilité4, d'autant plus que la réclamation demeure pendante devant les tribunaux.

Conclusion

Il s'agit d'un arrêt important en droit de l'insolvabilité en ce que la Cour d'appel vient explicitement clarifier les effets juridiques d'une dette « non-libérable » dans le cadre de procédures d'insolvabilité. Bien que cette dette ne peut être compromise dans le cadre d'un plan d'arrangement (ou dans le cadre d'une proposition concordataire en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité), il n'en demeure pas moins que la suspension générale des procédures et recours continue de s'appliquer. Il s'agit également d'un arrêt important quant au droit civil en général, en ce que la Cour vient affirmer qu'un règlement conclu sur une base « sans admission » et sans reconnaissance de faute ne saurait être opposé au cocontractant en tant que preuve d'une faute.

Footnotes

1. Arrangement relatif à Consultants SM inc., 2020 QCCA 438.

2. Métaux Kitco inc. (Arrangement relatif à), 2017 QCCA 268 (« Kitco »).

3. Arrangement relatif à Consultants SM inc., 2019 QCCS 2316.

4. Art. 1673 C.c.Q.

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