Alors que plusieurs entreprises procèdent à des réorganisations afin de s'adapter au marché actuel, entraînant parfois des réductions d'effectifs,il est essentiel de se rappeler les critères à considérer au moment de choisir les employés à licencier. Plusieurs pensent, à tort, que l'ancienneté est le seul critère à considérer dans ces circonstances. Une décision récente du Tribunal administratif du travail (« Tribunal ») permet de faire la lumière sur les critères applicables, et ainsi confirmer qu'un employeur peut se fonder sur la polyvalence de ses employés afin de déterminer lesquels seront licenciés.

Les faits

L'employeur en cause œuvre dans le domaine de l'impression et dessert une clientèle commerciale variée. L'entreprise compte huit divisions, l'une d'entre elles étant dédiée à la réception et à l'expédition. En 2014, le plaignant est embauché à titre de chauffeur dans cette division, et est notamment responsable des livraisons.

En mars 2020, en raison de la pandémie de COVID-19, l'employeur a été contraint de procéder à la mise à pied temporaire de 68 employés, incluant le plaignant. Le 23 septembre 2020, le plaignant est informé de sa fin d'emploi définitive. Le même jour, il dépose une plainte contestant son congédiement.

L'employeur allègue que le plaignant n'a pas été congédié, mais qu'il a plutôt fait l'objet d'un véritable licenciement en raison de motifs d'ordre économique et organisationnel, et en fonction d'un critère objectif de polyvalence. Le plaignant soutient qu'il s'agit d'un congédiement déguisé, puisqu'il affirme que ce critère a été appliqué de manière partiale à son endroit, considérant ses difficultés relationnelles avec son directeur.

La décision du Tribunal

Dans son examen de la plainte, le Tribunal rappelle d'abord que le licenciement entraîne une fin d'emploi pour des motifs qui ne sont pas attribuables au salarié, contrairement au congédiement, et établit quelques balises quant à l'analyse à laquelle le Tribunal doit se livrer dans ce contexte précis :

  • Il incombe à l'employeur qui invoque le licenciement d'en faire la preuve;
  • L'employeur doit démontrer l'existence de motifs d'ordre économique ou organisationnel;
  • L'employeur doit de plus démontrer que la fin d'emploi du salarié ciblé résulte véritablement de ces motifs, et que ces derniers ne sont pas qu'un prétexte;
  • Le Tribunal peut se pencher sur les critères de sélection retenus par l'employeur dans sa décision de licencier le salarié;
  • Bien que le Tribunal ne doit pas s'ingérer dans la gestion de l'entreprise, il s'assurera toutefois que l'employeur a appliqué des critères de sélection objectifs et impartiaux;
  • Si l'employeur parvient à faire la preuve d'un licenciement justifié, à ce moment il reviendra au salarié de démontrer que les critères retenus ont au contraire été partiaux, illicites, ou discriminatoires.

Le Tribunal conclut d'abord que l'employeur a satisfait son obligation de démontrer l'existence de motifs économiques ou organisationnels et que la fin d'emploi du plaignant en résulte véritablement.

En effet, la pandémie de la COVID-19 a significativement affecté les affaires de l'employeur. Plusieurs clients ont cessé leurs activités, et d'autres ont modifié leurs opérations, entraînant notamment une baisse des besoins de livraisons, ce à quoi l'employeur a dû s'adapter en faisant preuve de flexibilité. L'employeur a également démontré que ses ventes ont drastiquement chuté pendant cette période.

Puisque ses activités de production se décortiquent en une multitude d'opérations variées, l'employeur a alors décidé que le choix des employés à maintenir en poste se ferait en fonction d'un critère de polyvalence : les employés les plus polyvalents, pouvant être affectés à plusieurs opérations. L'examen de la preuve a également démontré que les salariés dont le lien d'emploi avait été maintenu étaient effectivement polyvalents, et avaient justement été affectés à diverses tâches. En effet, l'employeur avait décidé d'attribuer les tâches de livraison à un commis déjà en poste, en plus d'autres tâches liées à l'expédition, puisque les activités réduites de livraison ne justifiaient pas le maintien d'un poste de chauffeur à temps plein.

Le Tribunal confirme donc la légitimité de ce critère de polyvalence, et conclut ainsi que l'employeur s'est fondé sur un processus de sélection objectif et impartial. Le Tribunal est d'avis qu'un employeur peut très bien décider d'abolir un poste et de répartir les tâches autrement.

Le Tribunal tranche également que dans un milieu non syndiqué, en l'absence de politique interne ou de pratique passée à cet effet, l'employeur n'est pas tenu de licencier ses employés en fonction de leur ancienneté. Le Tribunal ne dispose pas de la liberté de déterminer quel critère devrait être priorisé par l'employeur.

Le Tribunal rejette ainsi la plainte du plaignant et juge que celui-ci a été licencié en toute légitimité.

À retenir

Cette décision tient lieu de rappel sur la marche à suivre lorsqu'il est nécessaire de procéder à un ou plusieurs licenciements. La détermination des critères sur lesquels se fonder pour déterminer les salariés qui seront licenciés doit se faire avec prudence, en s'assurant que ceux-ci soient objectifs et impartiaux. Et comme l'indique le Tribunal, la polyvalence des salariés peut très bien constituer l'un de ces critères. 

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