L'un des grands thèmes du droit de l'emploi en 2023 a été l'intérêt et l'attention accrus à l'égard des conditions de travail des personnes qui effectuent du travail sur les plateformes numériques, soit les « travailleurs à la demande ». Ce phénomène n'est peut-être pas surprenant étant donné que la proportion de travailleurs canadiens qui font du travail à la demande a presque doublé au cours des 15 dernières années, passant de 5,5 % en 2005 à environ 10 % en 20201. Selon une autre étude récente, le nombre d'employés au sein de l'économie à la demande a augmenté pour atteindre le chiffre impressionnant de 8,7 millions (soit 28 %) d'adultes canadiens en 20232.

À mesure que le nombre de Canadiens qui participent à l'économie à la demande augmentera, la réglementation de ce travail aura une importance accrue. Les consultations publiques à cette fin sont bien amorcées et des provinces et territoires au Canada ont commencé à adopter des cadres pour la réglementation du travail à la demande.

Au fédéral

En mars 2023, le ministre fédéral du Travail a publié le rapport « Ce que nous avons entendu : Améliorer les mesures de protection des travailleurs pour les travailleurs à la demande3 » (le « rapport fédéral »). Ce rapport résume les commentaires recueillis par Emploi et Développement social Canada dans le cadre de ses consultations tenues entre février 2021 et décembre 2022 auprès de divers intervenants canadiens, y compris des universitaires, des experts en travail à la demande, des syndicats et organisations de travailleurs, des organisations autochtones et le public canadien, afin de mieux comprendre les expériences des travailleurs à la demande dans les secteurs sous réglementation fédérale.

Le rapport fédéral décrit les « travailleurs à la demande » comme des personnes qui concluent des accords de travail de nature plus occasionnelle, comme des contrats à court terme avec des entreprises ou des particuliers, pour accomplir des tâches précises et souvent ponctuelles. Le travail à la demande est souvent facilité par les nouvelles technologies, comme les plateformes de travail numériques.

Le rapport fédéral résume ce que le public et les intervenants ont décrit comme les principaux défis auxquels sont confrontés les travailleurs à la demande au Canada, notamment :

  • la classification erronée;
  • la rémunération faible;
  • le risque de retard de paiement ou de non-paiement;
  • les horaires imprévisibles;
  • le risque de conditions de travail dangereuses;
  • l'accès limité aux mécanismes de résolution de conflits.

Le rapport fédéral fait état d'un besoin d'intervention législative prudente dans le domaine du travail à la demande, et souligne que de nombreux représentants syndicaux ont prié le gouvernement fédéral de faire preuve de leadership en élaborant des protections pour les travailleurs à la demande afin de promouvoir des actions similaires dans les autres provinces et territoires. Parallèlement, il est reconnu dans le rapport fédéral que des lacunes importantes en matière de renseignements et de données statistiques existent toujours et contribuent à une compréhension imprécise de l'ampleur de l'économie à la demande et des personnes qui y participent.

Le ministère du Travail a indiqué qu'il avait l'intention de mettre en Suvre certaines des conclusions du rapport fédéral, en apportant des modifications au Code canadien du travail concernant les travailleurs à la demande. Il sera important pour les employeurs de continuer à surveiller le paysage législatif et de rester à l'affût de ces changements à venir.

Colombie-Britannique

En août 2023, le ministère du Travail de la Colombie-Britannique a publié son propre document de travail intitulé « Proposing Employment Standards and Other Protections for App-Based Ride-Hail and Food-Delivery Workers in British Columbia4 ».

Le 20 novembre 2023, le gouvernement de la Colombie-Britannique a introduit des modifications5 à la Employment Standards Act et à la Workers Compensation Act de la Colombie-Britannique visant à offrir [traduction] « de meilleures conditions de travail assorties de nouvelles protections, y compris des normes d'emploi de base6 » pour les travailleurs à la demande qui offrent, sur des applications, des services de transport et de livraison de nourriture en Colombie-Britannique. Dix jours plus tard, soit le 30 novembre 2023, le projet de loi a reçu la sanction royale.

Cette nouvelle législation prépare en grande partie le terrain pour un futur pouvoir de réglementation qui définirait et établirait des normes minimales pour les [traduction] « personnes dont le travail se fait à partir de plateformes en ligne », mais aucun règlement de ce genre n'a encore été adopté.

Saskatchewan

En août 2023, le gouvernement de la Saskatchewan a annoncé qu'il entreprenait un examen exhaustif de la Saskatchewan Employment Act et de ses règlements connexes. Parallèlement à une demande publique de rétroaction, le ministère des Relations de travail et de la Sécurité au travail a publié un document de travail d'examen législatif7, lequel cerne les principaux éléments à prendre en considération.

En définissant ces éléments, le gouvernement de la Saskatchewan a constaté une tendance croissante au recours aux travailleurs contractuels et à une évolution de l'économie du travail à la demande, de sorte que les travailleurs sont généralement traités comme des travailleurs autonomes. À la lumière de cette information, bien qu'aucun projet de loi modificatif n'ait encore été présenté, il ne serait pas surprenant que la Saskatchewan emboîte le pas à la Colombie-Britannique.

Ontario

En Ontario, l'adoption de la Loi de 2022 visant à Suvrer pour les travailleurs en avril 2022 a mené à la création de la Loi de 2022 sur les droits des travailleurs de la plateforme numérique8. Cette dernière a pour objet d'établir des droits pour les travailleurs qui exécutent du travail sur plateforme numérique, y compris :

  • le droit à l'information;
  • le droit à un salaire minimum;
  • le droit aux sommes gagnées par le travailleur et aux pourboires et autres gratifications;
  • le droit de résoudre les différends liés au travail sur plateforme numérique en Ontario.

La Loi de 2022 sur les droits des travailleurs de la plateforme numérique définit expressément le « travail sur plateforme numérique » comme étant la prestation, moyennant paiement, de services prescrits, notamment de covoiturage, de livraison ou de messagerie, par des travailleurs au moyen d'une plateforme numérique9.

Bien que l'opinion publique soit fortement en faveur d'un niveau de revenu minimum garanti pour les travailleurs à la demande10, certains intervenants, dont les syndicats, ont critiqué la Loi de 2022 sur les droits des travailleurs de plateformes numériques parce qu'elle n'irait pas assez loin11.

À ce jour, la Loi de 2022 sur les droits des travailleurs de plateformes numériques n'est toujours pas entrée en vigueur.

Organisation internationale du Travail

La légifération de l'emploi des travailleurs à la demande attire l'attention non seulement au Canada, mais aussi à l'échelle internationale. L'Organisation internationale du Travail («OIT»), une agence des Nations Unies spécialisée dans l'élaboration de normes et de politiques du travail, décrit l'émergence de l'économie à la demande ou des plateformes comme « l'une des dernières mutations les plus importantes du monde du travail12 ».

En novembre 2023, l'OIT a publié les « Digital Employment Diagnostic Guidelines13 », qui servent de cadre global pour évaluer, analyser et comprendre les dimensions multiples de l'emploi numérique.

L'OIT a proposé qu'une première discussion sur l'établissement de normes sur le travail décent dans l'économie des plateformes ait lieu lors de sa conférence en 202514, au cours de laquelle les représentants des travailleurs, des employeurs et des gouvernements pourraient négocier une norme internationale que les gouvernements pourraient ensuite adopter.

Et ensuite?

Il est clair que l'économie à la demande est en pleine croissance et que les législateurs de tout le Canada en ont pris note. Le gouvernement fédéral s'est engagé à apporter des modifications au Code canadien du travail et à poursuivre d'autres initiatives non législatives afin d'assurer une meilleure protection des travailleurs au sein de l'économie à la demande, alors que l'Ontario et la Colombie-Britannique ont déjà adopté des lois qui jettent les bases d'une réglementation future. Il est probable que d'autres provinces et territoires au Canada feront de même et que leurs initiatives influenceront le reste du pays.

Footnotes

1. Voir Ce que nous avons entendu : Améliorer les mesures de protection des travailleurs pour les travailleurs à la demande, page 2, figure 1.

2. Voir l'article de H&R Block Canada Inc. : « Nearly half (44%) of Canadian gig workers are willing to risk not declaring income in the battle against cost-of-living increases; 51% say their primary employer is unaware of their side hustle » (en anglais seulement).

3. Voir le résumé du rapport du ministère du Travail : Ce que nous avons entendu : Améliorer les mesures de protection des travailleurs pour les travailleurs à la demande.

4. « Proposing Employment Standards and Other Protections for App-Based Ride-Hail and Food-Delivery Workers in British Columbia » (en anglais seulement).

5. Bill 48, Labour Statutes Amendment Act, 2023.

6. Voir le communiqué de presse du gouvernement de la Colombie-Britannique : Fairness coming for gig workers (en anglais seulement).

7. Voir le document de travail : « Review of the Employment Standards Provisions of The Saskatchewan Employment Act and Associated Regulations (en anglais seulement).

8. Pour en savoir plus sur la Loi de 2022 visant à Suvrer pour les travailleurs et la Loi de 2022 sur les droits des travailleurs de la plateforme numérique : Ontario's Working for Workers Act, 2022 Now in Force (en anglais seulement).

9. Loi de 2022 sur les droits des travailleurs de plateformes numériques, art. 1.

10. Voir le communiqué de presse : L'Ontario instaure le salaire minimum général pour les travailleurs des plateformes technologiques.

11. Voir la publication Does Bill 88 Work for App-Based Delivery Workers? (en anglais seulement)

12. Voir la page de l'OIT sur les plateformes numériques de travail.

13. Digital Employment Diagnostic Guidelines (en anglais seulement).

14. Voir l'Ordre du jour de la 113e session de la Conférence internationale du Travail.

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