Le 29 janvier 2020, le Groupe d'examen du cadre législatif en matière de radiodiffusion et de télécommunications (le « groupe d'experts ») a publié son rapport fort attendu et ses recommandations à l'intention du gouvernement.

Le rapport constitue la première et l'unique prise de position publique du groupe d'experts, qui a fait preuve de discrétion depuis 2018, date de commencement de l'examen du secteur des communications au Canada. Le groupe d'experts avait publié un rapport préliminaire en juin 2019, mais il ne s'agissait que d'un résumé des échos des intervenants lors des consultations. Le rapport «  Ce que nous avons entendu  » ne comprenait aucune recommandation ni aucun commentaire apportant des précisions sur la position du groupe d'experts.

Radiodiffusion - Soutien à la création, production et découvrabilité de contenu canadien

Dans la mesure où les radiodiffuseurs traditionnels continuent de générer des revenus au bénéfice de nouveaux participants (notamment des fournisseurs de services Internet et des fournisseurs de contenu étranger) et dans la mesure où les contributions obligatoires au secteur culturel canadien sont en régression, l'une des tâches les plus importantes du groupe d'experts était de fournir au gouvernement fédéral une piste de solution claire visant à recadrer cet investissement.

Le message de Steven Guilbeault, ministre du Patrimoine, était clair et direct quelque temps avant la publication du rapport final : le gouvernement fédéral se prépare à utiliser le bâton - et non la carotte - pour forcer les fournisseurs de contenu Internet à investir dans les industries culturelles et les communautés du Canada. Cette ligne de conduite est conforme aux termes de la nouvelle lettre de mandat du premier ministre, qui demande au ministre Guilbeault de veiller (entre autres) à ce que « les fournisseurs de contenu, y compris les géants du Web, offrent plus de contenu canadien dans leur répertoire, contribuent à la création de contenu canadien [...] [et] fassent la promotion de ce contenu et le rendent facilement accessible sur leur plateforme ».

Toutefois, le message du ministre et la lettre de mandat ne précisaient pas comment le gouvernement fédéral allait y parvenir. Le rapport final du groupe d'experts vise à remédier à cette situation et à proposer au gouvernement fédéral une marche à suivre et une couverture politique si les recommandations du groupe d'experts sont acceptées.

Financer et soutenir le contenu canadien

Le groupe d'experts recommande de faire en sorte que tous les services de contenu médiatique importants relèvent du champ d'application de la Loi sur la radiodiffusion  et de la compétence du CRTC, y compris les services de contenu numérique étranger.

" Recommandation 51. Étendre le champ d'application de la Loi sur la radiodiffusion  au delà du contenu audio et audiovisuel pour englober le contenu alphanumérique des nouvelles mis à la disposition du public au moyen des télécommunications. Les deux catégories de « contenu médiatique » seraient :

  • le contenu audio ou audiovisuel, qui désigne les sons ou images en mouvement, ou une combinaison des deux, interactifs ou non, destinés à renseigner, à éclairer ou à divertir et mis à la disposition du public au moyen des télécommunications;
  • le contenu alphanumérique de nouvelles, qui désigne les nouvelles à propos de l'actualité qui comprend principalement du texte composé de caractères alphanumériques mis à la disposition du public au moyen des télécommunications. Toutefois, cette définition ne comprend pas la transmission d'un contenu destiné uniquement à une présentation ou à une prestation dans un lieu physique public ni les images constituées principalement d'un texte composé de caractères alphanumériques et non accompagnées de sons.

" Recommandation 54. Remplacer le terme « entreprise de radiodiffusion » actuellement utilisé dans la Loi sur la radiodiffusion  par l'expression « entreprise de contenu médiatique », qui comprendrait les trois différents types d'entreprises suivants dont chacun aurait ses propres obligations de contribution :

  • l'entreprise de curation de média, qui désigne une entreprise dont l'objet principal est de fournir un service de diffusion de contenu médiatique sur lequel elle exerce un contrôle éditorial. Dans ce contexte, le terme « contrôle éditorial » s'entend du contrôle effectif sur la création ou la sélection du contenu médiatique, y compris au moyen d'ententes avec les titulaires de droits en ce qui concerne sa création ou sa diffusion;
  • l'entreprise d'agrégation de média, qui désigne une entreprise offrant, en totalité ou en partie, un service d'agrégation et de diffusion de contenu médiatique fourni par des entreprises de curation de média;
  • l'entreprise de partage de média, qui désigne une entreprise fournissant, en totalité ou en partie, un service qui permet aux utilisateurs de partager du contenu médiatique que le fournisseur organise ou contrôle, mais sur lequel il n'exerce aucun contrôle éditorial.

" Recommandation 55. Modifier la Loi sur la radiodiffusion  afin d'établir qu'elle s'applique aux entreprises qui sont exploitées en partie au pays, qu'elles soient ou non établies au Canada.

" Recommandations 56-58. Veiller à ce que le régime actuel de licences prévu dans la Loi sur la radiodiffusion soit accompagné d'un régime d'enregistrement qui obligerait toute entreprise de contenu médiatique en ligne à s'enregistrer, à moins d'y être exemptée.

" Recommandation 60. Veiller à ce que toutes les entreprises de contenu médiatique  contribuent au système de radiodiffusion canadien de manière équitable, peu importe l'endroit où elles sont établies.

" Recommandation 61. Modifier la Loi sur la radiodiffusion  pour que le CRTC puisse imposer des exigences en matière de dépenses ou des redevances, ainsi que des exigences en matière de découvrabilité à toutes les entreprises de contenu médiatique (à l'exception de celles dont l'objet principal est la diffusion de nouvelles imprimées). Le rapport recommande que les contributions obligatoires soient calculées en fonction « d'un pourcentage des revenus tirés de leurs activités au Canada ».

" Recommandation 65. Mettre en place un organisme public unique chargé du financement pour la création, la production et la découvrabilité des productions canadiennes sur tous les supports de diffusion, lequel regroupera les fonctions du Fonds des médias du Canada et de Téléfilm Canada.

" Recommandation 66. Rediriger les redevances réglementaires qui étaient auparavant octroyées au Fonds des médias du Canada vers des fonds de production indépendants certifiés ainsi que vers d'autres fonds ou programmes, actuels ou nouveaux, approuvés par le CRTC.

" Recommandation 69. Veiller à ce que les crédits d'impôt et les fonds soient accessibles à toute société de production canadienne, qu'elle soit indépendante ou affiliée à un diffuseur, et ce, sans égard au support de diffusion.

" Recommandation 71. Veiller à ce que la totalité ou une partie des redevances acquittées par les entreprises d'agrégation et de partage de média contribuent à la production de contenu de nouvelles - au moyen d'un fonds.

Réglementer les médias sociaux qui diffusent des nouvelles

" Recommandation 72. Exiger que la relation entre les plateformes de médias sociaux qui partagent du contenu de nouvelles et les créateurs de contenu de nouvelles soit réglementée. Habiliter le CRTC à réglementer les relations commerciales entre les entreprises de contenu médiatique et les producteurs de contenu, y compris les modalités des ententes commerciales. Cette mesure viserait les entreprises de contenu médiatique qui mettent à la disposition du public du contenu alphanumérique de nouvelles.

Accorder au CRTC le pouvoir d'imposer de nouvelles sanctions administratives pécuniaires

" Recommandation 77. Modifier la Loi sur la radiodiffusion pour intégrer des dispositions relatives aux sanctions administratives pécuniaires, semblables au régime général de la Loi sur les télécommunications, assorties de seuils maximaux fixés à un niveau suffisamment élevé pour avoir un effet dissuasif sur les entreprises étrangères.

Lutter contre le piratage

" Recommandation 78. Pour lutter contre le piratage, les articles 9 et 10 de la Loi sur la radiocommunication — qui prévoient qu'il est interdit de décoder, de retransmettre un signal d'abonnement ou d'utiliser des appareils, des équipements ou des composantes pour recevoir illégalement des programmes d'abonnement encodés — devraient être déplacés dans la Loi sur la radiodiffusion et étendus à toute forme de contenu médiatique.

Appliquer équitablement les taxes de vente aux entreprises étrangères et canadiennes

" Recommandation 85. Veiller à ce que le gouvernement fédéral applique équitablement les taxes de vente en exigeant des entreprises étrangères de contenu médiatique qu'elles perçoivent et remettent la TPS/TVH, comme il est actuellement exigé des entreprises canadiennes.

" Résumé : Le groupe d'experts rejette explicitement l'imposition d'une taxe aux fournisseurs de services Internet (« FSI ») comme moyen de financement du contenu canadien, car il ne croit pas « que [...] les fournisseurs de services Internet devraient être obligés de soutenir les objectifs de la politique culturelle ».

Télécommunications - Accès abordable à des réseaux de télécommunications évolués

Le groupe d'experts a également dû formuler des recommandations sur les télécommunications au Canada dans un contexte réglementaire très chargé, tant pour les services filaires que pour les services sans fil. Il convient de noter que le CRTC est engagé depuis un an dans une consultation publique qui pourrait façonner l'avenir de l'industrie du sans-fil au Canada et qu'une audience publique est prévue pour la seconde moitié de février 2020.

Le groupe d'experts présente de nombreuses recommandations visant à modifier la Loi sur les télécommunications.  Voici quelques-unes des principales recommandations :

Modifier les principales définitions figurant dans la Loi sur les télécommunications

" Recommandation 16. Remplacer la notion de « service de télécommunication » par celle de « service de communication électronique » dans la Loi sur les télécommunications, ce qui comprendrait :

  • la fourniture, notamment par vente ou location, même partielle, d'installations de télécommunications ou de matériel connexe;
  • le service de connectivité, dont la principale caractéristique est le transport d'informations au moyen d'installations de télécommunications;
  • le service de communication interpersonnelle, qui permet l'échange direct, interpersonnel et interactif d'informations par l'intermédiaire d'installations de télécommunications entre un nombre restreint de personnes. Les personnes qui lancent ou participent à la communication en déterminent les destinataires.

" Recommandation 17. Éliminer de la Loi  les termes « entreprise de télécommunication », « entreprise canadienne » et « fournisseur de services de télécommunication » avec les modifications qui s'imposent.

Privilégier la concurrence et les forces du marché plutôt que de réglementer le marché de gros

" Recommandation 28. Le groupe d'experts estime que le principe de la concurrence et le fait de s'en remettre aux forces du marché constituent l'option privilégiée, mais il fait remarquer qu'une réglementation efficace et efficiente se justifie « le cas échéant ».

" Recommandation 29. Modifier la Loi pour exiger explicitement du CRTC qu'il surveille et évalue l'état de la concurrence dans les principaux marchés des communications électroniques afin d'assurer que les tarifs des services soient justes et raisonnables.

" Recommandation 30. Continuer d'exiger de s'abstenir de réglementer les tarifs lorsque le marché est suffisamment concurrentiel pour protéger les intérêts des utilisateurs. Comme condition de cette abstention, le groupe d'experts demande au CRTC d'« obliger la fourniture de services de gros connexes ou [d']expliquer pourquoi il n'est ni nécessaire ni indiqué de le faire ». 

" Recommandation 39. Permettre que l'assignation et l'établissement des modalités et des conditions d'accès aux services sans fil de gros relèvent de la compétence exclusive du CRTC.

" Recommandation 31. Consolider l'autorité du CRTC sur les tarifs, renommer les tarifs « offres de référence » et veiller à ce qu'ils établissent non seulement les tarifs, mais également les modalités et les conditions exigées, les détails des processus opérationnels associés et les conditions de prestation des services et leur qualité.

Déployer des installations et assurer l'accès aux infrastructures

Recommandation 34. Modifier la Loi pour exiger que les fournisseurs de services de communication électronique au public accordent l'accès à leurs structures de soutènement à des « tarifs justes et raisonnables, et sur une base non exclusive, à des personnes qui possèdent ou exploitent des installations de transmission » dans le but de fournir des services de connectivité au public.

" Recommandation 35. Modifier la Loi  pour interdire toute entente exclusive relative à l'utilisation des infrastructures passives.

" Recommandation 36. Compte tenu de l'augmentation marquée des endroits où des installations de télécommunications doivent être aménagées pour le déploiement des réseaux évolués (5G), le groupe d'experts recommande : 

  • que les pouvoirs du CRTC liés aux infrastructures passives comportent expressément l'accès à toutes les propriétés publiques en mesure d'accueillir ces installations, comme le mobilier urbain;
  • que la portée de l'accès comprenne les installations de radiocommunication (et les installations de télécommunications nécessaires à leur exploitation), ainsi que l'accès non discriminatoire aux structures de soutènement des services publics réglementés par les provinces;
  • qu'il soit permis au CRTC d'exiger l'accès au câblage intérieur et intra-muros, aux structures de soutènement et aux toits sur les immeubles à logements multiples et à l'intérieur de ceux-ci;
  • que le ministre de l'Industrie attribue au CRTC l'encadrement fonctionnel de l'emplacement des antennes, y compris la gestion des interactions avec les municipalités.

Gérer le spectre et la radiocommunication

Recommandation 41. Pour faciliter l'utilisation partagée du spectre radio, modifier la Loi sur la radiocommunication  pour habiliter le ministre à établir des mécanismes visant à faciliter l'échange ou la location de licences, à administrer une base de données qui régit l'utilisation du spectre radio dans des catégories précises de licences et à déléguer ce pouvoir administratif à toute personne.

Assurer l'expansion du service universel grâce aux contributions des intervenants au Fonds de contribution national

" Recommandation 25. Modifier la Loi  afin de permettre au CRTC de faire appel à un éventail élargi d'intervenants du marché (tous les fournisseurs de services de communication électronique) pour les enjoindre à contribuer au fonds qui permet le déploiement des télécommunications évoluées.

" Recommandation 27. Modifier la Loi  afin qu'elle prévoie que le ministre de l'Industrie présente un rapport annuel au Parlement sur l'état d'avancement du déploiement des services à large bande, y compris dans les collectivités rurales, éloignées et autochtones.

Protéger la neutralité du Net

" Recommandation 48. Modifier les objectifs de la Loi sur les télécommunications afin d'inclure l'obligation pour le CRTC de protéger l'accès ouvert à Internet au Canada et d'ajouter des dispositions législatives permettant au CRTC d'examiner les discriminations injustes dans la fourniture de tout service de communication électronique par quelque personne que ce soit.

À quoi renvoie un nom?

" Recommandation 1. La toute première recommandation du rapport est de changer le nom des lois et de l'autorité de réglementation en matière de communications au Canada pour qu'ils reflètent mieux la terminologie moderne et un champ d'application plus vaste. Il est recommandé que :

  • le nom du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes soit changé pour celui de Conseil des communications canadiennes;
  • le titre de la Loi sur la radiodiffusion soit remplacé par Loi sur les communications médiatiques;
  • le titre de la Loi sur les télécommunications soit remplacé par Loi sur les communications électroniques.

La marche à suivre est une invitation à agir immédiatement

Le groupe d'experts souligne qu'il faut du temps au gouvernement pour élaborer et promulguer une nouvelle loi; il demande donc que des mesures immédiates soient prises dans ces champs d'action précis :

" Pour avoir une incidence immédiate sur la vie des Canadiens qui n'ont pas de connexion, les gouvernements de tout le pays qui ont engagé des fonds pour l'expansion des services à large bande devraient agir rapidement et de manière coordonnée pour débloquer ces fonds.

" Exiger que le CRTC tienne des audiences pour délivrer une nouvelle ordonnance d'exemption afin que les curateurs de contenu étranger en ligne qui dégagent des bénéfices au Canada (et qui sont actuellement exemptés de l'obligation de licence) soient tenus de contribuer au contenu canadien au moyen d'obligations de dépenses et de découvrabilité.

" Mettre immédiatement fin au désavantage à l'égard de la taxe de vente auquel les entreprises canadiennes sont confrontées en appliquant la TPS/TVH aux services de communication médiatique des fournisseurs de contenu étranger en ligne.

Fasken continuera de surveiller les avancées importantes dans le domaine des télécommunications et de la radiodiffusion et de publier des mises à jour lorsque le gouvernement aura déterminé lesquelles des recommandations du groupe d'experts doivent être mises en Suvre.

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