Le Bureau de la concurrence a annoncé avoir conclu un consentement avec Facebook afin de clore une enquête sur la divulgation de renseignements personnels aux utilisateurs entre 2012-2018. Dans le cadre de ce règlement, Facebook s'est engagée à verser neuf millions de dollars, auxquels s'ajoutent 500 000 $ de frais, ce qui est une sanction importante au Canada. Le consentement intervenu avec le Bureau fait suite à une plus importante sanction de cinq milliards de dollars américains imposée à Facebook en 2019 par la Federal Trade Commission des États-Unis en lien avec des questions similaires.

En vertu des dispositions civiles de la Loi sur la concurrence, le Bureau est autorisé à enquêter sur les indications faites au public en vue de promouvoir des intérêts commerciaux qui sont fausses ou trompeuses sur un point important. La loi dispose que pour déterminer si les indications sont fausses ou trompeuses, il faut tenir compte de l'impression générale qu'elles donnent aux consommateurs, ainsi que de leur sens littéral. En mars 2020, le Bureau a publié un document où il explique aux entreprises les points à considérer pour éviter de donner aux consommateurs une idée trompeuse de leurs services numériques.

Le Bureau a conclu que Facebook a permis à des développeurs tiers d'accéder aux informations personnelles des utilisateurs sur sa plateforme et sur le service Messenger d'une manière incohérente avec les déclarations faites dans sa politique de confidentialité et avec les indications fournies aux utilisateurs dans les « Paramètres de confidentialité » et sur d'autres pages. Le Bureau a aussi conclu que les applications de tiers sur Facebook ont eu accès à de l'information personnelle sur les amis des utilisateurs de Facebook, même après la déclaration de Facebook selon laquelle elle avait mis un terme à cette pratique. Dans le consentement, Facebook convient de ne pas contrevenir aux dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses de la Loi sur la concurrence et s'engage à harmoniser le programme de conformité des entreprises mis sur pied en réponse au règlement intervenu avec la FTC avec les directives du Bureau concernant la conformité des entreprises.

Même si Facebook a convenu d'un règlement, on peut se demander si la déficience des déclarations sur la confidentialité aurait été sanctionnée par le Tribunal de la concurrence ou un tribunal judiciaire devant lequel l'affaire aurait été portée. Il est possible que dans une affaire contentieuse future on cherche à mettre à l'épreuve la portée des dispositions de la Loi sur la concurrence concernant les pratiques commerciales trompeuses et les sanctions pour contravention.

À retenir

Les entreprises qui recueillent des données sur les consommateurs, en particulier des renseignements personnels, doivent retirer trois grandes leçons de cette affaire.

Première leçon : Importance de présenter des déclarations claires et précises sur la confidentialité

Considérant la lourde sanction imposée à Facebook, les entreprises présentes au Canada ont tout intérêt à soigneusement se demander si les déclarations concernant la confidentialité qu'elles présentent aux consommateurs indiquent véritablement leurs pratiques. Le Bureau indique dans son document que les entreprises doivent clairement déclarer aux consommateurs leurs pratiques entourant les données sur les consommateurs, comme la nature des données recueillies et le mode de collecte; l'objectif de la collecte des données; si les données sont communiquées, vendues ou transférées à des tiers; et la politique de conservation des données. Bref, les consommateurs doivent avoir assez d'information pour décider en toute connaissance de cause s'ils désirent utiliser les produits et services d'une entreprise.

Deuxième leçon : Contrôle des services gratuits

Le Bureau a déclaré que la Loi sur la concurrence s'applique même aux produits et services offerts gratuitement, soulignant ainsi qu'il attache un intérêt particulier aux entreprises qui utilisent des données sur les consommateurs pour offrir un service gratuit. L'annonce fait suite au document de mars 2020 qui indique que les entreprises cherchent souvent à monétiser les données obtenues à partir de services gratuits et conclut que « les règles qui entourent la publicité s'appliquent aux transactions non monétaires de la même façon qu'elles s'appliquent aux transactions traditionnelles. »

Troisième leçon : Approche numérique du Bureau et double compétence

Dans le passé, le Bureau n'examinait pas les politiques et pratiques des entreprises concernant la protection de la vie privée sous l'angle des dispositions sur les pratiques commerciales trompeuses de la Loi sur la concurrence. C'était plutôt le commissaire à la protection de la vie privée du Canada (le « commissaire »), responsable de l'administration de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques d'application fédérale (ou son homologue provincial dans les provinces disposant de leur propre loi sur la protection des renseignements personnels) qui habituellement enquêtait sur les plaintes pour violation de la vie privée et en faisait rapport. Le commissaire se penchait entre autres sur les possibles inexactitudes ou indications fausses ou trompeuses contenues dans les politiques sur la vie privée et autres déclarations connexes susceptibles d'invalider en tout ou en partie le consentement donné par l'utilisateur sur la foi de telles déclarations.

En fait, en 2019, le commissaire fédéral et le commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique ont publié un rapport de conclusions portant sur une enquête semblable à celle menée par le Bureau, suivi plus tôt cette année de la présentation d'une demande en Cour fédérale du commissaire en vue d'obtenir une déclaration et des ordonnances contre Facebook dans le cadre de cette enquête. L'enquête lancée par le Bureau démontre que les politiques et pratiques sur la protection de la vie privée sont susceptibles de faire l'objet de deux enquêtes et de deux poursuites par des autorités fédérales différentes.

L'intérêt du Bureau envers la protection de la vie privée peut avoir plusieurs origines :

  • Tout d'abord, depuis quelques années, le Bureau s'intéresse plus étroitement à l'économie numérique et à la concurrence à laquelle on se livre dans ce secteur.
  • Ensuite, le Bureau peut considérer que son intervention dans l'arène de la vie privée est une manière plus efficace de s'attaquer à des dossiers qui relèveraient normalement du commissaire, étant donné les différences dans les mécanismes de sanction prévus par la Loi sur la concurrence et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. À cet égard, le commissaire se plaint depuis quelques années de son manque de pouvoir coercitif direct. Il réclame une réforme législative qui lui donnerait un tel pouvoir (par exemple, dans son dernier rapport annuel présenté au Parlement). Mais il vaut la peine de souligner que le Bureau lui-même ne dispose pas de beaucoup des pouvoirs coercitifs directs que le commissaire réclame. Par exemple, le Bureau n'aurait pas pu imposer à Facebook directement la sanction de 9 millions de dollars que l'entreprise a accepté de payer. Il aurait plutôt fallu qu'il saisisse de l'affaire le Tribunal de la concurrence, seul habilité à imposer une telle sanction.
  • Troisièmement, la poursuite de la FTC a probablement encouragé le Bureau à agir, étant donné qu'il joue un rôle de protection du consommateur semblable à celui de la FTC aux États-Unis. La coordination internationale dans l'application de la loi a pris une plus grande importance depuis quelques années.

Nous nous attendons à ce que le Bureau continue à surveiller les politiques et pratiques concernant la protection de la vie privée dans les années à venir, en particulier si les consommateurs sont susceptibles de se plaindre ou s'il constate que le commissaire a ouvert une enquête ou qu'une autorité étrangère a intenté une poursuite sur une question qui l'intéresse.

Originally published June 25, 2020.

The content of this article is intended to provide a general guide to the subject matter. Specialist advice should be sought about your specific circumstances.