• Le 17 avril 2018, dans l'affaire Smith v. Armstrong et al., la Cour supérieure de justice de l'Ontario a rejeté une action collective en raison du retard excessif à présenter une demande d'autorisation.
  • La procédure a été entamée en janvier 2000 pour le compte de membres des Forces armées canadiennes (les « FAC ») qui ont supposément été obligés de prendre de la méfloquine, médicament antipaludique, pendant leur déploiement en Somalie en 1992 et en 1993.
  • Le demandeur alléguait que le médicament a entraîné des effets secondaires à long terme nocifs et que son administration obligatoire aux membres du groupe du demandeur constituait de la négligence, des voies de fait et la violation des droits que leur garantit la Charte.
  • Le demandeur a attendu 16 ans avant de présenter une requête en autorisation au tribunal. Les défendeurs ont quant à eux demandé le rejet de l'action pour retard excessif.
  • Après avoir examiné la jurisprudence, la Cour a défini les critères pour décider si elle doit : (i) soit accueillir la requête en autorisation; (ii) soit accueillir la requête en rejet de l'instance.
  • Il s'agit là du jugement le plus important à ce jour statuant sur l'effet d'un retard dans une procédure d'action collective en Ontario.

Cadre procédural

La déclaration a été déposée le 14 février 2000. Une réclamation en dommages intérêts au titre de la Charte y a été rajoutée le 13 septembre 2001. Les défendeurs ont produit leur défense le 3 décembre 2001.

En 2006, alors que le demandeur n'avait pas fait progresser l'action depuis cinq ans, les défendeurs – soit le fabricant du médicament, un médecin militaire et le procureur général du Canada - ont essayé sans succès d'obtenir le rejet de l'action. Au cours des dix années suivantes, les parties ont échangé sur le changement éventuel des avocats représentant le demandeur, mais n'ont pas réussi à faire avancer le dossier. Le 22 novembre 2016, un avis de changement d'avocats a été remis aux défendeurs. Peu de temps après, les avocats du demandeur ont proposé un échéancier et ont déposé une requête en autorisation de recours collectif. Les défendeurs ont demandé le rejet de l'action pour retard excessif.

Requête en autorisation de recours collectif

Après l'expiration d'un certain délai, l'article 2 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs oblige à demander l'autorisation d'exercer un recours collectif. Dans les faits, les requêtes officielles sont habituellement remplacées par des directives sur la gestion et l'ordonnancement des instances. Par ailleurs, l'article 2 ne prévoit aucun critère pour l'obtention d'une autorisation et, comme l'a souligné le juge, aucune des causes où cet article entre en jeu n'impose de critères à cet effet. Dans ces affaires, il a cependant été tenu compte d'un certain nombre de facteurs, notamment :

  • S'il existe une explication raisonnable au retard;
  • Si les défendeurs ont contribué au retard;
  • Si la capacité des défendeurs de répondre aux accusations qui pesaient contre eux a été compromise par le retard (la gravité du préjudice étant généralement supposée proportionnelle à la longueur du retard).

Le tribunal appelé à se pencher sur une requête en autorisation de recours collectif présentée en dehors des délais prescrits, en application de l'article 2 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, doit trouver un juste équilibre entre l'intérêt du demandeur à ce qu'il soit statué sur le fonds de la demande et le droit du défendeur à un procès équitable et efficace. En l'absence de critères législatifs précis, le critère applicable est l'« intérêt de la justice ». Il incombe alors au demandeur d'établir qu'il est dans l'intérêt de la justice d'accorder l'autorisation, compte tenu des intérêts opposés des parties.

L'omission d'agir avec diligence dans les délais impartis par la Loi de 1992 sur les recours collectifs pourrait mener le tribunal à conclure que le demandeur n'a pas de véritable intérêt à ce que la cause soit entendue sur le fonds. Le demandeur doit alors convaincre le tribunal que le retard n'est pas déraisonnable, compte tenu de la nature de l'affaire, ou qu'il peut être raisonnablement justifié.

Le jugement sur la requête en autorisation

Finalement, dans cette affaire, le tribunal rejette la demande d'autorisation du demandeur en raison du manque d'explications adéquates pour le retard et de la forte présomption de préjudice envers les défendeurs. Le demandeur a tenté d'expliquer que son état de santé et le manque initial de preuves d'experts (auquel il a été remédié à mesure que de nouvelles recherches ont été menées) étaient la cause du retard. Le tribunal a conclu que ces explications, et plusieurs autres, ne justifiaient qu'en petite partie le retard dans la présentation de la demande.

Requête en rejet pour retard excessif

La requête en rejet pour retard excessif présentée par les défendeurs invoquait les paragraphes 24.01 (1) et 24.01 (2) des Règles de procédure civile de l'Ontario :

  • Le paragraphe 24.01 (1) permet au défendeur de demander le rejet de l'action si (entre autres possibilités ne s'appliquant pas au cas qui nous intéresse) le demandeur n'a pas: (i) inscrit l'action pour instruction dans les six mois qui suivent la clôture de la procédure écrite, ou (ii) fait constater le défaut d'un défendeur dans les trente jours qui suivent l'omission de celui-ci de remettre sa défense.
  • Le paragraphe 24.01 (2), qui remplace le paragraphe 48.14 (13), oblige le tribunal à rejeter une action pour cause de retard si l'action n'a pas été inscrite pour instruction ou n'a pas pris fin au plus tard au cinquième anniversaire de son introduction ou si l'action a été radiée du rôle et n'a pas été réinscrite au rôle ou n'a pas autrement pris fin au plus tard au deuxième anniversaire de sa radiation, à moins que le demandeur ne démontre que le rejet de l'action serait injuste.

Lorsque le défendeur demande le rejet de l'action en vertu du paragraphe 24.01 (1), le tribunal doit poser les questions suivantes, qui figurent dans l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Sickinger v. Krek :

  • Le retard était il excessif, compte tenu du temps écoulé depuis le début des procédures jusqu'à la requête en rejet, étant entendu que certaines affaires progressent lentement en raison de leur complexité ou des parties en cause?
  • Le retard était il excusable, selon la nature et la crédibilité des raisons données pour l'expliquer?
  • Le retard était il préjudiciable pour le défendeur (un retard excessif donnera lieu à une présomption de préjudice qui devra être réfutée par le demandeur)?

Le paragraphe 24.01 (2) impose plutôt au demandeur le fardeau de démontrer que le retard était excusable ou qu'il n'était pas préjudiciable pour le défendeur.

Les motifs du rejet pour retard

Le tribunal accueille la requête en rejet pour retard excessif au motif que le retard était manifestement excessif et que le demandeur n'a pas fourni d'excuse raisonnable qui expliquait une grande partie du retard. Comme l'énonce la Cour d'appel de l'Ontario dans l'arrêt Wallace v Crate's Marine Sales Ltd., 2014 ONCA 671, la patience a ses limites : il arrive un moment où le système de justice civile ne tolère plus de retard excessif et inexplicable.

Après s'être prononcé sur l'absence d'excuse du retard, le tribunal se penche sur la question plus complexe du préjudice. La présomption de préjudice dans cette affaire est assez forte. Le demandeur ne peut pas la réfuter en faisant valoir qu'il est de la responsabilité des défendeurs de conserver des documents ou d'interroger les témoins requis en temps opportun. En l'espèce, on ne pouvait pas reprocher aux défendeurs d'avoir omis de déployer de coûteux efforts pour interroger des témoins et conserver des documents alors qu'il n'apparaissait pas clairement (et qu'il n'apparaît d'ailleurs toujours pas clairement) qu'ils s'exposaient à une action collective plutôt qu'à une poursuite entamée par seulement deux demandeurs. En acceptant cet argument, le tribunal indique sa volonté de tenir compte des « réalités économiques » pour décider si un long retard peut être considéré comme préjudiciable.

La preuve générale de l'existence d'archives ou d'autres éléments de preuve conservés par un défendeur ne suffira pas non plus à réfuter la présomption de préjudice lorsque, comme dans cette affaire, la nature des documents archivés (à savoir par exemple s'ils comprennent des déclarations de témoins faites sous serment et si ces témoins sont toujours en mesure de témoigner) est incertaine.

Incidence sur les autres membres du groupe éventuel

Il est à noter que malgré son rejet de l'action du demandeur pour cause de retard, le tribunal considère tout de même que l'avis du rejet doit être remis aux autres membres du groupe éventuel dont les délais de prescription avaient été interrompus pendant que l'action collective était pendante, ce qui laisse à un autre membre du groupe éventuel la possibilité d'entamer une nouvelle procédure. Le tribunal fait remarquer que l'incidence du « délai de prescription ultime » de 15 ans prévu par la Loi de 2002 sur la prescription des actionssur la validité d'une telle réclamation demeure incertaine.

Conclusion

L'affaire Smith v. Armstrong souligne l'importance de régler rapidement les différends et d'encourager les demandeurs à exercer leurs droits avec vigilance. Même si le jugement n'exclut pas la possibilité qu'un autre membre du groupe éventuel entame une nouvelle procédure, il confirme l'existence d'une présomption de préjudice envers les défendeurs causée par le retard. Il établit aussi qu'il incombe au demandeur de prouver que l'obtention d'une autorisation en vertu de l'article 2 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs est dans l'intérêt de la justice compte tenu des intérêts opposés en jeu.

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