La Cour d'appel du Yukon infirme un jugement de la Cour suprême du Yukon qui fixe la juste valeur en fonction d'une valeur actualisée spéculative des flux de trésorerie, pour plutôt privilégier la méthode plus courante du prix du marché.

  • La Cour d'appel du Yukon casse le jugement de première instance de la Cour suprême du Yukon le 7 février 2020.
  • Comme nous l'avons déjà mentionné, l'insistance indue du tribunal de première instance sur les lacunes de gouvernance, par ailleurs corrigées, pour justifier qu'il ne convenait pas d'établir la juste valeur en fonction du prix du marché était problématique et a finalement été jugée erronée.
  • Les lacunes de gouvernance antérieures pouvaient seulement laisser conclure que le caractère équitable et raisonnable de l'opération n'avait pas été démontré, mais pas que l'opération était en elle-même inéquitable ou déraisonnable. Ainsi rien n'empêchait de reprendre la valeur de l'opération issue d'une démarche de gouvernance défaillante comme juste valeur, pour autant que les failles aient été réglées, ce qui était le cas.

Bref rappel

Nous renvoyons le lecteur à notre résumé antérieur des jugements qui ont précédé celui de la Cour d'appel du Yukon. 

Rappelons brièvement que l'essentiel du litige portait sur l'évaluation convenable de la juste valeur marchande à attribuer à l'acquisition d'InterOil Corporation (« InterOil ») par Exxon. À l'origine, Exxon cherchait à acquérir InterOil au moyen d'un plan d'arrangement pris en vertu de la Loi sur les sociétés par actions du Yukon, à une prime d'environ 30 % par rapport au cours, composée d'un versement de base et d'une soulte conditionnelle plafonnée (le « premier arrangement »). Le premier arrangement a été approuvé par plus de 80 % des actionnaires d'InterOil et ultérieurement par jugement du juge en chef R.S. Veale de la Cour suprême du Yukon. Un groupe d'actionnaires dissidents réussit à faire infirmer le jugement en appel et à demander une nouvelle évaluation de la juste valeur marchande en raison de nombreuses lacunes dans le mode d'évaluation utilisé dans le cadre du premier arrangement.

Exxon remédie aux lacunes et propose un deuxième arrangement (le « deuxième arrangement »), qui est approuvé par plus de 90 % des actionnaires d'InterOil. Toutefois, après le deuxième arrangement, les actionnaires dissidents réussissent à faire déclarer par le tribunal que la juste valeur de leurs titres est de 59 % supérieure à l'offre d'Exxon. Le jugement de la Cour suprême du Yukon est rendu par le juge en chef R.S. Veale, celui-là même qui avait statué sur le premier arrangement. 

Essentiellement, le juge en chef considère que les lacunes dans le mode d'évaluation du premier arrangement empêchent de fonder la juste valeur marchande sur les opérations qui ont eu lieu sur le marché réel. Le juge en chef adopte plutôt la méthodologie de la valeur actualisée des flux de trésorerie, malgré un certain nombre de lacunes théoriques et d'insuffisances dans les éléments de preuve susceptibles d'entraîner une évaluation erronée.

Cour d'appel du Yukon : la valeur marchande dans des conditions de pleine concurrence demeure un élément fondamental de la JVM

Compte tenu de la grande différence dans la juste valeur déterminée par la Cour suprême du Yukon, Exxon a sans surprise interjeté appel devant la Cour d'appel du Yukon, dont la formation décide à l'unanimité que le juge en chef Veale a mal appliqué les principes sous-jacents à l'évaluation de la juste valeur marchande.

La Cour d'appel du Yukon, infirmant le jugement du tribunal inférieur, signale deux grandes erreurs qui lui permettent de réévaluer les faits de l'espèce :

  • le juge accorde trop peu de poids à la preuve objective de la valeur marchande; il fixe la juste valeur de l'entreprise d'InterOil essentiellement sur la foi de chicanes d'experts inutiles;
  • le juge interprète mal le jugement de la Cour d'appel qui annule le premier arrangement.

Bien que ces erreurs de principe soient liées, elles sont abordées séparément ci-après.

L'insuffisance de « poids »

La Cour d'appel du Yukon réaffirme la primauté des indicateurs objectifs de la juste valeur marchande et confirme que la rectification des erreurs procédurales du premier arrangement rend fiable l'évaluation objective de la juste valeur marchande faite par le marché. Selon la Cour :

[traduction] : « Le prix de l'opération est un prix négocié sur un marché concurrentiel formé de parties bien informées et averties. Rien n'indique qu'une autre démarche aurait pu mener à un prix plus élevé. Tous les acquéreurs éventuels ou investisseurs partiels étaient pleinement informés. Aucun obstacle n'empêchait des acquéreurs éventuels de surenchérir sur Exxon. Le prix offert était considérablement plus élevé que le cours boursier de l'action avant l'opération. Les actions étaient largement négociées et détenues par de grands investisseurs avertis, experts dans l'évaluation de la valeur et dont aucun n'a fait valoir sa dissidence. La valeur de l'action repose sur un actif aux premiers stades de mise en valeur, dont les perspectives sont très incertaines. Les écarts de valeur théoriques sont truffés d'incertitude et de spéculation. Les investisseurs institutionnels ont certainement tenu compte de ces hypothèses dans leur décision d'accepter le prix applicable à l'opération. »

En raison de cette primauté, la Cour d'appel du Yukon écarte résolument l'argument de l'actionnaire dissident voulant que s'en remettre au marché réduise à néant ses droits d'actionnaire. Même si la Cour convient que chaque cas est un cas d'espèce, elle conclut qu'en l'instance, la valeur que le marché fait ressortir et d'autres éléments de preuve rendent mieux compte de la juste valeur marchande que les hypothèses théoriques.

La mauvaise interprétation du jugement précédent de la Cour d'appel

Quant à la mauvaise interprétation de son précédent jugement par le juge en chef Veale, la Cour d'appel du Yukon précise clairement qu'il ne visait pas à établir le principe qu'une démarche défaillante dans l'évaluation du caractère équitable et raisonnable d'une opération implique que l'opération en soi ne peut pas être équitable et raisonnable. En outre, la Cour d'appel fait observer qu'elle a été silencieuse sur la transparence ou le caractère concurrentiel de l'offre et des négociations ayant conduit à établir le prix de l'opération dans son précédent jugement. 

Étant donné qu'InterOil a corrigé ces lacunes dans le deuxième arrangement, le juge en chef Veale était saisi d'un dossier complètement différent en vue d'établir si le prix d'origine était objectivement inéquitable. Il ne pouvait pas se contenter de s'en remettre aux précédentes conclusions de fait de la Cour d'appel du Yukon dans un dossier profondément différent pour annuler la juste valeur marchande établie par le marché.

Résultat : l'évaluation à la juste valeur marchande reprend le dessus

Ce jugement de la Cour d'appel du Yukon marque sans doute la fin de la saga Exxon-InterOil. Il remet à l'honneur comme il se doit les principes bien établis applicables à l'évaluation de la juste valeur marchande.

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