La mort : une fatalité qui occupe le législateur

"Le testament du mort est le miroir de sa vie" (proverbe polonais). A mesure que s'accroît la libre circulation des personnes, le nombre de celles qui deviennent soucieuses du sort de leur succession augmente. Afin de leurs fournir les outils nécessaires pour anticiper et solutionner les problèmes qui pourraient apparaître après la mort, les législateurs européen et suisse tentent depuis longtemps de réglementer les aspects successoraux, avec plus ou moins de réussite.

Ne plus savoir à quelle loi se vouer

En cas de décès en Europe, il arrive souvent que des questions relatives au droit applicable et à la compétence des tribunaux se posent. En effet, la LDIP suisse et le Règlement UE n° 650/2012 peinent à faire ménage commun.

Sur le papier, ces deux normes en effet consacrent le principe de l'unité de succession, à savoir que la succession dans son entier doit être soumise à une même loi et être administrée par les autorités d'un seul pays, sous réserve d'exceptions.

Toutefois, les deux textes n'arrivent pas à s'entendre sur la compétence des tribunaux. D'un côté, la Suisse se fonde sur le lieu du dernier domicile du défunt – celui qu'il avait au moment de son décès. De l'autre côté, dès lors qu'un ressortissant européen a sa résidence dans un Etat tiers (comme la Suisse), l'UE se considère compétente à raison du lieu de situation d'une partie des biens de la succession.

Un casse-tête pour les ressortissants de l'UE avec un lien avec la Suisse

Ainsi des conflits entre les deux textes peuvent surgir pour toute personne ayant son domicile en Suisse mais qui en même temps :

  • est de nationalité(s) d'un Etat membre de l'UE ;
  • a l'intention de vivre dans un Etat membre de l'UE pendant une période prolongée ou de s'y installer définitivement ;
  • a résidé au sein de l'UE au cours des cinq dernières années ;
  • dispose de valeurs patrimoniales (comptes en banque, immobilier, etc.) au sein de l'UE ou a l'intention d'acquérir de telles valeurs patrimoniales.

Les deux approches européenne et suisse peuvent donner lieu à des problèmes inextricables.

Cas de figure 1 : Un « expat » français décède à Genève, après y avoir résidé et travaillé pendant quelques années. Il laisse des biens tant en Suisse qu'en France. Du fait de son dernier domicile à Genève, les autorités genevoises se considèrent comme compétentes pour l'ensemble de la succession. Toutefois, les autorités françaises pourront également se déclarer compétentes dès lors que le défunt avait la nationalité française et qu'il a laissé des biens en France. Ainsi, il serait possible qu'un héritier ouvre une procédure en Suisse, et qu'un autre héritier en ouvre une seconde en France, créant ainsi un conflit de compétence positif.

Cas de figure 2 : Un ressortissant espagnol établit un testament alors qu'il est encore domicilié en Espagne, sans choisir un droit applicable en particulier. Puis, il s'expatrie en Suisse, où il décède. La loi applicable serait ainsi, aux yeux des autorités suisses, le droit suisse, alors que les autorités européennes appliqueraient le droit espagnol.

Et si l'on choisissait son droit et son tribunal ?

L'UE offre la possibilité pour le défunt de choisir les tribunaux compétents. Cette élection est cependant limitée aux tribunaux des Etats de l'UE. Ainsi, il exclut implicitement la possibilité de choisir les tribunaux suisses.

Par conséquent, le fait de choisir la compétence des tribunaux ne résout pas les frictions entre la LDIP et le Règlement n°650/2012.

La problématique est semblable en ce qui concerne le droit applicable- S'il est possible aux citoyens de l'UE de choisir un droit applicable à leur succession, ils ne jouissent de cette possibilité que s'ils possèdent la nationalité européenne au moment où ils font ce choix ou à leur décès. En revanche, la Suisse limite un tel choix aux étrangers et ce à condition de posséder la nationalité du droit choisi au moment du décès.

Par exemple: une personne de nationalité allemande et domiciliée en Suisse rédige un testament faisant élection de droit en faveur du droit allemand. Puis, pour des raisons qu'il n'y a pas lieu de développer ici, elle change de nationalité en renonçant à sa nationalité allemande. Au moment de son décès, l'UE reconnaîtra son élection de droit allemand, alors que la Suisse la refusera.

Des lois en plein changement

Le Conseil fédéral a mis en consultation une révision de la LDIP le 14 février 2018, dont le but était d'éliminer tant que possible les conflits de compétence en matière de successions internationales entre la Suisse et d'autres États, y compris de l'UE.

Pourtant, malgré cette annonce encourageante, l'avant-projet présenté par le Conseil fédéral ne prévoit pas de s'aligner sur le principe de la résidence prévu au sein de l'UE. Au contraire, le législateur suisse semble vouloir conserver la notion de dernier domicile, de sorte que les risques de conflit entre ces lois perdureront.

La procédure de consultation s'est récemment achevée et le Conseil fédéral publiera vraisemblablement son message en automne 2019. D'ici là et en attendant de connaître la solution que le Conseil fédéral apportera aux conflits de lois actuels, les ressortissants suisses et européens avec des liens et/ou des biens dans ces deux régions seront bien avisés de planifier soigneusement leur succession.

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